Arabie Saoudite : La consolidation budgétaire pèse sur la croissance
Après un fort ralentissement en 2016, l’économie saoudienne sera très probablement en récession en 2017. La chute de l’investissement public provoquée par la baisse des revenus pétroliers est la principale cause de cette mauvaise conjoncture. A court terme, les perspectives d’activité du secteur non pétrolier restent mitigées. Le processus de réforme budgétaire devrait ralentir tandis que les entreprises et le secteur bancaire subissent les conséquences de ce ralentissement. La nécessité de poursuivre l’assainissement budgétaire et la lenteur du processus de diversification économique devraient continuer de peser sur l’activité économique à moyen terme.
La prise en compte du nouveau paradigme du marché pétrolier par le gouvernement saoudien a des conséquences économiques significatives. La forte baisse des revenus pétroliers a entraîné des déficits budgétaires importants et une hausse de l’endettement public. Parallèlement, la prise de conscience du caractère durable de la modération des prix du pétrole, en raison notamment de l’importance grandissante de nouveaux producteurs, a obligé les autorités saoudiennes à un effort de consolidation budgétaire et de transition économique inédit qui pèse sur l’activité du Royaume. Contrairement aux périodes précédentes de baisse des prix du pétrole (2009 par exemple), la croissance du secteur privé non pétrolier a fortement ralenti depuis 2015 et les perspectives sont assez mitigées à moyen terme. Les données du premier trimestre de 2017 confirment cette tendance.
■ Possible récession en 2017
En 2016, malgré une progression du PIB pétrolier (environ 40% du PIB total) de 3,4% en termes réels, le PIB total n’a cru que de 1,6%. Le secteur privé non pétrolier (39% du PIB total) a connu une progression quasi-nulle (+0,1%) après cinq années de croissance forte (+6% en moyenne durant la période 2011-2015). Au premier semestre 2017, l’économie a enregistré un véritable trou d’air, l’ensemble des indicateurs d’activité étant négativement orientés. Les données sectorielles d’activité indiquent une baisse réelle de 0,1% du PIB non pétrolier. Le secteur de la construction décline de 2,7% tandis que les services de commerce de détail et de loisir se replient de pratiquement 1%. La croissance du secteur manufacturier connaît un plus bas depuis quatre ans (+2,6%). D’autres indicateurs tels que les nouvelles lettres de crédit à l’importation et la production de ciment ont atteint leur plus bas niveau depuis plus de cinq ans. Ces tendances se confirment au niveau de l’activité bancaire. A fin août 2017, l’ensemble des crédits au secteur privé (entreprises et ménages) se contractait pour le cinquième mois consécutif d’environ 1% a/a. Au T2 2017, le taux de chômage des nationaux a atteint 12,8% contre 11,6% un an auparavant.
La cause principale de cette baisse d’activité dans le secteur privé est la baisse des dépenses publiques et plus particulièrement la chute des investissements. L’investissement public a été la première variable d’ajustement utilisée par le gouvernement. De nombreux projets ont été annulés ou retardés, et des arriérés de paiements envers les entreprises de la construction se sont accumulés. En 2016, les dépenses budgétaires courantes ont décliné de 19% en termes réels, tandis que celles d’investissement baissaient de 16%. Même si les ajustements devraient être moins radicaux cette année, l’évolution des investissements publics reste orientée négativement. Les données budgétaires pour le premier semestre 2017 indiquent une réduction du déficit de moitié en raison d’une quasi-stabilité des dépenses (les dépenses d’investissement ont même légèrement augmenté de 0,9%) et d’une hausse significatives des recettes. Néanmoins, à la mi-octobre, le montant des projets d’investissement planifiés ou en cours est en baisse de 17% sur un an, contre -6.8% pour l’ensemble des pays du Conseil de Coopération du Golfe1.
