Mal orientés l’automne dernier, les indices de la conjoncture se sont un peu redressés depuis. Au moment de basculer en 2018, l’économie britannique progresse à vitesse réduite, sans être tout à fait au point mort. La chute de la livre est enrayée. Un simple répit ? La procédure du « Brexit » entre, en tout cas, dans sa seconde phase, la plus difficile. Celle-ci va consister à définir le futur cadre des relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, dans l’optique d’un accord en octobre 2018, pour un retrait définitif en mars 2019. Le principal risque est bien celui de l’impasse, les négociateurs disposant de peu de temps pour réconcilier des positions encore très éloignées.
L’économie britannique entre dans une phase de stabilisation fragile, après avoir beaucoup décéléré. Entre 2016, année du référendum sur la sortie de l’Union européenne (UE), et 2018, son taux de croissance devrait avoir été divisé par deux. Nous l’estimons a à peine plus de 1% cette année, qui concentre de nombreux risques.
■ Pression sur le consommateur et… la Banque d’Angleterre
Le Brexit aura eu pour premières conséquences de faire chuter la livre, de renchérir les prix des biens importés et de pénaliser ainsi le pouvoir d’achat de ceux qui l’ont voté. L’inflation, qui devrait connaitre un pic à 3% en début d’année 2018, dépasse depuis plusieurs trimestres la progression des salaires, qui baissent donc en termes réels (graphique 2). Si la consommation a pu se maintenir jusqu’ici (elle a tout de même fortement ralenti en 2017) c’est parce que l’emploi a bien résisté et que les ménages ont puisé dans leur épargne. Ces derniers se montrent toutefois de plus en plus pessimistes dans les enquêtes. En décembre 2017, le principal indice de confiance des consommateurs, calculé par l’agence GfK, tombait à son plus bas niveau depuis quatre ans ; les intentions d’épargner s’inscrivaient en forte hausse. En dépit d’un chômage faible (4,2% de la population active), supposé tirer les revenus vers le haut, les Britanniques se montrent réservés quant à l’évolution de leur situation financière. Ils freineraient leurs achats en conséquence. Côté chefs d’entreprise, les indices du climat des affaires ne se sont pas autant détériorés, opérant même un léger rebond. L’avancée, fût-elle laborieuse, des négociations en vue du divorce avec l’UE, l’espoir qu’une période de transition rende celui-ci moins brutal, y sont sans doute pour quelque chose (cf. infra). Le pire n’étant pas pour tout de suite, les investissements ne sont pas coupés, se contentant juste de freiner. L’économie évite la récession, et avance au ralenti.
La Banque d’Angleterre hérite d’une situation compliquée. L’inflation dépasse largement son objectif officiel (2%), ce qui l’a amenée à remonter son taux directeur (de 0,25% à 0,50% en novembre 2017). En même temps, les membres du Comité de la politique monétaire s’inquiètent des conséquences du Brexit ; ils indiquent que tout resserrement supplémentaire serait « graduel et limité », eu égard aux risques « considérables » qui pèsent sur les perspectives économiques. En définitive, tout se passe comme si, anticipant des temps difficiles, les autorités britanniques reconstituaient aujourd’hui des marges de manœuvre pour demain.
■ Brexit, étape 2
Le Conseil européen a estimé, lors de sa réunion des 14 et 15 décembre 2017, que les discussions entre le Royaume-Uni et la Commission européenne sur les conditions de sortie avaient suffisamment avancé pour enclencher la seconde phase des négociations Le Royaume-Uni et la Commission européenne, qui ont entamé les négociations le 17 juin 2017, sont en effet parvenus à se mettre d’accord sur trois sujets cruciaux pour les Européens. Le Royaume- Uni s’engage à garantir le respect de la législation européenne aux citoyens européens, toute leur vie durant, ainsi qu’aux membres de leur famille vivant légalement au Royaume-Uni avant la date de sortie du Royaume-Uni de l’UE ou avant la fin d’une période de transition durant laquelle la libre circulation des personnes serait assurée. Les Britanniques résidant au sein de l’UE bénéficieront des mêmes prérogatives. Le Royaume-Uni rappelle par ailleurs que l’Irlande du Nord continuera à faire partie intégrante du pays, et, à ce titre, s’engage à ce qu’aucun nouvel obstacle règlementaire ne voit le jour entre l’Irlande du Nord et le Royaume-Uni. Celui-ci s’engage, parallèlement, à ce qu’aucune frontière physique ni qu’aucun contrôle et vérification ne soient érigés entre l’Irlande du Nord et l’Irlande du Sud, sans que l’on sache cependant de quelle manière il y parviendra.
