Ahmed Ben Jemaa, Directeur Général de Smart Finance est Bassem Ennaifer, analyste financier chez Alphamena, étaient invités hier sur Express Fm dans le cadre de l’émission EcoMag, pour un état des lieux de la Bourse de Tunis à moins de deux semaines de la fin de l’année 2015, marquée par un grand point d’inflexion qui a inversé la courbe du Tunindex. L’indice principal de la BVMT est aujourd’hui à -2,71% en YTD après avoir culminé à 13,33% à la veille de l’attaque de Sousse qui se dégage comme l’évènement marquant qui a changé la donne.
Ainsi le Tunindex a perdu 825 points depuis l’attentat du 26 juin, note Bassem Ennaifer, ce qui représente une perte de 2,6 milliards de dinars en termes de capitalisation boursière. La moyenne des échanges journaliers s’est effondrée, rappelle l’analyste, certaines séances générant autour de 1 MD, alors que 8,6 MD circulaient en moyenne quotidiennement avant l’attaque de Sousse.
Ahmed Ben Jemaa est quant à lui revenu sur le sommet atteint par le Tunindex en juin 2015, à 5770,32 points, un mouvement trompeur souligne-t-il, car en grande partie lié au comportement d’une seule valeur, à savoir la SFBT, qui représente à elle seule près de 20% de la capitalisation du marché. Le titre a connu une véritable flambée, consécutivement à l’autorisation d’ouverture de son capital aux investisseurs étrangers au-delà de 60% sans l’aval de la CSI. Le mouvement de la SFBT explique à lui seul 6 à 7 points de pourcentage dans la progression du Tunindex au premier semestre, indique Ahmed Ben Jemaa. D’autres facteurs ont soutenu la performance de la BVMT, comme le redressement des cours des banques publiques appuyés par leurs plans de recapitalisations. Le début de l’année 2015 a également bénéficié de l’optimisme post-élections, et l’anticipation d’un début de sortie de crise. Depuis, la déception s’est installée, et pas seulement pour des raisons sécuritaire, elle est aussi en grande partie liée à l’incapacité du gouvernement à impulser un nouveau souffle à l’économie et à amorcer ainsi la relance. Pour Ahmed Ben Jemaa, un fait inédit constitue l’indicateur négatif le plus marquant, faisant référence à l’alerte donnée par la Banque Centrale de Tunisie (BCT) via son gouverneur, Chedly Ayari, sur le passage de l’économie tunisienne en récession technique, accélérant la contreperformance du marché financier.
Ahmed Ben Jemaa souligne aussi l’impact du secteur touristique, en profonde crise et dont l’influence va au delà de sa contribution communément admise dans le PIB, de 7%. L’impact indirect du tourisme sur l’économie tunisienne peut atteindre 30 à 35%, et touche tous les secteurs. Sur la question de la baisse des volumes, le DG de Smart Finance déplore la persistance du problème de la liquidité, et l’incapacité à trouver des mécanismes pour dynamiser les échanges. Il faut revenir à 2004 pour trouver des volumes d’échanges aussi bas, alors que la capitalisation boursière a depuis été multipliée par 6 ou 7. Certes le volume sur l’ensemble de l’année est en hausse comparé à 2014, mais l’augmentation est surtout due à des transactions de blocs, notamment sur LILAS et SFBT qui ont généré 800 MD sur 1700 MD sur les 11 premiers mois.
Reprenant l’exemple de la SFBT, Bassem Ennaifer est revenu sur la composition du Tunindex largement déséquilibrée. Nous avons aujourd’hui cinq sociétés formant 50,62% du Tunindex (BT, SFBT, BIAT, Attijari Bank , BNA), 56 sociétés forment 99,98% de l’indice, ce qui ne laisse que 0,02% à plus d’une vingtaine de sociétés dont les mouvements des cours n’ont aucun effet. A ce niveau, le Tunindex 20 voire les indices sectoriels donnent une meilleure appréciation de la performance boursière, même si le Tunindex et le Tunindex 20 affichent des rendements YTD assez proches aujourd’hui, explique l’analyste.
Le marché alternatif pour sa part reste la grande déception pour Ahmed Ben Jemaa, qui indique que si le marché alternatif avait un indice propre il serait en baisse de près de 28% depuis le début de l’année. Le marché alternatif fonctionne encore comme un champ d’expérimentation, sans réelle orientation ajoute-t-il. Le cas de Carthage Cement, avec son énorme retard sur le Business Plan, mais surtout de Syphax Airlines, soulèvent la question de l’éligibilité des sociétés pour intégrer la cote.
Tout compte fait, le cadre réglementaire est bon selon Ahmed Ben Jemaa, la BVMT, le CMF et Tunisie Clearing travaillent selon des standards internationaux, mais certaines pratiques doivent être revues, comme la valorisation sur la base d’un Business Plan dans un pays comme la Tunisie où la visibilité à l’échelle nationale est très réduite, il faut rationaliser et trouver un équilibre entre l’intérêt de la société et celui de l’épargnant. A ce propos Bassem Ennaifer a indiqué que les processus d’introduction en Bourse sont à revoir, notamment en se basant sur les Business Plans, il faudrait s’orienter plus vers le modèle du Book Building, comme lors de l’IPO de Délice Holding, et laisser le marché valoriser. Si cette technique avait été utilisée sur Syphax Airlines, les pertes ne seraient pas aussi importantes. A court terme, il faudra attirer plus d’investisseurs étrangers, estime Ennaifer, et améliorer la qualité de l’information financière.