L’activité ne semble pas avoir vraiment souffert de la crise catalane au plan national. Dans un environnement européen extrêmement dynamique, elle reste solide, et accélère dans le secteur manufacturier. Le taux de chômage poursuit son repli. En Catalogne, les élections régionales n’ont pas apporté l’élément décisif qui dessinera la voie de la sortie de crise. La pression politique pousse chaque camp à adopter une position dure. Le dialogue devrait être pauvre et peu productif à court terme, maintenant un climat d’incertitudes autour de la question catalane.
La reprise économique indemne
A ce stade, les conséquences économiques de la crise politique en Catalogne sont apparemment restées localisées et relativement limitées. À l’échelle régionale, elles ne seront cependant pas négligeables. D’après les données diffusées par l’institut national de statistiques (INE), les ventes au détail ont ainsi lourdement chuté en Catalogne au mois d’octobre (-4,3% g.a.), avant de se redresser au mois de novembre. L’activité touristique semble pour sa part plus durablement touchée, puisqu’au mois de novembre dernier, les recettes touristiques étaient encore en baisse de plus de 4% g.a., contre une hausse de plus de 10% sur l’ensemble du territoire national. Sur l’ensemble de 2017, la Catalogne reste la première destination touristique espagnole (avec plus de 22% des recettes totales), mais le freinage en fin d’année est très sensible. Au final, l’autorité fiscale indépendante (AIReF), qui avait initialement estimé que la crise pourrait coûter un peu moins de 0,5% t/t au PIB catalan au quatrième trimestre, a commencé à revoir cette estimation à la baisse.
Dans ces conditions, et à quelques jours de la publication des premières estimations de la croissance du PIB, l’impact sur la croissance espagnole dans son ensemble devrait être négligeable au 4e trimestre, inférieur à 0,1% t/t. De fait, les données d’enquêtes et d’activité sont rassurantes et suggèrent que la croissance reste sur sa lancée. Dans le secteur manufacturier, tous les indicateurs sont au vert. La croissance de la production dépasse 4% g.a. et accélère depuis septembre, tout comme les exportations (+7% g.a. en volume en octobre). L’indicateur du climat des affaires publié par la Commission européenne est proche d’un point haut historique. Dans les services, les perspectives sont plus stables et toujours extrêmement solides. Dans ce contexte, notre prévision pour 2018 peut être qualifiée de prudente, malgré le contexte politique. Après trois années consécutives au-dessus de 3%, la croissance pourrait ralentir un peu cette année, tout en restant parmi les plus dynamiques de la zone euro. Le taux de chômage pourrait donc poursuivre sa décrue et tomber en dessous de 16% de la population active en milieu d’année.
À moins d’une nouvelle dramatisation du conflit dans les prochaines semaines ou les prochains mois, l’impact économique de la crise institutionnelle devrait donc rester parfaitement limité cette année. À long terme, la question catalane, ses développements ou son issue sont susceptibles d’avoir des effets économiques plus prononcés à l’échelle nationale. Ainsi, une incertitude prolongée pourrait peser sur la dynamique des investissements en Catalogne, sans que ceux-ci ne soient intégralement redéployés dans d’autres régions du Royaume. D’autre part, si le conflit débouche sur une refonte en profondeur du système de péréquation budgétaire espagnol, il faudra évaluer les conséquences de cette réforme sur la maîtrise des dynamiques budgétaires par les autorités centrales et sur la solidité des finances publiques espagnoles. Cela dit, la façon dont ce conflit va se résoudre reste encore très incertaine et, il n’est pas encore possible de tirer ces conclusions.
■ Catalogne, comment éviter l’impasse ?
Si les élections régionales du 21 décembre ont apporté des réponses, elles ont échoué à s’imposer comme l’élément décisif qui dessinera la voie de la sortie de crise. Le premier apport de ces élections est la confirmation qu’il n’y a pas aujourd’hui de majorité des voix, en Catalogne, pour les partis indépendantistes, et donc, a fortiori, pour l’indépendance de la région. Malgré cela, l’addition des suffrages apportés aux trois listes qui les représentaient1 montre qu’ils sont la première force politique de la région et leur fait bénéficier de la majorité absolue des sièges au parlement régional2.
Côté unionistes, Ciudadanos est le grand vainqueur du scrutin, au détriment du parti populaire au pouvoir à Madrid. La formation d’un nouveau gouvernement régional indépendantiste est l’issue naturelle et la plus probable à ces élections, même si les négociations promettent d’être longues et difficiles. En cas d’échec, d’autres coalitions pourraient être recherchées, en particulier avec la participation des élus CatComù-Podem, dont la position reste très ambiguë 3 . Enfin, sans solution fin mars, de nouvelles élections seront convoquées.
Jusqu’ici toutefois, les deux principales formations indépendantistes – dont l’un des leaders est en prison, l’autre en exil à Bruxelles – sont parvenues à surmonter désaccords stratégiques et batailles de leadership pour s’entendre sur l’élection d’un président pour le nouveau parlement catalan lors de la session inaugurale du 17 janvier dernier. La nomination de l’exécutif se révèle plus compliquée. Le principe d’une reconduction de Carles Puigdemont à sa tête avait fait l’objet d’un accord, mais les services juridiques du parlement catalan eux-mêmes jugent que cela ne peut se faire hors la présence physique de l’intéressé. En outre, Mariano Rajoy a prévenu que tout acte illégal de la nouvelle administration catalane empêcherait la levée ou conduirait à la réintroduction de l’article 155 de la Constitution espagnole qui a mis la région sous tutelle de Madrid.
En fait, tout se passe aujourd’hui comme si chaque camp, et en particulier les indépendantistes, s’efforçait d’adopter la position la plus dure possible sans toutefois aller jusqu’à déclencher un nouvel épisode de crise aigüe. Les risques associés à ces numéros d’équilibristes sont réels. Dans un tel climat, il est aujourd’hui difficile de dire sur quelles bases pourront s’installer des discussions entre un futur gouvernement régional indépendantiste et le pouvoir central. Nous nous attendons à ce que l’émergence d’un dialogue soit extrêmement longue, et peu productive à court terme, maintenant un climat d’incertitudes autour de la question catalane.
■ Le budget 2018 en attente
Le budget 2018 est une des principales victimes collatérales du conflit catalan au plan national à ce jour, le gouvernement minoritaire de Mariano Rajoy n’ayant pu le faire adopter compte tenu de l’opposition des élus du parti national basque, opposés à la mise en oeuvre de l’article 155 en Catalogne. C’est donc la levée de ce même article, suspendue à la mise en place d’un exécutif catalan soucieux d’agir dans la légalité, qui devrait débloquer les choses. L’incertitude politique actuelle et les difficultés liées au vote d’un budget rendent peu probable une accentuation des efforts d’ajustement budgétaires, qui restent le parent pauvre de la reprise. Malgré tout, la vigueur de l’activité assure la réduction du déficit. Le solde budgétaire s’est ainsi vraisemblablement établi autour de -3% du PIB en 2017, après -4,3% en 2016. Même en l’absence d’efforts de consolidation significatifs, il devrait tomber très en dessous de ce palier en 2018, permettant ainsi au pays de sortir de la procédure pour déficit excessif et de se conformer à ses engagements européens. Le ratio de dette publique, attendu autour de 98% du PIB fin 2017, va continuer de baisser à un rythme lent, plus lent qu’il ne serait souhaitable dans une période de reprise aussi marquée.
Frédérique Cerisier