TUNIS (TAP) – L’ambassadeur de France à Tunis, François Gouyette souligne « l’appui résolu » de la France, à notre pays, dans une interview accordée à l’Agence TAP, à la veille de la visite officielle du Chef du gouvernement, Habib Essid en France (les 22 et 23 janvier 2016).
Il annonce la signature à Paris, de la convention de conversion de créances, en projets de développement (à hauteur de 60 millions d’euros, soit près de 133,7 millions de dinars), dont en priorité le projet d’hôpital régional à Gafsa.
Question: Quelle est votre appréciation de la situation politique et économique en Tunisie, 5 ans après la Révolution?
R: Chacun connaît les difficultés que vit la Tunisie. Pour les résoudre, redresser l’économie et assurer une plus grande justice sociale, le pays avait besoin de renouer avec la stabilité politique. En 2013, la Tunisie a surmonté une grave crise politique qui aurait pu l’entraîner dans une spirale de violence. C’est à juste titre que le prix Nobel de la Paix est venu récompenser le Quartet et, à travers lui, l’ensemble des forces politiques tunisiennes.
A l’époque, seul le consensus était en mesure de remettre le pays sur les rails de la transition démocratique. Le succès des élections de 2014, qui se sont déroulées dans un climat serein et dont les résultats sont incontestables, a permis d’installer les premières autorités démocratiquement élues de l’histoire de la Tunisie.
C’est une réussite démocratique, mais c’est aussi, une condition indispensable à la mise en œuvre des réformes que les Tunisiens attendent, et qui favoriseront le retour des investisseurs. Notre appui va maintenant à la consolidation des institutions démocratiques et à l’accompagnement des autorités dans ce processus de redressement.
Je voudrais dire aux Tunisiens que leur pays dispose des atouts nécessaires pour réussir, qu’ils doivent continuer à croire en l’espérance qui s’est levée en 2011 et qu’ils peuvent compter sur l’appui résolu de la France. Nous restons le premier partenaire de la Tunisie, notamment au plan économique. Les chiffres sont éloquents : l’Agence française de développement a engagé 230 millions et 224 millions d’euros en 2014 et 2015. Nous allons continuer cet effort.
Q: Le chef du gouvernement, Habib Essid effectue sa première visite officielle en France, quel est l’impact attendu de cette visite sur les relations bilatérales?
R: Lors de son déplacement en France, le chef du gouvernement tunisien sera reçu par le Président de la République, le Premier Ministre, le Président du Sénat et la Maire de Paris. Cette visite officielle revêt plusieurs aspects, tous significatifs.
Il s’agit, d’abord, de rappeler la proximité des liens qui unissent nos deux pays et l’étroitesse de notre coopération. La fréquence des visites bilatérales (plus d’une dizaine en 2015, dont, au premier chef, la visite d’Etat du Président Caid Essebsi à Paris, en avril), reflète l’intensité de nos échanges et l’importance stratégique de la relation franco-tunisienne dans cette période particulière.
Le déplacement de M. Essid sera l’occasion d’échanges à haut niveau sur notre coopération, qui s’intensifie dans tous les domaines. En particulier, les deux chefs de gouvernement prépareront la première réunion du Conseil de Haut Niveau, annoncée lors de la visite d’Etat du Président Caid Essebsi, et qui instaure un cadre institutionnel de dialogue politique entre les deux pays.
Le Premier Ministre français, Manuel Valls, se rendra en Tunisie pour co-présider avec son homologue tunisien, la première réunion de ce conseil, courant 2016.
Q: A votre avis, est-ce que la France prendra la décision à l’instar de l’Allemagne, de convertir une partie de la dette tunisienne en projets de développement, si oui quel sera le montant à convertir?
R:Le Président Hollande a annoncé, lors de la visite d’Etat du Président de la République tunisienne, une conversion de créances en projets de développement à hauteur de 60 millions d’euros.
La convention qui sera signée pendant la visite à Paris, du chef du gouvernement tunisien représente un effort significatif de la France.
A la demande des autorités tunisiennes, le projet d’hôpital régional à Gafsa est aujourd’hui, une priorité, pour la mise en œuvre concrète de cette conversion. Il inclut une assistance technique française et constituera un bel exemple de coopération bilatérale, dans le domaine de l’ingénierie hospitalière et médicale dans la région.
Q: La France compte-t-elle agir pour augmenter le flux de touristes français vers la Tunisie?
R: Il ne s’agit pas de prendre des dispositions, car la venue de touristes dans un marché qui est aujourd’hui, très concurrentiel, ne se décrète pas. Par contre, la France se tient aux côtés de la Tunisie pour l’aider à dépasser les épreuves qui ont durement touché le secteur en 2015, à faire face à cette situation difficile et à rénover le secteur du tourisme.
