Maroc : Perspectives favorables mais fragiles
Les fondamentaux de l’économie marocaine restent satisfaisants. Quelques signes de tensions sont apparus sur la balance des paiements, mais la stabilité extérieure n’est pas menacée. Le ralentissement en cours des importations devrait permettre une stabilisation du déficit courant, alors que la pression sur les réserves de change s’est nettement réduite depuis le report de la réforme sur le régime de change. Les perspectives budgétaires sont également mieux orientées après la contre-performance de 2016, et l’économie bénéficie d’une amélioration de la conjoncture extérieure et du rebond de la production agricole. Néanmoins, la progression de l’activité hors agriculture reste encore trop timide.
La situation socio-politique a été inhabituellement agitée ces derniers mois au Maroc. Aux difficultés de former un gouvernement après les élections législatives d’octobre 2016 est venu s’ajouter un mouvement de contestation dans la région du Rif. Les évènements ne semblent pas avoir écorné l’image du royaume, du moins sur les marchés financiers internationaux. Autre motif de satisfaction, l’agence de notation Moody’s a décidé en février d’assortir le rating souverain du Maroc d’une perspective positive alors que la situation politique n’était pas normalisée. C’est donc une économie aux fondamentaux solides que va piloter le nouveau Premier ministre, monsieur Al-Othmani, dont les grandes lignes de son programme s’inscrivent dans la lignée de la précédente législature. L’objectif de porter le poids du secteur industriel à 23% du PIB en 2020 contre 16,5% aujourd’hui reste inchangé tout comme la volonté de ramener la dette centrale du gouvernement vers de 60% du PIB. Pour autant, si la conjoncture s’améliore, l’économie est loin d’avoir trouvé la vigueur nécessaire pour résorber le chômage.
■ Rebond cyclique, reprise modeste
La volatilité de la croissance est une constante au Maroc et cette année en sera en nouvelle illustration. Après avoir touché un point bas en 2016 à 1,2%, le taux de croissance a nettement progressé au premier semestre 2017 à 4% grâce au rebond significatif de la valeur ajoutée agricole (+16%). Hors agriculture, les ferments d’une reprise semblent aussi se dessiner. De fait, sur les six premiers mois de l’année, la valeur ajoutée du secteur non agricole a progressé de 2,6%. Sans être spectaculaire, il s’agit d’une inflexion notable après trois années d’atonie (+2% en moyenne entre 2013 et 2016). Surtout, la consolidation de l’activité devrait se poursuivre sur le reste de l’année, portée par une amélioration de l’environnement extérieur et la vigueur de la consommation des ménages. En plus de la reprise de la demande en provenance d’Europe, de loin le principal partenaire commercial du Royaume, l’industrie du tourisme bénéficie du regain d’attractivité de l’ensemble de la région. A fin juillet, les arrivées s’inscrivaient en hausse de 8% et le nombre de nuitées de 17%. Hormis 2013, où le secteur avait bénéficié d’un effet de rattrapage, il faut remonter à avant 2011 pour retrouver de tels niveaux de croissance. Compte tenu de son poids dans l’économie, le rebond du secteur touristique associé à l’amélioration de la situation des ménages ruraux continuera de soutenir la consommation privée malgré un marché de l’emploi peu dynamique. La faiblesse de l’inflation (0,6% en moyenne entre janvier et août) est aussi un élément favorable de ce point de vue.
Néanmoins, après un très bon premier trimestre, la dynamique de l’investissement est nettement retombée. La demande de crédit des sociétés non financières privées reste poussive (3,3% seulement en août), en particulier dans le secteur de la construction. La faiblesse actuelle de l’investissement privé est une contrainte forte à la satisfaction des besoins de développement du pays. Le taux de chômage est relativement stable, à 9-10%, mais touche de façon disproportionnée les jeunes urbains (39,2% en T2 2017) et les diplômés (17%). De même, le taux d’emploi est en baisse constante depuis le début des années 2000 et n’atteint plus que 42,9%. L’économie marocaine a non seulement besoin de plus de croissance mais aussi de création de richesse à plus haute valeur ajoutée. Le développement récent de la filière automobile et les projets d’investissement en cours, notamment dans le secteur de l’aéronautique, vont dans le bon sens. Mais l’impact macroéconomique sur la croissance reste encore limité. La progression des activités non agricoles ne dépassera que légèrement 3% en 2018.
