Les entreprises industrielles ont souffert du resserrement de leurs conditions de crédit en 2017 et début 2018, puis du ralentissement de leur activité et de leur chiffre d’affaires. Ces difficultés ont contribué à la détérioration de leur capacité de paiement en 2018, avec notamment la multiplication des défauts sur le marché obligataire local. Indicateur de la fragilité financière des entreprises, la montée des défauts semble aussi accompagner une plus grande différenciation des risques de crédit par les créanciers et un certain assainissement du secteur financier. Cette dynamique pourrait se poursuivre à court terme avec l’assouplissement ciblé de la politique monétaire. Cependant, la persistance de l’excès de dette des entreprises entretiendra les risques de crédit à moyen terme.
Les entreprises chinoises ont évolué dans un environnement difficile en 2018, faisant face au durcissement de leurs conditions de financement puis à l’affaiblissement de leur activité. Leur capacité de paiement s’est dégradée en conséquence, alors que leur endettement reste excessivement élevé. Depuis quelques mois, en réponse à l’aggravation du ralentissement économique, les autorités ont introduit des mesures budgétaires de soutien à la demande et assoupli la politique monétaire. Cette orientation accommodante devrait être maintenue à court terme et ainsi permettre un ralentissement modéré de la croissance en 2019. Dans ce contexte, comment évolueront les risques sur les crédits aux entreprises ?
Un environnement complexe pour les entreprises
Depuis la fin de l’année 2016, il est devenu plus difficile pour les entreprises d’accéder au crédit. Les autorités ont durci leur politique monétaire de fin 2016 jusqu’au T2 2018, avant de procéder à un assouplissement prudent, et le cadre réglementaire du secteur financier a été considérablement renforcé. La croissance des crédits totaux à l’économie a ainsi ralenti progressivement, avant de se redresser légèrement au T1 2019 (graphique 2). Le taux moyen sur les prêts bancaires a augmenté de 5,3% fin 2016 à 6% mi-2018, avant de redescendre à 5,6% à la fin de 2018.
Aux conséquences du durcissement des conditions de financement sur la croissance se sont ajoutés les effets de la détérioration de l’environnement international. Les entreprises du secteur industriel ont été les plus fragilisées par l’affaiblissement de leur activité dans ce contexte de moindre progression de la demande interne et externe. La croissance de la production industrielle a atteint un point bas de 5,3% en g.a. en janvier-février 2019, contre 5,7% par mois en moyenne en septembre-décembre 2018 et 6,5% en janvier-août 2018. Alors que la demande mondiale s’essouffle, le secteur manufacturier exportateur a été durement touché par les hausses de droits de douane américains. Les effets de la dernière hausse (de 10% en septembre) ont été sévères, puisque le total des exportations s’est contracté de 0,1% en g.a. en novembredécembre 2018 et de 5,2% en janvier-février 2019 (mais a rebondi en mars). Les entreprises industrielles tournées vers le marché
intérieur ont quant à elles continué de souffrir du repli des transactions sur le marché immobilier (+1,3% seulement en 2018 and -3,6% en g.a. en janvier-février 2019) et du ralentissement des ventes au détail, en particulier dans les secteurs des biens durables et de l’automobile (les achats de véhicules ont chuté de 3,1% en 2018 puis de 15% sur les deux premiers mois de 2019).
L’affaiblissement de la demande, la diminution des taux d’utilisation des capacités de production en 2018 (après deux années d’amélioration) et la baisse des prix de l’énergie en fin d’année ont conduit à une rapide désinflation de l’indice des prix à la production (+0,2% en g.a. au T1 2019 contre 3,7% au T1 2018). Or, les revenus des sociétés sont historiquement très corrélés à cet indice. Les profits des entreprises industrielles ont d’ailleurs ralenti depuis mi-2018 et chuté de 14% en g.a. sur les deux premiers mois de 2019.
Multiplication des événements de défaut
Dans cet environnement, la capacité de paiement des entreprises s’est dégradée. Les délais de paiements aux fournisseurs ont été allongés et les retards multipliés, contribuant à la diffusion des difficultés dans l’économie. Selon les données de la Coface, la durée moyenne des retards de paiements s’est accrue (les transports et la construction affichent les retards les plus longs, supérieurs à 100 jours). Surtout, des retards de paiements « ultra longs » (dont 80% ne sont jamais honorés) ont été observés dans de nombreux secteurs (notamment dans la construction, l’automobile, le textile, les technologies de l’information et de la communication et les transports).
