En dépit des législations relativement favorables aux femmes en Tunisie, leur participation à la vie active et entrepreneuriale reste limitée et du chemin reste à parcourir pour réduire les inégalités en termes d’autonomie économique, constatent les conférenciers présents, mardi, à Tunis, à un meeting sur « L’Entrepreneuriat féminin : Levier de la relance économique ».
« Le taux d’activité des femmes ne dépasse pas 28,2% contre 65,8% pour les hommes. Le taux de chômage des femmes est aux alentours de 24,1% contre 15,9% pour les hommes. Pire, pour les diplômés du supérieur ce taux remonte à 40,7% pour les femmes contre 17,6% pour les hommes », a fait savoir la directrice générale de la Caisse des Dépôts et des Consignations Nejia Gharbi, à cette conférence organisée par le Conseil international des femmes entrepreneures.
S’agissant de l’entrepreneuriat, les estimations nationales indiquent que seulement 23,6% d’entreprises sont dirigées par des femmes. Les femmes ne seraient par ailleurs que 11% à détenir une société.
Pour les startups ayant reçu le label « Statp Act », 4% seulement ont été fondées par des femmes, 28% sont cofondées par des femmes et des hommes et 68% par des hommes exclusivement.
Pour l’accès aux postes de direction, au niveau des cadres 66% sont des hommes contre 34% de femmes, pour les professions intermédiaires 65% sont des hommes et 35% sont des femmes.
A fin mai 2021, sur 79 entités cotées à la Bourse de Tunis, 40 affichent la présence d’au moins une femme dans leurs organes de prise de décisions. Le nombre total de ces femmes et de 76 seulement sur prés de 675 administrateurs, soit une représentation d’environ 11% (vs 30% en Europe). En ce qui concerne la présidence du conseil d’administration, les sociétés cotées en Bourse comptent seulement 7 femmes présidentes, soit une proportion de 8,9% contre une moyenne mondiale de 23,6%.
S’agissant de l’accès au financement, 83% des crédits accordés par la BFPME sont octroyés à des hommes contre 17% seulement accordés à des femmes. Le coût moyen des projets approuvés par la BFPME s’élève à 800 MD pour les hommes contre 568 MD pour les femmes.
Regrettant cet état de fait, Gharbi a expliqué ces inégalités par le choix des orientations professionnels encore soumis aux stéréotypes de genre, à la persistance d’une culture favorisant l’entrepreneuriat masculin et à la surreprésentation des femmes dans le secteur informel. Selon elle, il est bien temps d’agir pour un changement de mentalités et de culture pour une meilleure autonomisation des femmes.
La nécessaire modernisation du système financier national
Intervenant, le Président du conseil d’administration de Tunisie Valeurs, Fadhel Abdelkefi, a estimé que pour favoriser l’entrepreneuriat d’une manière générale, et l’entrepreneuriat féminin en particulier, le secteur financier national a besoin d’être simplifié et modernisé. « On ne peut pas aspirer à favoriser l’initiative privée avec un code de change qui date des années 70 » a-t-il regretté.
Abdelkefi estime, par ailleurs, que le système bancaire national a aussi montré ses limites en termes de financement de l’investissement. La banque commerciale tunisienne continue à être substantiellement une banque à gages avec très peu d’orientation sur les TPE/PME.
Le « système para-bancaire » classique à savoir les sociétés de leasing et les sociétés de micro-finance souffre lui aussi, selon Abdelkefi, d’un énorme retard en termes de simplification et de libéralisation des énergies. « Jusqu’ aujourd’hui les sociétés de leasing n’ont pas le droit au refinancement auprès de la BCT, celles de microcrédits n’ont toujours pas le droit de collecter l’épargne, alors que partout dans le monde l’inclusion financière est faite par des petits entrepreneurs, de TPE au départ individuelles mais qui peuvent devenir des PME, voire de grandes entreprises ».
Toujours selon lui, la bourse tunsienne reste également très en retard par rapport au potentiel du pays, avec moins de 100 sociétés cotées et une capitalisation qui ne représente que 20 % du PIB.
« Je pense que sur les trois compartiments de la finance en Tunisie, il y a un énorme retard qui devrait être comblé et tout un travail à faire au niveau de la législation, pour libérer les énergies et favoriser l’initiative privée aussi bien féminine que masculine », a-t-il conclu.
Invitée avec d’autres ambassadeurs étrangers à témoigner des efforts engagés dans le cadre de la coopération internationale pour libérer l’initiative féminine, l’ambassadeur du Sénégal à Tunis, Ramatoulaye Ba Faye a estimé « qu’historiquement, en Tunisie comme au Sénégal, la femme a toujours eu une activité économique et que le curseur doit aujourd’hui être poussé pour que la femme soit autonome ».
« Partout dans le monde, il est bien temps pour les femmes de prendre la responsabilité pour réparer ce que les hommes ont détruit » a-t-elle conclu sur un ton ironique, qui n’entame en rien le sérieux du message.