À la tête de la compagnie depuis six mois, Sarra Rejeb doit réussir à la maintenir sur un marché ultra-concurrentiel, malgré le passif financier et la lourdeur administrative de l’État, actionnaire principal.
Sans un tarmac de qualité, aucun avion ne peut décoller, et sans une base économique solide, aucune compagnie aérienne ne peut survivre. Combler les dettes « nids-de-poule », étendre la surface d’activité, aplanir les différends avec l’État, telle est la tâche que s’est assignée Sarra Rejeb en prenant la tête de Tunisair en avril. Passée par l’École des ponts et chaussées à Paris, la PDG de 55 ans se donne jusqu’en 2020 pour remettre la société sur pied.
Le trafic de Tunisair (sans compter les vols avec la Libye et la Russie) a chuté de 9,6 % depuis janvier, élevant les pertes de la compagnie à environ 100 millions de dinars (45,1 millions d’euros) par an, pour un chiffre d’affaires de 900 millions de dinars. Le plan de redressement, qui doit être validé par les autorités, tient en trois points : moins d’interventions de l’État, plus d’activité, et des coûts largement revus à la baisse.
Sur ce dernier point, deux dossiers sont brûlants : le sureffectif et l’intégration des filiales. L’ancienne direction avait annoncé le départ en retraite anticipée de 1 700 employés du groupe – sur 8 500. La nouvelle PDG a abaissé ce chiffre à 1 000 : « L’ancien calcul s’appuyait sur le ratio du nombre d’agents par avion. Nous avons préféré faire un calcul du nombre d’agents poste par poste. » Le départ volontaire du personnel coûterait 95 millions de dinars, somme qui devrait être entièrement prise en charge par l’État. « Nous n’avons pas les moyens de payer », justifie Sarra Rejeb. Celle-ci prône par ailleurs une prise en charge allégée de la tutelle gouvernementale : « Nous avons proposé que l’État réalise son contrôle a posteriori par rapport aux décisions et non a priori, car nous avons besoin de réponses rapides. »
Intégrer les filiales alourdit la masse salariale sans apporter de valeur ajoutée. Par exemple, Tunisair Catering s’occupe des repas, mais ce n’est pas du tout le métier de Tunisair, explique Nizar Jouini
Quant à l’intégration des filiales, elle donne lieu à un autre bras de fer avec la puissance publique. Au lendemain de la révolution, le gouvernement et l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) ont signé un accord pour que les filiales soient réintégrées au vaisseau. Familiarisée avec les arcanes de l’administration, après trente et une années au ministère des Transports, la présidente louvoie. Deux sociétés pourraient être absorbées : AISA, qui s’occupe de l’informatique, et Tunisair Express (ex-Sevenair), qui transporte les voyageurs des régions de l’intérieur vers Tunis.
« Ces filiales peuvent créer une synergie et nous apporter plus d’efficacité, commente Sarra Rejeb. Pour les autres, nous avons aligné le statut et le salaire des employés sur ceux de Tunisair. C’est au ministère des Transports de prendre la décision pour la suite. » Nizar Jouini, expert senior à l’institut économique tunisien Nabes, traduit : « Intégrer les filiales alourdit la masse salariale sans apporter de valeur ajoutée. Par exemple, Tunisair Catering s’occupe des repas, mais ce n’est pas du tout le métier de Tunisair. » Pour Sarra Rejeb, la réduction des coûts est une condition sine qua non pour maintenir une politique de développement ambitieuse.
Conditions
En décembre, le transporteur desservira le Soudan et le Niger ; en avril 2016, le Cameroun et le Gabon ; en novembre 2016, le Congo et la RD Congo ; en avril 2017, le Nigeria, le Ghana, le Tchad et le Bénin. De nouvelles destinations demandées par l’État pour développer le tourisme médical (Soudan) ou la venue d’étudiants, notamment des pays francophones subsahariens. Sarra Rejeb accepte, mais pose ses conditions : « Nous avons déterminé un taux de remplissage à partir duquel Tunisair est bénéficiaire. Si nous ne l’atteignons pas, ce sera aux acteurs économiques [dont l’État] de combler le déficit. » La PDG a également demandé au ministère des Affaires étrangères de simplifier les procédures de visa.
Le nombre de vols au départ et à l’arrivée de l’Algérie sera multiplié par trois, passant à 42 vols hebdomadaires
Une ligne transatlantique en direction de Montréal est à l’étude, pour le prestige mais aussi du fait de la présence de nombreux émigrés sur le sol canadien. Tunisair a par ailleurs ouvert une représentation en Russie pour redynamiser le marché. Ces ouvertures de lignes s’accompagnent d’un renforcement des marchés classiques. Le nombre de vols au départ et à l’arrivée de l’Algérie sera multiplié par trois, passant à 42 vols hebdomadaires. Quant à la France, qui représente 40 % du chiffre d’affaires, elle fera l’objet d’une politique d’amélioration de la qualité des services qui passera par la fermeture de représentations régionales que n’a pas voulu nommer la direction.
Sarra Rejeb veut préparer Tunisair à faire face à la concurrence. Sur le plan national, la présence de Syphax, actuellement en grande difficulté financière, ne l’inquiète pas : « Le pavillon national a besoin de plus d’opérateurs. Syphax veut aussi aller en Libye et en Algérie. Il y a de la place pour deux, alors que le meilleur gagne », lance-t-elle. Ce que la PDG redoute davantage, c’est la mise en place de l’open sky. Le ministère du Tourisme pousse en ce sens pour favoriser la venue de voyageurs. « Il ne faudrait pas que l’open sky soit effectif à 100 % avant la fin de notre plan de redressement en 2020, prévient-elle, car nous allons avoir des pertes importantes. »
Journal
Pour motiver ses employés à remplir les objectifs de redressement, Sarra Rejeb a introduit des méthodes de management qui avaient fait son succès à la tête de Transtu (2012-2015), la société de transport de Tunis : des réunions régulières avec les représentants syndicaux et la parution d’un journal interne, L’Écho Tunisair. « Je voulais rassurer les employés qui entendaient que Tunisair allait être vendu », insiste Sarra Rejeb.
Autant d’efforts qui pourraient être réduits à néant. Nizar Jouini, qui a étudié le phénomène de l’open sky, en est convaincu : « Si l’open sky s’impose, Tunisair perdra des parts de marché mais gagnera des voyageurs en chiffre absolu. Mais sur le long terme, les lignes africaines auront un intérêt économique à se regrouper. » Selon lui, Air Algérie, Royal Air Maroc et Tunisair seront alors amenés à fusionner
jeune Afrique : Mathieu Galtier