L’année 2024 a été marquée par une évolution notable des indicateurs financiers clés de la Tunisie, notamment en ce qui concerne ses réserves de change et les interventions de sa Banque Centrale (BCT). Une analyse détaillée des données publiées révèle une dynamique complexe, caractérisée par une augmentation des avoirs en devises, des opérations de politique monétaire accrues et un soutien financier significatif apporté à l’État.
Augmentation Significative des Réserves de Change : Facteurs et Structure
Au 31 décembre 2024, les réserves de change de la Banque Centrale de Tunisie ont atteint un niveau de 27,38 milliards de dinars (MDT), enregistrant une progression substantielle de 947,3 MDT, soit une hausse de +3,6 % par rapport aux 26,44 milliards MDT enregistrés à la fin de l’année 2023. Cette augmentation, bien que positive, mérite une analyse approfondie de ses facteurs sous-jacents et de sa structure.
Plusieurs éléments ont contribué à cette amélioration des avoirs en devises. Premièrement, le secteur touristique a connu une amélioration de ses recettes, apportant un flux de devises étrangères plus important. Deuxièmement, le renforcement des transferts des Tunisiens résidant à l’étranger a joué un rôle crucial, permettant l’achat de 5.653 MDT en billets de banque étrangers. Troisièmement, la BCT a procédé à une acquisition significative de titres en devises, portant ce poste à 14,67 milliards MDT, soit une augmentation de +3,19 milliards MDT.
Parallèlement à ces facteurs positifs, une réduction des dépôts à l’étranger, notamment au niveau des banques commerciales, a été observée. Ces dépôts sont passés de 11,06 milliards MDT à 7,75 milliards MDT, soit une diminution de -3,3 milliards MDT. Cette évolution suggère une possible stratégie de réallocation des actifs vers des placements perçus comme plus sûrs ou potentiellement plus rentables.
L’analyse de la structure par devise des réserves révèle une prédominance du dollar américain (USD) avec 4.681 millions USD, représentant 54,6 % du total. L’euro (EUR) constitue la deuxième devise la plus importante avec 3.244 millions EUR, soit 39,4 % des réserves. Les parts de la livre sterling (GBP), du yen japonais (JPY) et des autres devises demeurent marginales.
En termes de ressources mobilisées par le Trésor au cours de l’année 2024, on note un prêt de 498,7 millions USD (1.592,8 MDT) obtenu auprès de l’Afreximbank ainsi qu’un don de 150 millions EUR (506,9 MDT) de la Commission européenne. Ces flux financiers ont contribué, à des degrés divers, à la gestion des besoins de financement de l’État.
Cependant, l’année 2024 a également été marquée par des remboursements majeurs d’engagements extérieurs, incluant un emprunt en EUR de 2017 pour un montant de 3.029,1 MDT, un emprunt JBIC (en JPY) de 2014 s’élevant à 1.049,1 MDT, le remboursement d’un dépôt de la Banque d’Algérie de 100 millions USD, et des crédits du FMI pour un total de 2.146,3 MDT (incluant principal et intérêts). Ces remboursements ont exercé une pression à la baisse sur les réserves de change, compensant partiellement les entrées.
Évolution de la Position de Réserve au FMI et des Avoirs en DTS
La position de réserve au Fonds Monétaire International (FMI), qui est comptabilisée comme une composante des réserves internationales, a connu une légère augmentation, passant de 498,9 MDT à 504,3 MDT.
De manière plus significative, les avoirs en Droits de Tirage Spéciaux (DTS) ont enregistré une forte progression, passant de 37,7 MDT à 130,1 MDT, soit une augmentation de +92,4 MDT. Cette hausse est principalement attribuable à deux facteurs : l’acquisition de 155 millions de DTS, représentant un équivalent de 644,3 MDT, et les remboursements de crédits FMI/FMA à hauteur de 106,6 millions de DTS. L’augmentation des avoirs en DTS renforce la position financière internationale de la Tunisie et sa capacité à faire face à d’éventuels chocs externes.
Intensification des Concours aux Banques et des Interventions de Politique Monétaire
En 2024, la Banque Centrale de Tunisie a intensifié ses interventions sur le marché monétaire, avec un volume total atteignant 8.150 MDT, soit une augmentation de +12,3 % par rapport à l’année précédente. Cette évolution témoigne d’un rôle actif de la BCT dans la gestion de la liquidité du système bancaire et dans la transmission de sa politique monétaire.
