La grand’messe du Bourget a éteint ses lustres samedi 12 décembre 2015 au soir, après une journée marathon. Les chefs d’Etat avaient quitté la Ville-Lumière sitôt leur message délivré. Les 40 000 participants vont rejoindre à leur tour leur foyer. Le pouvoir l’ayant autorisée malgré l’état d’urgence, une société civile admirable a manifesté avec éclat au Champ de Mars, à l’Etoile et à la Tour Eiffel en faveur du climat. Au coup de marteau final de M. Fabius, les responsables français et onusiens à la tribune ont applaudi à tout rompre, avec la salle, l’accord au forceps** auquel on a abouti.
A Johannesburg, en septembre 2003, le Président Chirac déplorait la destruction de la Nature et l’inconscience des gens vis-à-vis de l’environnement au Sommet de la Terre avertissant: «Notre maison brûle et nous regardons ailleurs». Cette prise de conscience tardive a quand même été appréciée. Quant à l’actuel locataire du Palais de l’Elysée, il formulait le vœu qu’on se souvienne de la COP 21 comme d’un évènement à l’origine d’«une révolution climatique». C’est à Clio, la déesse de l’Histoire, de décider.
Pour M. Fabius, «un accord différencié, juste, durable, dynamique, équilibré et juridiquement contraignant» a été adopté. Et d’ajouter: «Le texte constitue le meilleur équilibre possible, un équilibre à la fois puissant et délicat, qui permettra à chaque délégation de rentrer chez elle la tête haute, avec des acquis importants».
Essayons de décrypter les points essentiels loin du jargon des diplomates en notant en tout cas que l’entrée en vigueur en 2020 est tributaire de la ratification par au moins 55 pays représentant au moins 55% des émissions mondiales des gaz à effet de serre (GES) . Aux Etats Unis, les Républicains crient déjà haut et fort qu’ils ne ratifieront point s’ils mettent la Maison Blanche dans leur escarcelle en novembre 2016. Pourtant, il y a 50 ans, le premier avertissement concernant le réchauffement climatique a été déposé sur le bureau du président américain (Justin Gillis, «Climate accord is a healing step, if not a cure», The New York Times, 12 décembre 2015). Mais un système néolibéral, la finance de Wall Street et les lobbys ont tout fait pour garder leurs prébendes et leurs revenus et en prenant possession du Congrès.
Un accord a minima, faible et sans ambition
A l’arrivée cependant, nous voilà face à un accord décevant, en dessous du changement de cap souhaité. « C’est le dénominateur commun le plus bas » affirme le célèbre Centre pour la Science et l’Environnement (CSE) de Delhi.
Pour les scientifiques qui ont scrupuleusement suivi les débats, l’Humanité n’a pas en main le document dont elle a besoin. L’accord obtenu à Paris ne sauvera pas, par lui-même, la planète.
Nul ne prétend que concilier les points de vue et les intérêts de 195 Etats soit un jeu d’enfants.
Mais l’accord de Paris entérine un réchauffement climatique de +3°C en avalisant les contributions nationales (INDC dans le parler onusien) – qui ne sont pas contraignantes – et pourrait placer sous les pas des jeunes générations une bombe à retardement. Or, les scientifiques considèrent comme zone du salut des températures de +1,5°C voire + 2°C (objectif officiel depuis l’accord de Cancun en 2010) par rapport à la période préindustrielle car c’est ainsi qu’on réduirait de manière significative les risques et les impacts du changement climatique. Si l’accord évoque +1,5°C, il rate l’occasion de le rendre contraignant ! Les scientifiques affirment que 280 millions de personnes vivent sur des terres qui pourraient être submergées si on atteint les +3°C. Si on vise une plus basse température, ce chiffre serait quand même de 137 millions d’humains. L’accord de Paris menace des peuples de Tuvalu aux Seychelles et des îles Marshall au Bangladesh.
Le texte prévoit de réviser les contributions tous les cinq ans, théoriquement à partir de 2025. Les ONG jugent cette échéance trop tardive.
Rappelons que le Groupe d’experts intergouvernementaux sur l’évolution du climat (GIEC) avertit qu’il est nécessaire de baisser de 40 à 70% les émissions mondiales d’ici à 2050, pour échapper à un emballement climatique hors de tout contrôle… que nulle solution de géo ingénierie ne saurait stopper.
