Tunisie : les investissements publics productifs pour accroître la croissance et l’emploi
Les études théorique et empirique montrent que l’investissement public productif, notamment dans les infrastructures, l’éducation, l’énergie renouvelable et la santé augmente le capital public et favorise la croissance économique. L’élasticité du PIB par rapport à l’investissement public est estimée entre 0,08 et 0,17 selon les pays.
En Tunisie, la faiblesse du niveau de ces investissements explique en partie la baisse du taux de croissance économique. En effet, les ressources affectées à ces investissements à travers les budgets de l’Etat sont de plus en plus limitées suite d’une part à l’augmentation de la masse salariale et le payement de la dette et d’autre part à la difficulté de lutter contre l’évasion fiscale et à l’amélioration du recouvrement. Dans ce contexte, il est important de concevoir une politique capable de drainer des ressources budgétaires additionnelles pour hisser la croissance grâce à l’investissement public productif par l’introduction de mécanismes innovants de financement.
Plusieurs questions se posent : quelles sont ces mécanismes innovants de financement ? Dans quelle mesure ce nouveau mécanisme de financement offre-t-il une source de revenus stable et pérenne au gouvernement ? Dans quelle mesure permet-il plus d’équité ? Est-ce que les agents ayant des revenus plus élevés contribuent-t-ils davantage au financement ? Est-ce qu’il permet de contribuer à la construction d’un projet national de solidarité ? Est ce qu’il sera appuyé par les différents acteurs économique et politique ? L’objectif de ce billet économique est de tenter de trouver des réponses à ces questions, d’identifier les principaux mécanismes innovants de financement adoptés par les pays développés et en développent et de recommander quelques uns adaptés au contexte tunisien.
Quel est l’impact des investissements publics sur l’économie ?
L’analyse théorique et empirique montre un lien positif entre l’investissement public productif, la croissance économique et le bien-être social. Les infrastructures de réseaux comme les transports et l’internet à très haut débit, les dépenses d’éducation, de santé et de recherche et développement et la mutation vers l’énergie renouvelable sont souvent citées comme les investissements qui favorisent la croissance la plus soutenable.
Ces investissements stimulent l’économie de deux manières :
•A court terme à travers l’augmentation de la demande puisque ces investissements sont des dépenses qui affectent directement le PIB. Les risques souvent cités sont ceux de l’inflation et de l’éviction de l’investissement privé par la hausse des taux d’intérêt induite.
•A long terme à travers l’offre puisque ces investissements impactent positivement la productivité globale de l’économie par les externalités positives qu’elles génèrent sur la totalité de l’économie. Ces dépenses se distinguent des investissements privés et des dépenses de consommation privée et publique. Ces derniers ne génèrent pas des externalités. Par exemple, les transports rapides augmentent la productivité du travail par la réduction des coûts, des gains de temps, d’effort et d’accessibilité et le développement des infrastructures (internet, port, aéroport, barrage etc.) accroissent la rentabilité des entreprises privées et l’emploi.
Cependant, les études montrent que les externalités générées par ces investissements ne sont pas identiques. Par exemple, les investissements dans la recherche et le développement et dans l’infrastructure ont un rendement plus élevé que dans l’activité militaire. Toutefois, les décisions d’investissement doivent être prises au cas par cas, sur la base d’une évaluation de leurs bénéfices et de leurs coûts.
Les études dévoilent que ces investissements sont caractérisés par des rendements marginaux décroissants c’est-à-dire plus l’investissement augmente plus le stock de capital est élevé et plus les hausses de productivité additionnelles seront faibles. La relance par l’investissement public est une solution que les autorités tunisiennes doivent l’explorer pour hisser la croissance et lutter contre la stagnation économique actuelle.
