- L’éclatement de la bulle immobilière et un marché du travail particulièrement rigide avant 2008 expliquent l’ampleur du chômage né de la crise économique.
- Aussi vigoureuse soit-elle, la reprise actuelle ne permettra pas d’effacer rapidement les traces profondes qu’a laissées la crise sur le marché du travail espagnol.
- De lourdes réformes ont été menées ces dernières années pour réduire la dualité du marché du travail, permettre l’ajustement des salaires et des conditions de travail aux conditions économiques et faciliter le retour à l’emploi.
- Des progrès sont visibles, et plusieurs études attribuent une part non négligeable des créations d’emplois à ces réformes.
La reprise est vive en Espagne. Le pays devrait afficher en 2017 une croissance de l’ordre de 3% et, ce, pour la troisième année consécutive. Ce dynamisme vient de ramener l’activité, en volume, à son niveau d’avant-crise. Du côté du marché du travail, le bilan reste extrêmement lourd : à 17,7% de la population active en mai 2017, le taux de chômage reste deux fois plus élevé qu’il y a dix ans (8% mi 2007). Mis à part en Grèce, où l’on a assisté à une véritable dépression économique, bien plus profonde, le taux de chômage est en Espagne très supérieur à celui enregistré dans les autres pays de la zone euro.
Un bilan de la crise alourdi par les spécificités du marché du travail
Plusieurs facteurs ont joué un rôle important et expliquent cette spécificité. D’abord, une rigidité importante dans le fonctionnement du marché du travail, qui a fortement limité la capacité des entreprises, souvent petites et peu compétitives, à s’adapter au choc de la crise autrement que par les destructions d’emplois. Face à une baisse très importante de leur chiffre d’affaires, il leur a été difficile d’ajuster les salaires ou les conditions de travail, fixées par de vastes accords collectifs au niveau régional ou sectoriel. Ainsi, selon la Banque centrale européenne (BCE)1, 68% des salaires du secteur privé étaient indexés sur l’inflation observée en 2008, via les conventions collectives inter-industries, contre 13% en France. Ainsi, de 2007 à 2009, les salaires nominaux par tête ont augmenté de 11,3% en Espagne alors que l’emploi a fortement diminué2. En pleine crise, les salaires fixés par les conventions collectives ont augmenté de 3,5% en 2008, 2,6% en 2009, 1,3% en 2010 et 2,48% en 2011. D’une manière générale et jusqu’à ce que les réformes interviennent, la dynamique salariale a été largement déconnectée des gains de productivité.
Ensuite, l’éclatement de la bulle immobilière, dès 2007, qui a été l’un des éléments majeurs de la crise espagnole – au-delà de la crise financière commune aux autres pays de la zone euro – et dont les conséquences en matière d’emploi, dans un secteur très intensif en main d’oeuvre, ont été colossales. Ainsi, sur 3,4 millions d’emplois détruits entre 2007 et 2013, 1,7 million l’a été dans la construction. Cela représente près de la moitié des emplois détruits, soit l’équivalent de près de 7,5% de la population active. Par nature beaucoup plus durables que dans les autres secteurs 3, ces destructions d’emplois ont mis au chômage des travailleurs aux compétences très spécifiques, plus difficilement employables dans les autres secteurs, favorisant ainsi le chômage de longue durée et leur exclusion du marché du travail.
Enfin, le fort degré de protection attaché aux contrats de travail permanents avait favorisé le développement d’un important volant de salariés sous contrats de travail temporaires, moins protégés. Ainsi, 29% des contrats de travail étaient temporaires en 2009, contre 14, 5% dans la zone euro et 11,9% pour les pays de l’OCDE4. Pendant la crise, les contrats à durée déterminée ont donc servi de variables d’ajustement. Leurs indemnités de licenciements étaient peu élevées, alors que les normes législatives pour mettre fin à un contrat permanent étaient très rigides (pratique du despido express5 pour éviter une décision de justice).
Des réformes aux objectifs multiples
Au final, le pays a subi durant la crise un sur-ajustement majeur de l’emploi, en recul de 16,7% entre 2007 et 2013 quand le PIB perdait « seulement » 7,3%. Le chômage a plus que triplé sur la même période, passant de 8,2% à 26,4%. Tous ces éléments ont défini les grandes lignes des objectifs visés par les réformes mises en place sur le marché du travail espagnol au sortir de la crise : pallier au manque de flexibilité interne en limitant la primauté des accords collectifs, atténuer la forte segmentation qui avait favorisé une grande précarité d’une partie du marché du travail, accompagner les réallocations sur le marché du travail, encourager le retour à l’emploi des anciens travailleurs de la construction et les requalifier, lutter contre la hausse du chômage structurel.
Les réformes ont été mises en oeuvre en 2010 et 2012. Puis, en 2014 et 2015, d’autres mesures sont venues renforcer leurs effets. Les principaux éléments de ces réformes sont présentés, par thématiques, dans l’encadré 1.
Des progrès en termes d’emploi et de compétitivité
Plus de trois ans après le début de la reprise, les progrès sont palpables. Les créations d’emplois sont vigoureuses ; le taux de chômage était ainsi de 17,7% en mai 2017, en baisse de plus de 9 points par rapport à son pic de Q1 2013 (26,9%).
Depuis 2013, le pays a perdu près de 2 millions de chômeurs, leur nombre passant de 6,2 millions à 4,2 millions. Si cette tendance devait se poursuivre, leur nombre pourrait tomber, selon nos projections, à 2,8 millions en 20206. A 12,5% de la population active, le taux de chômage serait, malgré tout, encore loin de son niveau d’avant-crise (8% en 2007).
Le redressement de l’emploi s’appuie sur des gains de compétitivité notables, avec des coûts salariaux unitaires en baisse de 5,8% en termes nominaux de 2009 à 2016, et de 6,9% en termes réels.
Enfin, et au-delà de la seule question du redressement du marché du travail, ces évolutions ont participé au rééquilibrage des comptes extérieurs.