Il est vrai que l’accord de Paris valide cependant un acquis: les 195 États de la planète sont d’accord pour maintenir un cadre international et multilatéral – bien que très rabougri – de «gouvernance du climat». L’accord est, par exemple, absolument mutique pour ce qui est du transport aérien (actuellement à 3 litres au 100km par passager) ou du transport maritime (soit 10% des émissions mondiales pour ces deux moyens de transport) d’autant qu’aucune date n’est formulée dans l’accord pour le pic des émissions!
L’accord de Paris a-t-il des moyens suffisants?
On se gargarise à l’envi du chiffre de 100 milliards de dollars (91 milliards d’euros) d’ici 2020 promis pour permettre aux PVD de réaliser leur transition énergétique et M. Hollande a même abondé d’un milliard la contribution de son pays.
Il n’en demeure pas moins qu’il n’y a nulle amélioration par rapport à Copenhague et cette somme est soumise à de nouveaux arbitrages.
Aucun engagement avant 2020 relativement aux diminutions des émissions de GES et aux finances n’a été pris par les pays industrialisés et riches. Parler d’un plancher de 100 milliards de dollars comme le font certains responsables français ne signifie nullement un engagement. «De nombreux PVD sont déçus du fait que l’accord ne donne pas un chiffre précis: les 100 milliards de dollars en provenance des pays industrialisés – c’est un but et un plancher – est mentionné uniquement dans le préambule. Le préambule n’est pas légalement contraignant. Les PVD notent que cette somme n’est pas suffisante pour les aider à construire rapidement et à bon prix un système énergétique assez enraciné dans les énergies renouvelables plutôt que de recourir au charbon ou au pétrole» écrit Melissa Eddy dans le New York Times.
Un acquis fort important pour les pays qui sont responsables historiquement de la part du lion quant aux émissions, qui utilisent jusqu’à plus soif les énergies fossiles et se parfument au gaz de schiste:
l’accord ne mentionne plus leur responsabilité historique. Ils ne sont donc plus tenus d’agir du fait des leurs énormes émissions du passé. Or, sans responsabilité historique, l’équité se traduit maintenant par ces mots dans l’accord: «capacités respectives et circonstances nationales» relève avec amertume Chandra Bhushan directeur adjoint du CSE dans le Times of India (13 décembre2015). Chacun doit prendre ses engagements d’atténuation des émissions sur la base de sa contribution volontaire ; laquelle n’est pas légalement contraignante, répétons-le. La fameuse «différenciation des efforts» entre les pays repose maintenant sur «les capacités» et non sur «les responsabilités historiques» même si le texte rappelle le primat des «responsabilités communes mais différenciées» figurant dans la Convention onusienne de 1992. L’association française ATTAC a bien raison, donc, d’affirmer que l’accord de Paris n’est rien d’autre qu’ «un bricolage constitué de la somme des égoïsmes nationaux».
En dépit du forcing de l’Arabie Saoudite et consorts, l’accord envoie un message sans ambiguïté à l’industrie des fuels fossiles: ces énergies doivent rester sous terre et échapper à la combustion. Dans une version précédente, on parlait d’ «atteindre la neutralité des émissions de GES dans la deuxième moitié du siècle». Au grand dam des pays producteurs. Pour l’heure, on comprend que certains fuels fossiles continueront à être utilisés tant que les GES seront absorbés par les nouvelles forêts. Mais attention, des termes comme «justice climatique», «mode de vie et consommation soutenables» émaillent le texte – mais pas dans ses parties opérationnelles – et ne sont donc pas des engagements au service de ces idées, affirme Sunita Narain du CSE indien.
L’Humanité a pris du retard : des buts ambitieux auraient signifié qu’en moins de deux décennies, les nations auraient sonné le glas non seulement de la voiture, des avions et des navires à carburants fossiles mais aussi de la production de l’énergie au moyen de la houille ou du gaz.
Les solutions innovantes n’ont pas été essayées, il reste bien des expérimentations à faire pour les scientifiques et les experts dont on a si longtemps discuté les résultats.
Retenons cependant que l’article 2 de l’accord de Paris se donne pour but d’éradiquer la pauvreté grâce au développement durable.
La COP 21 de Paris a inscrit la question climatique en haut de l’agenda des hommes. La société civile – au Nord comme au Sud – ne va plus laisser passer atermoiements, arrangements politiques, déni des droits du Sud et hégémonie des multinationales sur la question vitale du climat: elle dégoupillera la bombe à retardement.
Mohamed Larbi Bouguerra