Une ancienne étude américaine faisant état de l’existence d’un important bassin pétrolier au niveau de la zone pélagique des côtes tunisiennes, vient de refaire surface pour susciter la polémique sur les réseaux sociaux. Cette polémique a été accompagnée d’un brin d’optimisme chez certains dans la mesure où cette nouvelle découverte pourrait contribuer à une relance économique de la Tunisie.
Pour vérifier l’exactitude de ces informations, l’agence TAP a contacté Habib Troudi, docteur en géologie et consultant à l’Entreprise tunisienne d’activités pétrolières (Etap).
D’après lui, l’étude en question ne peut servir de référence scientifique car « elle ne repose pas sur des analyses de prospection sismiques ». Par conséquent, le bassin pélagien doit encore faire l’objet de prospection.
Une étude américaine relayée récemment, sur le net, révèle que la Tunisie dispose d’un potentiel pétrolier important. Qu’en pensez-vous ?
Habib Troudi : Le document en question est une simple étude géologique publiée par l’US Geological Survey, en 2011. Elle a été menée dans le bassin de Syrte en Libye et ceux avoisinants dont le bassin pélagique tunisien. Riche en sédiments, ce bassin couvre les golfes de Gabès et de Hammamet, le Sahel, Sfax, Tunis, Kairouan et le Cap Bon. Bon nombre de rapports se sont intéressés à ce champ pétrolier. Moi-même, j’ai publié une étude en 2017 qui a mis en lumière la possibilité d’existence de pétrole brut. Depuis 1970, cette zone a connu plusieurs campagnes de prospection sismique qui ont couvert près de 200 mille km et permis le forage de 220 puits au golfe de Gabès, à Hammamet, au Sahel et au Cap Bon. A l’issue de ces campagnes, huit champs pétroliers ont été découverts. Cependant, aucune exploration n’a été menée dans ce bassin, depuis 1990 pour l’unique et simple raison que la plupart des études ont confirmé l’absence de ressources pétrolières en abondance.
Est-ce que vous désapprouvez par conséquent les résultats de l’étude américaine ?
Habib Troudi : Cette étude manque malheureusement, de précisions dans la mesure où elle ne repose pas sur des analyses sismiques. Ces analyses permettraient en effet, aux explorateurs d’avoir une idée sur les gisements pétroliers existants. De ce fait, nous ne pouvons pas considérer cette étude comme une référence scientifique.
Pensez-vous que l’ETAP est prête à prospecter le bassin pélagique tunisien ?
Habib Troudi :La plupart des compagnies pétrolières s’accordent pour dire que ce bassin n’est pas attrayant en matière d’investissement, car il n’est pas en mesure de produire suffisamment d’hydrocarbures. Néanmoins, à l’ETAP, nous œuvrons à mener des études approfondies afin de prospecter le potentiel pétrolier de ce bassin.
Je tiens à préciser, dans ce contexte, que l’ETAP veille à développer les opérations d’exploration, notamment par l’utilisation de technologies de pointe et en se référant à des études multidisciplinaires déjà réalisées. Il est à noter que le forage de 300 puits dans la zone en question ne permet pas de donner une idée claire sur ses potentialités, d’autant plus que les études recommandent de forer un puits pour chaque kilomètre carré.
Je pense, personnellement, que le bassin Pelagien, notamment au niveau de la zone terrestre, du côté du Sahel, peut contenir des gisements non conventionnels.
La carte des permis de recherche pétrolière et gazière est souvent méconnue en Tunisie, est ce que vous pouvez nous donner plus d’éclairages à son sujet ?
Habib Troudi : Je tiens à souligner, tout d’abord, que la Tunisie n’est pas parvenue, depuis environ 15 ans, à attirer une grande compagnie d’exploration en raison des difficultés d’exploration, du point de vue géologique, surtout au niveau des bassins, situés au nord et au centre. A cela s’ajoute, le cadre juridique qui demeure inadéquat et qui attend toujours la finalisation de l’amendement du code des hydrocarbures, actuellement en cours.
La carte des permis de recherche en Tunisie comprend 1100 puits, dont 80% sont non productifs, ce qui rend le taux de réussite des forages pétroliers très minime, ne dépassant pas 10%.
Par ailleurs, le puits se situe généralement, à un niveau de profondeur de plus de 3 km, ce qui nécessité un coût de forage très élevé, variant entre 15 et 20 millions de dollars, pour le forage à terre, et entre 40 et 50 millions de dollars, pour le forage en mer.
Ceci explique la baisse de la production nationale, qui est passée d’environ 80 mille barils/ jour en 2000, à 35 mille barils/ jour actuellement. Par conséquent, le déficit énergétique s’est creusé, les importations énergétiques ont augmenté et aussi les charges de subvention.
Face à cette situation inquiétante, existe-t-il d’autres alternatives? Doit-on, d’après vous, investir dans le gaz de schiste ?
HabibTroudi : Nous avons réalisé, en 2010, une étude sur les gisements de gaz de schiste, dans le bassin de Ghadamès au sud de la Tunisie, avec la participation d’un groupe d’ingénieurs et d’experts. Cette étude de référence a fait ressortir que les réserves disponibles en gaz de schiste dans ce bassin pourraient réduire le déficit énergétique en Tunisie.
Mais, l’exploration du gaz de schiste nécessite le forage d’un, deux ou trois puits pour s’assurer de l’existence des réserves, ce qui a été fait en Algérie, pays qui a prouvé la disponibilité du gaz de schiste sur son territoire.
J’espère, finalement, que la nouvelle législation permettra d’appuyer l’activité d’exploration des énergies fossiles et des gisements conventionnels et non conventionnels, en attendant le développement de l’exploitation des énergies alternatives.