Dans son rapport financier annuel arrêté au 31 décembre 2024, la Banque Centrale de Tunisie (BCT) annonce une hausse significative de la masse fiduciaire. Les billets et monnaies en circulation ont atteint un nouveau record de 22,6 milliards de dinars, contre 20,84 milliards de dinars en 2023, soit une augmentation de 8,4 %, correspondant à une injection nette de 1,75 milliard de dinars.
Ce niveau élevé reflète un retour à une dynamique soutenue de la circulation monétaire physique, dans un contexte où les habitudes de paiement en espèces dominent toujours l’économie tunisienne. Cette tendance, bien que cohérente avec certaines économies émergentes, soulève des préoccupations majeures quant à l’efficacité des politiques d’inclusion financière et de digitalisation des paiements.
Une préférence persistante pour le cash
La forte hausse des billets et pièces en circulation met en évidence la persistance d’une économie informelle étendue, peu intégrée au système bancaire. Malgré les efforts des pouvoirs publics pour promouvoir les paiements électroniques et élargir la bancarisation, une grande partie des transactions économiques continue de se faire en espèces.
Par ailleurs, cette préférence pour le cash peut aussi être interprétée comme un signe de méfiance vis-à-vis des établissements bancaires. Les coûts d’accès aux services financiers, la complexité des procédures ou encore la perception de l’instabilité financière peuvent dissuader une partie des citoyens d’utiliser les canaux formels, notamment dans les régions intérieures.
Une politique monétaire plus active face aux besoins de liquidité
La politique monétaire de la BCT a été marquée en 2024 par un renforcement des concours aux banques. Les interventions de la banque centrale sur le marché monétaire ont atteint 8,15 milliards de dinars, en hausse de 12,3 % par rapport à 2023 (7,255 milliards de dinars).
Cette progression s’explique principalement par :
- La mise en place d’un nouveau mécanisme de refinancement à six mois, pour un montant de 1,705 milliard de dinars,
- Une forte augmentation des facilités de prêt marginal à 24 heures, qui ont bondi de 811 millions à 1,384 milliard de dinars (+70,7 %),
- En revanche, une baisse de l’opération principale de refinancement, qui passe de 5,8 milliards à 4,7 milliards de dinars.
Cette évolution traduit une volonté de la BCT de diversifier ses instruments de pilotage monétaire pour mieux gérer les besoins en liquidité du secteur bancaire, tout en s’adaptant aux nouvelles contraintes économiques.
Réserves extérieures : une amélioration portée par les flux exceptionnels
La situation extérieure s’est consolidée en 2024 grâce à une augmentation des avoirs en devises, qui passent de 26,44 milliards de dinars à 27,38 milliards de dinars, soit une hausse de 947 millions de dinars (+3,6 %). Cette performance est attribuée à plusieurs facteurs :
- Le dynamisme des recettes touristiques et les transferts des Tunisiens résidant à l’étranger, qui ont permis à la BCT d’acheter 5,653 milliards de dinars en billets de banques étrangères.
- Le soutien financier international, notamment un prêt de 1,593 milliard de dinars accordé par l’African Export-Import Bank et un don de 507 millions de dinars de la Commission Européenne.
De même, les avoirs en droits de tirage spéciaux (DTS) ont enregistré une hausse notable, atteignant 130,1 millions de dinars contre 37,7 millions en 2023, soit une progression de 92,4 millions de dinars.
Un recours accru au financement monétaire direct de l’État
L’une des données les plus marquantes du bilan 2024 de la BCT est le bond spectaculaire des facilités exceptionnelles accordées à l’État, qui passent de 1,4 milliard de dinars en 2023 à 7,6 milliards fin 2024. Cette augmentation de 6,2 milliards de dinars est principalement liée aux dispositions de la loi de finances 2024.
Ce recours au financement direct du déficit budgétaire par la Banque Centrale, bien qu’encadré par la loi, pose de sérieuses interrogations sur la soutenabilité de la politique budgétaire. Ce type de financement est souvent associé à des risques inflationnistes et à une dépendance accrue aux ressources monétaires internes, en l’absence de solutions de financement externe pérennes.
Des équilibres maintenus, mais fragiles
Les états financiers de la BCT pour l’exercice 2024 reflètent une stratégie d’équilibre entre soutien à l’État, préservation de la liquidité bancaire et renforcement des réserves internationales. Cependant, la hausse de la circulation fiduciaire, couplée à un financement monétaire important du budget de l’État, pourrait alimenter des tensions inflationnistes si des mesures structurelles ne sont pas engagées rapidement.
Il devient crucial de renforcer la bancarisation, de stimuler la confiance dans le système financier et d’accélérer la transition vers une économie plus formalisée. La BCT, tout en jouant son rôle stabilisateur, devra aussi continuer à affiner sa politique monétaire pour préserver la stabilité macroéconomique à moyen terme.