L’annonce a été faite dans les colonnes de La Presse. Le ministre du Commerce et de la Promotion des exportations, Mohamed Boussaid, a révélé à notre journal que son département a officiellement demandé de revoir l’accord de libre-échange avec la Turquie. Depuis, la polémique ne cesse d’enfler et les avis divergent quant aux relations économiques qu’entretient la Tunisie avec ce pays.
L’accord de libre-échange entre les deux pays, signé en 2004 et activé en 2005, était toujours au cœur de la polémique. Et pour cause, un déséquilibre frappant et des soupçons d’implication politique dans les échanges commerciaux. Les chiffres ne mentent pas et illustrent cette situation désavantageuse à laquelle fait face la Tunisie. La valeur des importations turques en 2020 est estimée à 2.588,150 millions de dinars, représentant, selon les données du ministère des Finances, 60,4% de la dette extérieure remboursée, en principal et en intérêts. De ce fait, le déficit commercial avec la Turquie a atteint, jusqu’à mai 2021, 1,1 milliard de dinars, ce qui porte considérablement atteinte au tissu économique tunisien dans la mesure où de nombreuses sociétés tunisiennes sont largement impactées par les dispositions de cet accord.
Le déficit commercial avec la Turquie s’est réduit à 2.140 millions de dinars en 2020, contre 2.500 millions de dinars en 2019, notamment à cause des restrictions d’importation observées lors du confinement général. En tout cas, le ministère du Commerce a demandé officiellement de revoir cet accord signé entre les deux pays. Sauf que toute révision doit passer forcément par les canaux diplomatiques. Il incombe, donc, au ministère des Affaires étrangères de mener ces négociations qui prendront beaucoup de temps. La commission de coopération tuniso-turque devrait se réunir, prochainement, afin de faire le point sur l’accord de libre-échange entre les deux pays. Selon la directrice générale de la coopération économique et commerciale au ministère du Commerce, Saida Hachicha, cette réunion périodique était initialement prévue en juin dernier, sauf qu’elle a été reportée en raison de la pandémie du Covid-19.
Qu’importe la Tunisie de la Turquie ?
Sur quel fond intervient cette polémique interminable autour des importations turques ? Enfin, qu’importe exactement la Tunisie de ce pays ? Au fait, selon des données issues du ministère du Commerce, la Tunisie importe de la Turquie principalement du textile, des produits cosmétiques et des produits électriques et mécaniques, tandis que la Tunisie exporte le phosphate, les dattes, l’huile d’olive, les produits de la mer et les pâtisseries. Sauf que depuis la crise de la production de phosphate, les exportations tunisiennes ont été impactées davantage, ce qui a creusé ce déficit commercial avec la Turquie.
En tout cas, depuis plusieurs années, les analystes et les économistes ne cessent de mettre en garde contre le déséquilibre commercial qui serait généré, entre autres, par l’accord de
libre-échange signé avec la Turquie au désavantage de notre balance commerciale. De ce fait, certains accusent la partie turque de pratiquer le « dumping » en vue de s’emparer du marché tunisien, notamment celui du textile. Le « dumping » étant une pratique qui consiste à vendre sur les marchés extérieurs à des prix inférieurs à ceux du marché national, ou même inférieurs au prix de revient.
D’ailleurs, ces échanges font toujours face à des campagnes sur les réseaux sociaux appelant à boycotter les produits turcs commercialisés en Tunisie. Au début de ce mois, plusieurs internautes se sont mobilisés pour appeler au boycott des produits turcs vendus à bas prix en Tunisie, parfois de meilleure qualité que les produits locaux, il faut bien le reconnaître. Faut-il annuler cet accord ? Au vu des dommages causés par cet accord entre les deux pays signé, rappelons-le en 2004, plusieurs voix se sont élevées pour appeler à son annulation. D’ailleurs, le secrétaire adjoint de l’Ugtt, Sami Tahri, est du même avis. Dans un post Facebook, il a cité plusieurs bonnes raisons pour annuler cet accord de libre-échange. D’après lui, si la Tunisie vit dans une situation exceptionnelle, il est de son droit de prendre des mesures protectrices. Il explique que l’Organisation mondiale du commerce (OMC) permet la révision d’accords dans la mesure où la Tunisie a été profondément lésée par ces accords. Il rappelle dans ce sens que les accords ont été signés à « l’époque de la dictature dans le cadre d’intérêts et malversations, et ont été développé à l’époque de la Troïka, pour des considérations idéologiques et pour des transferts d’argent douteux ». Sami Tahri estime dans ce sens que la « Turquie est un pays ennemi qui a soutenu ses protégés en Tunisie contre le peuple et s’est ingéré dans les affaires tunisiennes en qualifiant les décisions de Kaïs Saïed de putsch ». Notons que les échanges commerciaux entre la Tunisie et la Turquie datent de près de 12 ans et sont régis par l’accord bilatéral de libre-échange conclu en 2004 et entré en vigueur depuis juin 2005.
Khalil JELASSI