La Tunisie tarde encore à se libérer du carcan du modèle de développement d’avant 2011 et fait les frais d’une gouvernance économique improvisée. Le pays peine à trouver son propre modèle et se trouve piégée par des revendications sociales pressantes, couplées à une instabilité politique, qui impactent lourdement les performances économiques du pays.
Or, la sortie de crise exacerbée par la COVID-19 ne pourra pas se faire sans reprise massive des investissements. Ceci requiert une vision long terme ambitieuse et rassurante, avec un cadre institutionnel adopté par l’ensemble des parties prenantes, et un cadre réglementaire clair et consistent.
Un bout du chemin a été fait avec l’appui de l’OCDE et de la Banque Mondiale entre autres. Ces derniers ont aidé la Tunisie à se doter de nouvelles Lois sur le PPP, sur l’investissement, sur les zones d’activité logistique, et plus récemment une Loi dite transversale pour l’environnement des affaires. Toutes ces réalisations rassurent sur la capacité de la Tunisie de reprendre sa place parmi les pays les plus attractifs en matière d’entrepreneuriat et d’investissement. D’ailleurs, le rapport annuel de la Banque Mondiale «Doing business-2020» établissant le classement de 190 économies par rapport à la facilité de faire des affaires, vient de confirmer que la Tunisie, pour la deuxième année consécutive, a amélioré son classement mondial de la 80e à la 78e position, avec un score augmenté de 66,11/100 à 68,7/100. Il reste néanmoins un grand écart à combler pour revenir au classement de 2010, soit la 40ème place.
A titre d’illustration, la nouvelle loi sur l’investissement, entrée en vigueur le 1er avril 2017, offre de nombreux avantages, notamment:
- la liberté totale de participation étrangère au capital des sociétés offshore,
- La réduction du nombre d’autorisations et révision des spécifications pertinentes, la liberté d’accès à la propriété foncière pour la réalisation de l’investissement, des garanties à l’investisseur conformes aux normes internationales de traitement juste et
- équitable et de protection de la propriété industrielle et intellectuelle,
- La liberté de transfert de fonds (bénéfices, dividendes et avoirs) à l’étranger,
- La possibilité d’embaucher 30% de cadres étrangers pendant les 3 premières années par simple déclaration et 10% par la suite avec 4 cadres garantis dans tous les cas,
Côté incitations financières et fiscales:
- un taux d’imposition sur le revenu réduit à 10% pour les entreprises totalement exportatrices,
- une exonération totale de la TVA et des droits de douane sur les intrants des produits à réexporter,
- une exonération fiscale totale des avantages jusqu’à 10 ans accordée aux entreprises opérant dans les zones de développement régional
- une subvention d’investissement spécifiques dans les zones de développement régional couvrant jusqu’à 30% du coût d’investissement plafonné à 3 MTND
- une subvention de rendement économique sur les investissements immatériels et les dépenses de recherche et développement
- une subvention de la contribution des employeurs aux régimes obligatoires,
- une subvention des dépenses engagées dans le cadre des programmes de formation menant à la certification,
Avec tout ça, les résultats se font toujours attendre. La Tunisie pourrait faire beaucoup mieux en termes de création de valeur, si les décideurs politiques arrivent à prendre conscience de l’énorme potentiel de développement qui réside dans le secteur agricole en particulier. Et ce, grâce au moins à deux avantages intrinsèques, l’existence de chaînes de valeur s’appuyant sur des sources et des ressources locales qui peuvent être dynamisées, ainsi que l’ouverture du marché africain à la suite de la mise en place de la Zone de Libre Echange Continentale Africaine.
Paradoxalement, le secteur agricole tunisien n’arrive toujours pas à s’imposer et connait sans cesse un recul, et ce depuis l’instauration de la fameuse Loi de 1972 qui a mis sur les rails une stratégie industrielle basée sur le offshoring en Tunisie. Le principe de cette politique est basé sur une dichotomie offshore / onshore séparant les filières non exportatrices des filières exportatrices, en réservant des privilèges administratifs, logistiques et douaniers à ces dernières. Cette politique a ouvert les portes à l’investissement direct étranger dans les industries manufacturières. Autre fruits palpables, la Tunisie jouit actuellement d’un statut de pays ouvert, puisque ses exportations représentent la moitié du PIB aujourd’hui, contre un tiers il y a vingt ans. Entre temps, l’agriculture est passée de plus de 10% PIB dans les années 80 à moins de 8% dans les années 2020.
Cette croissance tirée par les exportations est largement fondée sur l’intégration commerciale avec les pays de l’Union Européenne (UE), qui est le premier marché de la Tunisie, en absorbant 80 pourcents des exportations, et fournit les deux tiers des importations. Cet ancrage européen est donc un élément primordial de la compétitivité tunisienne. Ceci a été possible grâce à des investissements massifs dans l’infrastructure, à l’instar du port de Radès construit en 1985 pour accompagner l’accélération du développement qu’a connu le pays, et renforcer son partenariat économique avec l’Union Européenne, confortée par l’accord d’association signé en 1995 et entré en vigueur en 1998.
Néanmoins, cette orientation obstinée de développement par les exportations a occulté l’intérêt des chaînes d’approvisionnement locales restées dans le domaine archaïque de l’administration onshore. La Tunisie a fini par payer cette négligence dans sa politique publique. Ce qui a engendré après la Révolution une explosion des circuits parallèles de distribution, entrainant une grande partie des chaînes d’approvisionnement locales dans l’informel. Ceci met en péril les acquis sociaux, la santé publique et l’état de droit dans le pays.
Les bailleurs de fonds internationaux ont largement contribué à consolider l’essor du développement industriel du pays. Lors du dernier round de négociation tenu en Mai 2021 à Washington, la Tunisie a présenté au FMI une requête présentant les réformes à mettre en œuvre dans le cadre d’un nouveau programme de soutien financier. Le financement demandé, sous forme d’appui budgétaire, soutiendra les efforts proactifs du gouvernement tunisien pour contenir la propagation du virus COVID-19 et atténuer ses conséquences humaines, sociales et économiques. Les ressources du FMI permettront à la Tunisie d’augmenter ses investissements, de réduire les pressions sur le budget de l’État et la balance des paiements. Le financement du FMI contribuera également à catalyser un soutien supplémentaire des donateurs, fort nécessaire en ses temps de vaches maigres. Espérons que les investissements seront orientés vers des chaînes de valeur qui prennent leur source en Tunisie. Ce qui profitera au secteur agricole en priorité. Bien sûr celui-ci devrait être soutenu par un secteur logistique performant, une stratégie d’aménagement du territoire cohérente et un plan de construction et d’interconnexion des infrastructures utiles pour le progrès social, économique et environnemental.
Mondher Khanfir