La plupart des observateurs continuaient jusqu’à début mars de tabler sur un rebond de la croissance régionale en 2020 (après deux années de ralentissement), à un niveau proche de 4 %. Cette projection se fondait principalement sur le redémarrage attendu dans plusieurs « grandes » économies de la région et dans les pays pétroliers / miniers ; ces deux « groupes » (non exclusifs) ayant enregistré depuis plusieurs années des performances économiques décevantes. Une telle reprise de l’activité est toutefois désormais peu probable, et la croissance régionale devrait rester médiocre.
Le ralentissement de l’activité chinoise va impacter la région principalement à travers le canal commercial, via un effet quantité pour les pays commerçant le plus avec la Chine et via un effet prix pour tous les pays exportateurs de matières premières industrielles (pétrole, gaz, métaux). À ce titre, les cas de l’Afrique du Sud et de l’Angola semblent les plus problématiques, étant donné leur poids dans le PIB Africain (respectivement 15 % et 5 %). Le 1er pays, qui a enregistré en 2019 sa croissance la plus faible depuis 2009 (0,2 % en ga.), voit ce double effet s’ajouter à plusieurs problèmes domestiques : taux d’investissement structurellement faible (à peine supérieur à 15 % du PIB) ; tensions sociales récurrentes (alimentées par un chômage et des inégalités élevées) ; finances publiques et infrastructures grevées par des entreprises publiques défaillantes (en particulier le fournisseur d’électricité ESKOM) ; etc. Au total, le pays – vraisemblablement le plus intégré au cycle industriel mondial en Afrique – pourrait voir sa croissance rester à peine stable en 2020, au lieu d’un rebond attendu légèrement sous les 1 %.
En Angola, après 4 ans de contraction, le retour à une faible croissance du PIB (aux alentours de 1 %) en 2020 semble également compromis. Tout d’abord, la production pétrolière du pays continue de décroître en raison de problèmes techniques répétés, dépassant à peine 1,3 millions de barils/jour fin 2019, son plus bas niveau depuis 15 ans. La baisse prévisible des quantités exportées vers la Chine (principal partenaire commercial du pays) ne devrait pas stimuler le secteur. En outre, des prix pétroliers plus faibles (-35 USD/b depuis le début de l’année) viendront émousser des équilibres budgétaires et extérieurs déjà fragiles, alors même que les remboursements de dette extérieure estimés pour cette année sont élevés (environ 7 Mds USD). Ce double effet (quantité et prix) viendra également fragiliser plusieurs économies d’Afrique Centrale ou Australe exportatrices de matières premières industrielles, telles que la Zambie, la Guinée Équatoriale et la République du Congo, trois pays présentant d’importants problèmes de croissance et de dette publique depuis plusieurs années. Enfin, d’autres « grands » exportateurs de pétroles tels que le Nigéria et l’Algérie (respectivement 20 % et 7 % du PIB régional), qui seront principalement affectés par l’effet prix (car exportant principalement vers l’Europe ou les États-Unis), souffrent pour leur part de situations sécuritaires ou politiques encore difficiles : persistance des conflits religieux ou entre éleveurs et agriculteurs dans le 1er pays ; prolongement des mouvements sociaux et de l’incertitude politique dans le 2nd (qui retarde la formation d’un nouveau consensus social pourtant indispensable à la mise en place de réformes indispensables).
Ces menaces sur la croissance régionale, couplées à la dégradation de la soutenabilité de la dette dans la majorité des pays, ne semblent que peu impacter l’appétit des marchés financiers pour le « risque Africain ». Depuis le début de l’année : i) les spreads souverains restent relativement bas (malgré la hausse récente due au Covid-19, sans « pénalité » particulière pour l’Afrique) ; et ii) l’accès aux marchés de capitaux internationaux est confirmé, comme l’illustre les émissions d’eurobonds d’un Gabon pourtant mal noté par les agences (1 Mds USD à 10 ans ; coupon à 6,63 %) et du Ghana (dont 750 Mn USD à 40 ans ; coupon à 8,75 %).