Du côté du remboursement de la dette, les banques commerciales n’ont enregistré qu’une légère hausse de leurs ratios de créances douteuses (à 1,83% fin 2018 contre 1,74% fin 2017). L’augmentation du nombre de défauts sur le marché obligataire local est plus spectaculaire : il est passé de moins de 20 par an en 2015-2017 à près de 40 en 2018 et 10 au T1 2019 (divers secteurs sont concernés, en premier lieu celui de l’énergie). Le montant de dette en défaut reste limité (USD 16 mds en 2018, soit moins de 0,5% du stock d’obligations des entreprises). Il n’en demeure pas moins que la multiplication de ces événements indique une détérioration de la situation financière des entreprises, mais aussi un changement de comportements sur le marché chinois (le premier défaut obligataire n’a eu lieu qu’en 2014). Et ce d’autant plus que les défauts ne touchent pas que des entreprises privées, mais aussi quelques entreprises publiques, signifiant que le soutien de l’Etat ne peut plus être considéré comme totalement certain.
La montée des risques de défaut, signal inquiétant de la fragilité des entreprises, semble donc accompagner un certain assainissement des pratiques de crédit. En outre, les autres sources de vulnérabilité et les risques d’instabilité dans le secteur financier se sont atténués depuis deux ans en réponse au resserrement monétaire et réglementaire. D’une part, la baisse des financements interbancaires a réduit les interconnexions entre les institutions financières (bancaires et non bancaires) et permis leur désendettement. D’autre part, les activités de shadow banking1 se sont réduites (graphique 3). Dans ce contexte, le secteur des entreprises a commencé à enregistrer une légère baisse de son ratio de dette-sur-PIB (estimé à 133% fin 2018 contre 137% fin 2017)2. Mais cette dernière dynamique devrait s’inverser en 2019.
Vers une meilleure appréciation des risques de crédit
Entre croissance et désendettement, la priorité des autorités a changé depuis quelques mois : la politique économique actuelle vise d’abord à soutenir l’activité à court terme. Le crédit bancaire et les financements obligataires ont de fait ré-accéléré légèrement depuis le T4 2018 et l’investissement dans les infrastructures publiques s’est renforcé. Avec la multiplication des mesures d’incitations fiscales depuis le début de 2019, ceci devrait aider la croissance économique à se redresser – très modérément – après avoir touché un creux sur la première partie de l’année. En outre, l’assouplissement des conditions de crédit devrait aussi améliorer la situation de trésorerie des entreprises. Les risques de défaut restent néanmoins élevés, du simple fait de la persistance de l’excès de dette des entreprises. Ainsi, le nombre de défauts sur le marché obligataire devrait d’autant plus augmenter que les tombées de dette des entreprises non financières atteindront un montant record en 2019 (USD 459 mds selon l’Institute of International Finance).
Dans le même temps, une sélection plus « positive » entre les différentes catégories d’emprunteurs pourrait s’opérer. Tout d’abord, les autorités procèdent à un assouplissement monétaire « ciblé » : les banques sont notamment encouragées (via des directives ou des facilités de financement dédiées) à augmenter leurs prêts aux entreprises privées, PME et entreprises les plus saines. En outre, la multiplication des défauts semble conduire à une hausse de l’aversion au risque et à une meilleure appréciation des risques par les créanciers. Les sociétés les plus fragiles pourraient donc voir leurs conditions de financement continuer de se dégrader. Enfin, la réduction des risques d’instabilité financière reste un objectif clé pour Pékin, et des efforts de réforme de la réglementation financière et des entreprises publiques devraient être maintenus. Les divergences de performance entre institutions financières devraient continuer de croître, les grandes banques restant relativement solides et les autres (petites banques et non-banques) subissant la hausse des créances douteuses et la détérioration de leur liquidité et solvabilité. Là aussi, les difficultés de certaines institutions, tout en exposant la Chine à des épisodes de stress et de volatilité, pourront être le signe d’un certain assainissement du système.