Par Hakim Tounsi : Nous avions annoncé dans plusieurs post que la révolution et les conditions sécuritaires n’étaient que l’arbre qui cachait la forêt et n’expliquaient pas totalement la dégringolade du tourisme tunisien au départ du marché français entamée depuis 2006.
Avec Si Mourad Kallel, un ami et confrère patron de TO à Paris depuis 1983 (soit 32 ans) doté d’une très bonne mémoire, nous avons, pour éclairer les lanternes, analysé l’évolution d’un forfait touristique au départ de Paris dans un hôtel tunisien trois étoiles dans la région de Hammamet vendu en pension complète entre 1990 et 2014 (2015 étant une année exceptionnelle et ne pouvant pas être une référence).
Pour toute réflexion ci-après les résultats de cette modeste analyse.
En 1990 le forfait dans un hôtel tunisien trois étoiles en pension complète était vendu en France pour un mois d’août vers les 5.500,00 FRF soit l’équivalent de 838,00 €.
En 2014 le même forfait était proposé au public à 720,00 € soit une baisse pour le consommateur en France de 118,4 € ce qui lui représente une économie de 14,1%.
Le gâteau à se partager entre les aéroports, l’agence de voyage distributrice, le tour opérateur, le transporteur aérien, le transporteur terrestre et l’hôtelier a rétréci entre 1990 et 2014 de 118,4€.
Alors comment ce gâteau, plus petit, a-t-il été partagé en 2014 par les intervenants. Qui a conservé sa part de 1990, qui a en a pris une plus grosse et qui a été lésé dans le nouveau partage ?
LES AEROPORTS
L’augmentation des taxes aéroportuaires a été entre 1990 et 2014 de 59,7€ soit +1.118,3% passant de 5,3 € soit 0,6% du forfait en 1990 à 65€ soit 9% du forfait en 2014.
Donc malgré le rétrécissement du gâteau les aéroports ont largement augmenté leur part par passager phénomène expliqué en partie par l’augmentation des frais de sécurisation des aéroports et le contrôle plus stricte des bagages des passagers.
Il y a eu aussi la taxe de solidarité de 4€ par passager au départ des aéroports français, dite « taxe Chirac », créée en 2006, sous le mandat de l’ancien président de la république pour financer la lutte contre les épidémies dans le tiers-monde.
LES AGENCES DE VOYAGE DISTRIBUTRICES
Les frais de distribution sont passés en moyenne de 12% en 1990 du chiffre d’affaires HT à 15% en 2014. C’est le prix de la concurrence plus soutenue en 2014 qu’en 1990. Les places sont plus chères pour être sur les étalages et il faut d’avantage de visibilité et de publicité pour vendre du voyage en forfait !
Malgré l’augmentation de 3% de sa part du gâteau la distribution se retrouve avec 98,3€ par passager au lieu de 100€ en 1990 soit une légère baisse nominale de 1,7€ sur notre forfait 3* en Tunisie bien en dessous de la baisse du forfait qui est rappelons-le de 14,1%.
LES TRANSPORTEURS AERIENS
En 1990 le billet charter au mois d’août entre Paris et Tunis coutait aux tour-opérateurs à l’achat dans les 965 FRF HT soit 147,1€ ce qui représentait 17,5% du gâteau. En 2014 le même billet coûtait aux Tour-opérateurs (hors taxes aéroportuaires) 235€ soit une progression de la part des transporteurs aériens de 87,9% ce qui représente un nominal de + 87,9€ par passager.
LES TRANSPORTEURS TERRESTRES (Transferts Aéroports/Hôtels)
Leur part du gâteau est restée stable à 1% entre 1990 et 2014 avec des tarifs en dinars qui sont passés certes d’environ 7-8 dinars pour un transfert Tunis/Hammamet A/R en 1990 à 17-18 dinars en 2014 soit une augmentation de 242% en dinar courant mais une stagnation en devises à une valeur de 8,00 € par passager.
LES HOTELIERS
Leur part du forfait pour 7 nuits en pension complète en 3* était de 29,5% en 1990 à raison d’une nuitée moyenne valant environ 35 dinars soit 245 dinars pour les 7 nuits l’équivalent de 247,00€ valeur 1990.
Cette part a stagné à 29,3% du forfait avec un tarif de l’ordre de 65 dinars la nuitée représentant 455 dinars la semaine l’équivalent de 211€ valeur 2014. Ceci représente une progression de 185,7% en dinar courant mais une baisse de 14,7% en euros.
Les hôteliers ont conservé leur part du gâteau entre 1990 et 2014 mais ont subi la baisse du forfait de 14,7% sous l’effet de la concurrence internationale, une baisse équivalente à celle de la baisse du forfait vendu en France.
LES TOUR OPERATEURS
En tant que pierre angulaire du système classique de commercialisation des forfaits touristiques que restait il aux tour-opérateurs en 1990 sur une vente d’un séjour 3* en Tunisie et que leur restait t-il en 2014 après avoir payé les distributeurs, les taxes aéroportuaires, les compagnies aériennes, les transporteurs terrestres et les hôteliers ?