Les finances publiques : les marges de manœuvres sont assez limitées pour financer les investissements publics et générer la croissance La Tunisie passe par une période difficile. Les recettes fiscales ne suivent pas le rythme croissant des dépenses publiques. Cette situation a entrainé plus de déficit et plus d’endettement. En outre, une part écrasante des dépenses publiques est incompressible et consacrée à payer les salaires des fonctionnaires et les dettes extérieure et intérieure, ce qui laisse une marge de manœuvre assez limitée au gouvernement pour financer les investissements publics productifs qui aideraient à promouvoir la croissance du secteur privé est à créer des emplois.
En effet, la part des dépenses d’équipement dans le budget de l’Etat ne cesse de diminuer. Elle est passée de 24.06% en 2010 à environ 15.65% en 2018. Le budget de 2019 prévoit une part de 14.76%. Cette évolution baissière limite la création de la richesse. En revanche, les dépenses non productives augmentent. La part des dépenses consacrées à la masse salariale des fonctionnaires dans le budget de l’Etat est passé de 37.94% en 2010 à 39.33% en 2018 et le budget prévoit un ratio de 40.54% en 2019.
Cette explosion de la masse salariale s’explique essentiellement par deux facteurs :
• La hausse des recrutements effectués depuis 2011 qui a visé l’absorption du mécontentement des chômeurs. Le nombre de fonctionnaires de l’administration publique est passé de 445 mille à 604 mille respectivement entre 2011 et 2015, soit une augmentation de l’ordre de 35.79%.
• L’augmentation des salaires nominaux pour compenser les pertes du pouvoir d’achat suite à la hausse de l’inflation. Le salaire brut moyen mensuel est passé de 1127.5 DT en 2011 à 1388.9 DT en 2015, soit une hausse de 23.18%.
Quelles sont les mécanismes innovants de financements des investissements publics productifs ?
Le mécanisme innovant de financement est utilisé pour la première fois en mars 2002 lors de la Conférence de Monterrey au Mexique. Il s‘agit d’initiatives spécifiques qui visent à lever de nouveaux fonds pour financer des investissements publics ciblés d’intérêt collectif tout en s’appuyant sur des acteurs privés et des instruments de marché. La littérature de l’expérience internationale montre qu’il existe cinq mécanismes innovants :
1.Taxe sur les billets d’avion
Quelles sont les mécanismes innovants de financements des investissements publics productifs ? Il s’agit de l’un des mécanismes de financement novateurs utilisé dans certains pays. Les analyses empiriques montrent que l’élasticité-prix de la demande en billets d’avion est faible et que le secteur des transports aériens ne sera pas affecté par une taxe forfaitaire supplémentaire. En outre, l’analyse de faisabilité technique et institutionnelle montre qu’une taxe forfaitaire et progressive appliquée à l’achat du billet est facile à implémenter. L’expérience internationale montre que la France est le premier pays qui a appliqué en 2006 une taxe progressive d’un euro sur les billets d’avion sur tous les vols européens en classe économique, dix euros en classe affaires et de quarante euros sur les vols internationaux au départ de son territoire. Le Chili a imposé aussi une taxe de deux dollars sur tous les passagers qui quittent le pays. Plusieurs autres pays imposent cette taxe comme la Corée du Sud, la Cote d’Ivoire, le Congo, le Cameroun, le Mali, Madagascar, l’Ile Maurice, le Niger, le Royaume Uni et le Brésil.
2.Taxe sur les ventes d’alcool et du tabac
L’introduction d’une taxe progressive supplémentaire sur les alcools et le tabac pourrait produire des revenus pérennes. Elle sera facile à implémenter et à gérer. Cependant, le risque de développement de la contrebande de ces produits est réel et que le contrôle des frontières est nécessaire. Pratiquement tous les pays pratiquent cette taxe. Cependant, on constate que la taxe varie entre les pays et entre les types de boissons et de tabac.