■ Comptes externes : une détérioration à relativiser
Le Maroc a considérablement bénéficié de la chute des cours du pétrole pour rééquilibrer ses comptes externes. De 9,5% du PIB, le déficit de la balance des transactions courantes est tombé à 2,1% en 2015 avant de se creuser de nouveau à 4,3% en 2016. En cumul sur les douze dernier mois, il atteignait 5,7% du PIB au T2 2017. Dans le même temps, les réserves de change ont subi de fortes pressions, reculant à USD 20,4 mds au mois de juillet, leur plus faible niveau depuis deux ans. Doit-on s’en inquiéter ? Pas vraiment. Le creusement récent des déficits extérieurs résulte d’une combinaison de facteurs temporaires. L’achat de biens d’équipement lié à des projets d’infrastructure et le rebond des cours du pétrole ont entraîné une envolée des importations à partir de la mi-2016 qui est déjà en train de s’estomper. Depuis le deuxième trimestre, les exportations augmentent à un rythme supérieur à celui des importations. Et comme l’effet de base défavorable lié aux fluctuations des cours du pétrole est amené à disparaître, le déficit courant devrait se stabiliser à 4-4,5% du PIB en 2017-2018. De plus, le développement industriel en cours nécessite de gros volumes d’achats de biens d’équipements (29% des importations en 2016, en hausse de 13% en moyenne depuis 2013).
En outre, avec des exportations automobiles qui représentent désormais un quart du total des ventes à l’étranger contre 12% en 2010, la structure des échanges extérieurs se diversifie. En général, l’économie marocaine n’a pas de mal à couvrir ses besoins de financement externe. Le pays bénéficie d’investissements directs étrangers élevés, et l’Etat ainsi que les grandes entreprises publiques bénéficient d’un accès régulier aux marchés financiers internationaux dans de bonnes conditions. Mais le vote tardif du budget ou encore des sorties de capitaux liées à l’expansion des entreprises marocaines en Afrique ont quelque peu affecté la dynamique au premier semestre 2017. Par ailleurs, la perspective d’une plus forte volatilité du dirham (MAD), liée à la flexibilisation du régime de change, a conduit à des achats massifs de produits de couverture des agents économiques et contribué à la baisse des réserves de change. Là encore il s’agit d’un facteur temporaire puisque l’annonce du report de la réforme, provoqué en partie par la réaction négative du marché, a d’ores et déjà permis d’alléger la pression. Les réserves de change ont repris USD 2 mds en août et l’on s’attend à ce qu’elles continuent de se reconstituer pour atteindre un peu plus de USD 23 mds à la fin de cette année, soit un niveau confortable de six mois d’importations de biens et services. De plus, la réaction du marché face à une possible dévaluation du dirham a été exagérée. Le taux de change effectif réel est stable sur une longue période et le processus de flexibilisation sera graduel et sous contrôle. Dans un premier temps, il s’agit seulement d’élargir la bande de fluctuations de +/-2,5% autour du cours pivot actuel. Autrement dit, la volatilité du MAD restera limitée, ce qui devrait rassurer les entreprises exposées au risque de change et donc éviter de nouvelles tensions sur la liquidité extérieure lorsque la réforme débutera.
■ Finances publiques : retour de la consolidation
La situation des finances publiques s’est aussi améliorée de manière significative. En 2012, le déficit budgétaire atteignait la proportion alarmante de 6,8% du PIB. Depuis, il a été ramené à 4,2% du PIB en 2015 et ne s’est résorbé que légèrement à 4% en 2016 contre un objectif initial de 3,5%. La contre-performance de 2016 résulte avant tout de moindres rentrées fiscales et d’un volume de dons en provenance des pays du CCG inférieur aux attentes, et non pas de dérapages incontrôlés liés au contexte pré-électoral. De plus l’exécution budgétaire sur les huit premiers mois de l’année laisse penser que le déficit devrait de nouveau se réduire à 3,7% du PIB en 2017, ce qui permettrait de stabiliser l’endettement du gouvernement. Depuis 2009, celui-ci a augmenté de 18 points de PIB et dépasse désormais 64%. Jusqu’à présent, les autorités se sont financées facilement et quasi-exclusivement sur le marché local à des conditions attractives. A 4,3% en 2016, le coût apparent de la dette marocaine est ainsi l’un des plus faibles parmi les pays importateurs de pétrole de la région. En revanche, le processus de consolidation budgétaire pourrait se heurter à deux écueils. Le niveau d’imposition est déjà élevé et le montant des subventions semble avoir atteint un plancher à 1,5% du PIB après avoir fortement diminué entre 2012 et 2015 grâce à une refonte du système. Un contrôle strict de la dépense publique sera donc nécessaire. Mais le poids élevé de la masse salariale des employés de la fonction publique (40% du budget) limite les marges de manœuvre du gouvernement.
Stéphane Alby