Cette morosité de l’investissement, principalement de la part du secteur public, a des conséquences négatives importantes sur la croissance économique. Malgré certains efforts de diversification et de stimulation du secteur privé, la conjoncture saoudienne reste étroitement liée aux dépenses publiques. Un rapport récent du FMI2 a montré que sur la période 2011-2016, parmi les dépenses publiques, ce sont les dépenses d’investissement qui affectent le plus l’évolution du PIB non pétrolier. L’effet multiplicateur des dépenses d’investissement est de 0,9 tandis qu’il n’est que de 0,4 pour les dépenses courantes.
La contribution du secteur pétrolier à la croissance du PIB devrait être négative en 2017 étant donné la mise en place de la politique de baisse de la production pétrolière dans le cadre des accords entre les pays de l’OPEP et certains pays en dehors du cartel. L’Arabie Saoudite est le principal contributeur à cette baisse concertée de production qui doit durer au moins jusqu’en mars 2018. En moyenne, la production de pétrole devrait baisser d’environ 5% en 2017, entraînant une réduction quasi équivalente du PIB pétrolier. Au total, étant donné un secteur non pétrolier qui ne devrait pas progresser de plus de 1% et un secteur pétrolier qui pourrait se contracter d’environ 5%, nous prévoyons un repli du PIB d’environ 1,8% en 2017.
■ Ralentissement des réformes et baisse des résultats
A court terme, le ralentissement de la croissance économique a peu de conséquences sur les finances publiques par comparaison avec les prix du pétrole. La base fiscale est très faible et environ 80% des revenus budgétaires dépendent des recettes pétrolières. En revanche, le lien étroit entre l’activité du secteur non pétrolier et les dépenses publiques peut être un facteur de ralentissement des réformes. Or la faible croissance du PIB non-pétrolier ne permet pas la création d’emplois en nombre suffisant. La coordination entre les objectifs de moyen terme (consolider les finances publiques) et ceux de plus long terme (diversifier l’économie pour créer des emplois en dehors du secteur public) est rendue plus difficile en période de croissance faible.
Dans ce contexte économique déprimé, les profits des entreprises non-financières sont en baisse régulière depuis 2014. Selon une étude du FMI2 portant sur un échantillon d’entreprises saoudiennes, ceux-ci ont baissé de pratiquement 6% en 2016. Sans surprise, les entreprises du secteur de la construction voient leur résultat opérationnel se contracter (-12% en 2016), tandis que celui des secteurs du commerce et de l’immobilier enregistre des évolutions positives (respectivement +1% et +31% en 2016), en raison notamment de la relative résistance de la consommation et de l’investissement des ménages.
Dans un environnement opérationnel plus difficile, le secteur bancaire reste solide. Les tensions sur la liquidité bancaire se sont réduites en 2017 grâce aux injections de liquidité de la banque centrale et du gouvernement (les dépôts du gouvernement ont augmenté de 24% en août dernier en rythme annuel) et au ralentissement du crédit. Le taux interbancaire à trois mois a perdu 58 points de base depuis son plus haut (2,4% en octobre 2016), même s’il reste à un niveau historiquement élevé. Les difficultés financières du secteur de la construction, en raison des arriérés de paiement de la part du gouvernement, entraînent une détérioration de la qualité des actifs bancaires. Cependant, le secteur de la construction ne représente que 7% du crédit bancaire domestique.
Plus généralement, si le ratio de créances douteuses en pourcentage des actifs devrait se détériorer dans les trimestres à venir, il est actuellement à un niveau très bas (1,4% à fin 2016) et le taux de provisionnement est élevé (177% en 2016). En 2018, les risques pesant sur la croissance restent importants notamment en raison des incertitudes sur les prix du pétrole. Le maintien des quotas actuels sur le niveau de production pourrait peser sur le PIB pétrolier. Par ailleurs, l’introduction possible de la TVA en 2018 pèsera sur la consommation privée bien que la période déflationniste actuelle devrait en limiter les conséquences. Dans ce contexte, le gouvernement a annoncé une pause dans la baisse des subventions énergétiques et pourrait engager certaines dépenses de relance de l’économie. Au total, nous prévoyons un retour à une croissance positive (+1,6%) mais insuffisante pour accélérer la création d’emplois et absorber les 200 000 nouveaux entrants annuels sur le marché du travail.
Pascal Devaux