En 1990 il leur revenait pour une vente d’un forfait d’une semaine au mois d’aout en 3* en Tunisie une marge brute (avant frais généraux) de 330,4€ par passager soit 39,4% du gâteau. C’était la belle époque du tour-opérating. En 2014 cette part a été d’environ 102,7€ soit 14,3% du forfait comparée au 39,4% de 1990 soit une baisse en nominal de 227,7€ par passager représentant – 68,9% en pourcentage.
CONCLUSION
Entre 1990 et 2014 face à une concurrence internationale plus rude et une offre plus abondante sous l’effet du développement touristique de plusieurs destinations principalement la Turquie (1 million de lits mis sur le marché depuis 1990), le Maroc (80.000 lits en 1990, 216 000 lits en 2014), l’Espagne, la Crèce, la Croatie etc…la Tunisie est passée d’une capacité hôtelière d’environ 140.000 lits en 1990 à 240.000 lits en 2014 soit +171%. Le prix d’un forfait touristique 3* en Tunisie a entre-temps connu sur le marché français une baisse de l’ordre 14,1% qui a profité au consommateur avec des exigences et des droits de plus en plus importants et contraignants acquis sous la pression des associations françaises de protection des consommateurs.
Cette baisse n’a pas impacté les intervenants dans la production du forfait touristique dans les mêmes proportions.
Les agences de voyages distributrices ont augmenté d’environ 3% leur part du forfait sous l’effet de l’abondance de l’offre et de la concentration des entreprises de distribution favorisant les produits maison. Les nouveaux référencements de TO deviennent exceptionnels, voir impossibles !
Les aéroports ont augmenté très sensiblement leurs taxes soit +1.118,3% passant de 5,3€ à 65 € entre 1990 et 2014.
Les compagnies aériennes ont augmenté leurs parts de 59,8% dans le partage avec un prix HT qui est passé de 147,1€en 1990 à 235€ en 2014.
Les transporteurs terrestres ont conservé leur part du forfait restée à 1% en euros avec un revenu moyen de 8€ par passager.
Les hôteliers tunisiens également ont conservé leur part du forfait stable à environ 29,5% du package en euros mais en baisse de 14,7% en valeur par rapport à leur revenu de 1990. C’est la même baisse que celle du forfait vendu au public.
Les tour-opérateurs se retrouvent avec une marge brute en très forte baisse passant de 39,4% du forfait avec 330,4€ à 14,3% du forfait avec 102,7€.
Ces chiffres étant ceux du mois d’août période pendant laquelle les tour-opérateurs sont sensés dégager les plus fortes marges pour couvrir les charges annuelles de fonctionnement car les périodes de basse saison ne génèrent que de faibles marges voir des marges négatives compte tenu des faibles remplissages.
La tendance baissière des marges des TO français sur la Tunisie s’est accélérée à partir de 2006 ce qui explique les difficultés de ce marché à se maintenir.
La révolution et les problèmes sécuritaires, les problèmes de la détérioration de l’image et de la qualité du produit n’ont fait qu’aggraver une tendance structurelle qui amenait déjà d’année en année les tour-opérateurs français à se désengager de la Tunisie depuis 2006 pour aller vers des destinations plus rémunératrices.
Il est erroné, hâtif et improductif de la part des hôteliers tunisiens de stigmatiser leurs partenaires tour-opérateurs en leur mettant la responsabilité de la détérioration des termes du marché. Il faudrait plutôt s’assoir autour d’une même table chiffres à l’appui pour voir comment rendre à la Tunisie son attractivité pour les investisseurs dans le domaine du tourisme à commencer par les tour-opérateurs car le départ de la Tunisie ne fera qu’aggraver le déficit en termes de commercialisation dont souffre la destination.
Dans une prochaine note je reviendrai sur l’absence des tunisiens du tour-opérating et du processus de commercialisation de leur capacité hôtelière comptant sur les compagnies européennes pour leur ramener le client jusqu’aux portails de leur hôtels.
Seuls quelques TO tunisiens vivent une aventure passionnante sont sur le front, opèrent depuis les marchés émetteurs et se battent, devant l’indifférence totale de la Tunisie, Ministère, ONTT, FTH et FTAV, Hommes d’affaires compris, avec peu de moyens financiers mais avec beaucoup de nationalisme et de détermination face à des multinationales de plus en plus capitalisés et structurées.
TAUX DE CHANGE
• Taux de change en 1990 : 1 TND = 6,63 FRF = 1.01 €
• Taux de change en 2015 : 1 TND = 3.04 FRF = 0,464 €
Entre 1990 et 2015 le dinar tunisien a perdu 54% de sa valeur mais ceci n’a pas profité à la compétitivité du secteur hôtelier le prix de la nuitée est passé de 35 dinars à 65 dinars sot une augmentation de 185,7 % en dinar courant et de 35,35€ en 1990 à 30,00€ en 2014 soit une baisse de 14,2 % en euros ou dinar constant