L’analyse des différents instruments d’intervention révèle des dynamiques contrastées. La facilité de prêt marginal 24h a connu une augmentation substantielle de +70,7 %, passant de 811 MDT à 1.384 MDT, suggérant potentiellement des besoins accrus de liquidité à court terme pour certaines institutions bancaires. Un nouveau prêt à 6 mois a été introduit, atteignant un volume de 1.705 MDT, signalant une volonté de la BCT d’offrir des instruments de financement à plus longue échéance.
En revanche, l’opération principale de refinancement a connu une baisse significative, passant de 5.800 MDT à 4.700 MDT, et le refinancement à un mois a également diminué, passant de 644 MDT à 361 MDT. Ces baisses pourraient refléter une gestion plus fine de la liquidité par les banques ou une adaptation aux conditions du marché monétaire.
Augmentation Significative des Facilités Exceptionnelles à l’État
Un aspect particulièrement notable de l’année 2024 est l’augmentation considérable des facilités exceptionnelles accordées par la BCT à l’État. À fin 2024, ces facilités s’élevaient à 7,6 milliards de dinars, contre seulement 1,4 milliard de dinars en 2023. Ce montant comprend 900 MDT accordés en 2020 et une nouvelle facilité de 6.700 MDT mise en place en 2024. Cette augmentation substantielle met en lumière une dépendance accrue de l’État au financement de la banque centrale, une pratique qui soulève des questions quant à son impact sur l’inflation et la stabilité macroéconomique à long terme.
Restructuration du Portefeuille Titres
Le portefeuille de titres en devises détenu par la BCT a également connu une évolution significative, passant de 11,48 milliards MDT à 14,67 milliards MDT. Cette augmentation globale masque une restructuration interne du portefeuille.
Les titres de placement ont connu une augmentation spectaculaire de +10,35 milliards MDT, passant de 1.215 MDT à 11.565 MDT. Cette forte hausse indique une stratégie d’investissement privilégiant des actifs potentiellement plus sûrs et/ou offrant un meilleur rendement à long terme.
Inversement, les titres d’investissement ont diminué de -5,86 milliards MDT, reflétant un retrait progressif de cette catégorie d’actifs. Les titres de transaction ont également connu une baisse de -1,29 milliard MDT, suggérant une réduction des opérations d’arbitrage ou de gestion active à court terme.
Il est important de noter que la majorité des titres détenus sont souverains (30,6 %) ou émis par des agences souveraines et supranationales, ce qui renforce l’orientation vers des actifs de qualité.
Légère Baisse du Résultat Financier de la BCT
Le résultat net de la BCT pour l’année 2024 s’est établi à 1.363,3 MDT, en légère baisse par rapport aux 1.472,8 MDT enregistrés en 2023. Cette diminution résulte de la confrontation entre les produits d’exploitation, qui se sont élevés à 2.442 MDT, et les charges d’exploitation, qui ont atteint 1.079 MDT. Une hausse notable des charges d’intérêts sur devises (+104,4 MDT) a contribué à cette diminution du résultat net.
L’augmentation des avoirs en devises de 3,6 % en 2024 constitue une évolution positive, mais sa modestie doit être soulignée au regard des besoins extérieurs importants de la Tunisie. De plus, cette croissance demeure fortement dépendante de facteurs intrinsèquement volatils tels que les recettes touristiques et les transferts des travailleurs tunisiens à l’étranger, ce qui souligne la nécessité de diversifier les sources de devises.
La diversification des placements au sein du portefeuille de titres, avec un rééquilibrage marqué vers les titres de placement de qualité (notés AAA à BBB), témoigne d’une approche prudente visant à privilégier la sécurité et potentiellement un meilleur rendement à long terme.
Cependant, la mobilisation croissante de ressources par le Trésor à travers des emprunts et des facilités budgétaires soulève des préoccupations légitimes quant à la soutenabilité de la dette extérieure à moyen terme. La dépendance accrue au financement extérieur expose le pays aux fluctuations des conditions financières internationales.
Enfin, l’augmentation significative des interventions de la BCT pour soutenir l’État met en évidence une dépendance croissante au financement monétaire. Si cette pratique peut apporter un soulagement à court terme aux contraintes budgétaires, elle comporte des risques potentiels pour la stabilité des prix et la crédibilité de la politique monétaire à long terme. Il est crucial de mettre en place des stratégies visant à réduire progressivement cette dépendance et à renforcer l’autonomie de la banque centrale.
En conclusion, l’année 2024 a présenté un tableau contrasté pour la Tunisie sur le plan de ses réserves de change et des interventions de sa banque centrale. Si l’augmentation des avoirs en devises offre une marge de manœuvre accrue, les défis liés à la soutenabilité de la dette, à la dépendance à des facteurs externes volatils et au financement monétaire de l’État nécessitent une attention soutenue et des politiques économiques prudentes pour assurer une stabilité macroéconomique durable.