A l’issue d’âpres discussions, le Royaume-Uni et l’UE sont également parvenus à progresser sur leur différend financier. Ils ont en particulier listé les éléments à intégrer au « chèque de sortie », déterminé son mode de calcul et défini les modalités de paiement. Ils se sont par ailleurs mis d’accord sur la façon dont le Royaume- Uni allait continuer, jusqu’à leur échéance, à participer aux programmes du cadre financier pluriannuel 2014-2020 et à plusieurs fonds européens. Le Royaume-Uni et la Commission européenne doivent encore apporter des précisions, et traduire en des termes juridiques leurs engagements respectifs avant de parvenir à un accord de retrait définitif. Celui-ci devra, par ailleurs, inclure les modalités de la phase transitoire ainsi qu’une déclaration politique définissant les contours des futures relations commerciales du Royaume-Uni et de l’UE. Autant de sujets qui seront traités lors de la seconde phase de discussions.
■ Le CETA comme modèle ?
L’UE et le Royaume-Uni semblent s’accorder sur la durée de la phase de transition, de près de deux ans à compter du 29 mars 2019. Toutefois, les exigences de l’UE pourraient susciter certaines réserves chez les Britanniques. L’UE exige, en effet, que le Royaume-Uni continue, durant la période de transition, à respecter l’ensemble du droit européen ainsi que la compétence de la CJUE, sans pour autant participer aux prises de décision des institutions, organes et organismes de l’UE. Le Royaume-Uni, qui continuerait alors à participer au marché unique et à l’union douanière, devrait donc se conformer à la politique commerciale de l’UE.
Le Royaume-Uni et l’UE pourront seulement définir, au cours de cette deuxième phase, les grands principes d’un accord commercial. Les détails de cet accord pourront en effet seulement être négociés, et l’accord conclu, lorsque le Royaume-Uni aura officiellement quitté l’UE en mars 2019. La seule définition des contours devrait être cependant l’objet d’âpres négociations. L’UE souhaite en effet que les contours de l’accord commercial entre le Royaume-Uni et l’UE soient similaires à ceux des accords conclus entre l’UE et le Canada ou le Japon en raison du souhait du Royaume-Uni de quitter le marché unique. Un accord semblable à celui à l’Accord économique et commercial global (AECG, ou CETA) conclu entre l’UE et le Canada peut en effet répondre à certaines des attentes du Royaume-Uni. Il n’inclut pas la liberté de circulation des personnes à la différence de l’Association européenne de libre-échange (AELE) 1 , et prévoit à terme la suppression presque totale des droits de douane sur les produits industriels, l’élimination de nombreuses barrières non tarifaires et une reconnaissance mutuelle des certificats d’évaluation de la conformité dans un certain nombre de domaines. De plus, un accord semblable au CETA faciliterait l’entrée temporaire de certains travailleurs qualifiés sur le territoire respectif du Royaume-
Uni et de l’UE. Le Royaume-Uni est cependant plus ambitieux et souhaite un accord commercial qui prendrait davantage en compte le secteur des services. Les apports du CETA sont, en effet, limités dans ce domaine. Un tel accord n’offrirait pas l’accès au passeport européen aux services financiers britanniques, ni leur permettrait leur vente dans toute l’UE.
Les négociations s’annoncent donc délicates alors que le Royaume-Uni et l’UE doivent parvenir à un accord de retrait définitif d’ici octobre 2018, afin de laisser le temps au Conseil de l’UE ainsi qu’aux parlements européen et britannique de l’approuver. Ils disposeront également de peu de temps pour parvenir à un accord commercial. La phase de transition devrait, en effet, s’achever au 31 décembre 2020, date à laquelle le budget pluriannuel 2014-2019 arrivera à échéance. En outre, les élections européennes de 2019 pourraient contrarier les négociations.
Jean-Luc Proutat
Catherine Stephan