J’observe, au demeurant, qu’en 2015, le tourisme en provenance de France a plutôt mieux résisté, que celui d’autres pays, en enregistrant un recul inférieur à la moyenne européenne. Avec plus du tiers du total des flux, la France reste le premier pourvoyeur européen de touristes en Tunisie.
De par le passé, de nombreuses actions ont été entreprises pour aider la Tunisie dans ce secteur, notamment, par l’Agence Française de Développement (ligne de crédit pour la mise à niveau des unités hôtelières, subvention pour la rénovation de centres de formation) et par l’Institut Français dans le cadre de la coopération décentralisée (dans les gouvernorats de Médenine, Bizerte et le Kef). Nous allons poursuivre dans cette voie. En particulier, le lancement d’un programme d’assistance technique financé par l’Union européenne et mis en œuvre par la France et l’Autriche est très prometteur.
Ce jumelage, comme on l’appelle, doit permettre de créer un label qualité tourisme et renforcer le positionnement de la destination Tunisie en Méditerranée.
Q: Comment évaluez-vous la situation sécuritaire en Tunisie, que pensez-vous des efforts déployés par le gouvernement tunisien dans la lutte contre ce phénomène et où en est l’appui de la France dans ce domaine?
R: La Tunisie a été durement frappée par le terrorisme en 2015. La menace persiste en 2016, en raison, tout particulièrement, de la progression de l’implantation de Daech en Libye, qui s’appuie sur des éléments, notamment, tunisiens, d’Ansar Echaria.
Tous les Tunisiens doivent savoir que la France se trouve à leurs côtés dans ce combat et adresse ses pensées aux victimes et à leurs familles. Le 28 mars dernier, le Président de la République française est venu marcher aux côtés de son homologue tunisien et d’autres chefs d’Etat et de gouvernement, pour témoigner de sa solidarité et de son soutien.
Comme la France, la Tunisie est visée par le terrorisme en raison de son attachement aux valeurs démocratiques, de pluralisme et d’ouverture. Les trois attentats de l’année 2015, au Bardo, à Sousse et à Tunis ont montré que la réussite de la transition démocratique tunisienne est insupportable pour les obscurantistes de Daech. Nos deux pays sont confrontés à la même menace et affichent la même détermination à la combattre.
M. Habib Essid vient encore de m’assurer de la mobilisation entière de son gouvernement dans cette voie. Il peut compter sur notre appui.
C’est un soutien à bien des égards, exceptionnel, que nous apportons à la Tunisie pour consolider la jeune démocratie tunisienne, pour l’aider à redresser son économie, conforter ses institutions, réaliser les projets qui contribueront à assurer une plus grande justice sociale et assurer un meilleur développement de ses régions les plus défavorisées. Mais c’est bien sûr, dans le domaine de la sécurité que notre effort s’accentue le plus, depuis plus d’un an maintenant. Le volume de notre coopération a été multiplié par quatre, tant en matière sécuritaire que militaire.
La France et les partenaires de la Tunisie rassemblent leurs énergies pour renforcer les capacités et le savoir-faire des forces armées tunisiennes, pour l’aider à mieux protéger son territoire, détecter la menace et sécuriser ses frontières.
Q: Comment peut-on attirer davantage d’investissements français vers la Tunisie?
R: Il s’agit d’une question majeure, car les entreprises et les investissements (qu’ils soient tunisiens ou étrangers) sont les moteurs de l’économie tunisienne. La France demeure le premier investisseur dans le pays, hors secteur de l’énergie. Selon les données de la FIPA, au cours des neuf premiers mois de 2015, les investisseurs français sont de loin, ceux qui ont investi le plus en Tunisie, à hauteur de 185 millions de dinars (hors secteur de l’énergie). Cela représente près du tiers des investissements directs étrangers sur cette période. En termes d’emplois, cela représente la création de plus 2 700 postes nouveaux, soit près de la moitié des emplois créés par les investissements étrangers.
Les IDE de France (hors énergie) ont progressé de 80%, alors que l’ensemble des IDE a stagné. Cela montre que, même si l’année a été difficile et le climat d’investissement peu propice, les investisseurs français gardent confiance dans la Tunisie. Cela me semble être un signal fort.
Bien sûr, il existe des marges de manœuvre. La Tunisie doit poursuivre ses efforts pour renforcer la sécurité du pays, qui est un critère majeur pour toute décision d’investissement. La Tunisie doit aussi, accélérer les réformes afin d’améliorer le climat des affaires et renforcer l’attractivité du pays. Je pense à la réforme du secteur bancaire, à la réforme fiscale, à la réforme du système douanier, à l’adoption des décrets d’application pour la loi sur le partenariat public-privé ou sur les énergies renouvelables. La stabilité du dispositif réglementaire et le climat social sont aussi, des points d’attention pour les investisseurs.
L’ensemble de ces questions préoccupent les entreprises françaises présentes en Tunisie, mais également celles qui projettent d’y investir. La Tunisie dispose d’atouts indéniables, qu’il convient de valoriser et de renforcer.