3.Taxe sur la téléphonie
Plusieurs pays ont appliqué une taxe sur le temps de communication de la téléphonie dédiée à l’investissement productif public. Le Togo a appliqué une taxe sur la téléphonie mobile et le fixe pour financer la santé publique. Le gouvernement des Philippines a imposé une faible taxe sur chaque envoi de SMS pour finances le secteur éducatif. Le Gabon a exigé aussi une taxe de 10% sur les opérateurs de téléphones portables pour financer le secteur de la santé publique. Cependant, cette taxe pénalise les pauvres.
4.Taxe sur le promosport et développement des jeux de hasard
Le promosport est un pari sportif piloté par la société promosport sous tutelle du ministère de la Jeunesse et des Sports. L’imposition d’une taxe additionnelle sur cette activité permet
de financer l’investissement public productif. Les pays européens comme le Royaume Uni, l’Italie, l’Allemagne et les Pays-Bas ont appliqué depuis le début des années 1990 une taxe sur la loterie pour restaurer des monuments historiques. La France a imposé une taxe sur le Loto pour financer l’opération de sauvegarde du patrimoine. En septembre 2018, il a été organisé un loto, en proposant à la vente des tickets à gratter au prix de 15 euros. Pour chaque ticket acheté, la somme de 1,52 euro est consacrée au financement de la sauvegarde du patrimoine. D’une manière générale, l’industrie du jeu de hasard et d’argent constitue un secteur économique et financier important pour collecter des taxes. Elle draine de l’emploi, des recettes fiscales et concerne une population de joueurs qui ne cesse d’augmenter. Cependant, cette industrie doit être strictement contrôlée et régulée pour garantir l’équité, la sécurité et l’ordre public.
5.Le développement et l’institutionnalisation de la Responsabilité Sociétale des Entreprises
La Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) regroupe les actions mises en place par les entreprises dans l’objectif de respecter les principes du développement durable. Plusieurs pays ont mis en place des réglementations pour développer ces pratiques. Aujourd’hui, les entreprises améliorent aussi leur image auprès des citoyens en adoptant des stratégies de communication consacrée à la RSE.
En Tunisie, il existe quelques tentatives personnelles de RSE menées par quelques banques et entreprises. On cite par exemple, Attijari bank qui a pris en charge en 2015, la maintenance, l’entretien et l’équipement de l’école primaire « Naggaz » de la délégation Laâla du gouvernorat de Kairouan et en 2017, les écoles Zghidane de la délégation de Saouaf, Jabouza de la délégation de Takelsa et Chorfane de la délégation de Menzel Bouzelfa.
Le World Forum for a Responsible Economy publie les résultats des performances des pays relatives à la règlementation et l’importance de l’activité RSE et son lien avec le développement durable. En 2018, le classement met les pays scandinaves et européens au podium. Le Top 10 des pays sont les suivants : Suède, Finlande, Norvège, Danemark, Islande, Suisse, Allemagne, France, Lettonie, et Royaume-Uni La Tunisie, devra institutionnaliser la RSE pour permettre aux entreprises de contribuer par exemple à lutter contre l’abandon scolaire, la protection de l’environnement etc.
Il est nécessaire d’augmenter les investissements publics productifs pour accroître la croissance et l’emploi. La faiblesse de la marge de manœuvre des autorités publiques pour financer ces investissements ne veut pas dire qu’il ne faut pas chercher d’autres sources de financement. Le mécanisme de financement innovant est plus facile à justifier auprès de la population que les taxes directes. Il ressort de l’expérience mondiale, que les cinq mécanismes innovants ont contribué dans une grande partie à financer les investissements publics productifs.
Il est important pour la Tunisie de tirer profit de ces expériences pour drainer des ressources budgétaires additionnelles qui seront consacrées au financement des secteurs productifs comme l’éducation, la santé, l’énergie renouvelable et l’infrastructure. Ces mécanismes méritent des réflexions plus poussées dans l’objectif de les mettre dans un cadre de projet basé sur la solidarité nationale.