Le mois de février 2025 a révélé une complexité croissante dans le paysage économique mondial. On observe une reprise graduelle des prix internationaux des produits de base, marquée par une augmentation significative de 6,3% en glissement annuel, contre 3,8% en janvier. Cette accélération s’explique principalement par la flambée des prix alimentaires (+7,4%) et du gaz naturel (+88,3%), ainsi que par une hausse des métaux. Paradoxalement, le prix du pétrole brut a poursuivi sa trajectoire descendante, enregistrant une baisse de 9,6%.
Parallèlement à cette dynamique inflationniste sélective, la croissance économique mondiale demeure modérée et hétérogène. Au quatrième trimestre 2024, les États-Unis ont affiché une croissance de 2,5%, suivis par la Chine à 5,4%. La Zone Euro et le Royaume-Uni ont enregistré des taux plus modestes, respectivement de 0,9% et 1,4%. Cependant, ces perspectives de croissance restent fragiles, principalement en raison de la lenteur avec laquelle l’inflation converge vers les objectifs fixés par les banques centrales. En février 2025, l’inflation a reculé à 2,8% aux États-Unis et au Royaume-Uni, et à 2,4% dans la Zone Euro. Un fait notable est le basculement de la Chine en déflation, avec un taux de -0,7%.
Face à cette situation contrastée, les politiques monétaires adoptées par les grandes banques centrales témoignent d’une prudence généralisée. La Banque Centrale Européenne (BCE) a poursuivi son cycle d’assouplissement monétaire en procédant à une sixième réduction de ses taux directeurs. En revanche, la Réserve Fédérale américaine (Fed), la Banque d’Angleterre (BoE) et la Banque populaire de Chine ont opté pour le maintien du statu quo monétaire en mars, signalant une attente de davantage de clarté sur l’évolution de l’inflation et de la croissance.
Dynamique économique tunisienne : Reprise tirée par les services et l’agriculture, mais des faiblesses persistent
Sur le plan national, l’économie tunisienne continue de montrer des signes de redressement progressif. Au quatrième trimestre 2024, le Produit Intérieur Brut (PIB) réel a progressé de 2,4% en glissement annuel, une accélération par rapport au taux de 1,8% enregistré au trimestre précédent. Cette performance est principalement attribuable à une augmentation significative de la demande intérieure (+7,1%), bien que les exportations aient continué de se contracter légèrement (-0,2%).
L’analyse sectorielle révèle que la reprise est principalement portée par le secteur des services, qui a contribué à la croissance à hauteur de 1,2 point. Des hausses notables ont été observées dans le transport et l’entreposage (+5,0%), le commerce et la réparation (+2,3%), ainsi que dans les secteurs de la santé et de l’enseignement (respectivement +1,7% et +1,9%). L’agriculture a également connu un rebond significatif, avec une croissance de 12,1%, principalement grâce à une augmentation substantielle de la production d’olives (+45%). Il est cependant crucial de noter que, malgré ce rebond, la production agricole globale reste inférieure de 6,9% à son niveau de 2022, une conséquence directe du stress hydrique persistant.
Le secteur industriel, quant à lui, poursuit un redressement plus modéré. La contraction de la production est passée de -5,0% au premier trimestre 2024 à -0,3% au quatrième trimestre. Certaines branches industrielles affichent des performances encourageantes, comme les industries chimiques (+8,1%) et le secteur du textile-habillement-cuir, qui a renoué avec la croissance (+1,1%). Néanmoins, les industries mécaniques et électriques (+2,5%) et agroalimentaires (+2,1%) montrent des signes de ralentissement, indiquant une reprise inégale au sein du secteur manufacturier.
Secteur non manufacturier : Amélioration contrastée et défis énergétiques
Le secteur des industries non manufacturières témoigne d’une amélioration globale, avec une contraction réduite à -3,1% au quatrième trimestre 2024, contre -5,5% au trimestre précédent. Le secteur de la construction enregistre une croissance notable de 2,5%, marquant une rupture avec plusieurs années de repli. L’extraction minière a connu un bond spectaculaire de 17,5%, principalement grâce à une production de phosphate dépassant le million de tonnes, un niveau inédit depuis le deuxième trimestre 2022.
Cependant, le secteur de l’extraction de pétrole et de gaz naturel continue de décliner significativement (-16,9%), affecté notamment par la baisse de production du champ gazier de Nawara (-16,3%). Le secteur de l’électricité et du gaz a également vu sa valeur ajoutée reculer de -6,0%, soulignant la vulnérabilité énergétique persistante du pays.
Commerce extérieur : Détérioration marquée du déficit commercial
Sur le front du commerce extérieur, les deux premiers mois de 2025 ont été caractérisés par une détérioration alarmante de la balance commerciale. Le déficit FOB-CAF a atteint -3.518 Millions de Dinars Tunisiens (MDT) à fin février 2025, soit près du double du déficit de -1.784 MDT enregistré un an auparavant. Cette aggravation s’explique par une chute des exportations de -4,4% (totalisant 10.169 MDT), impactées par la baisse significative des exportations d’huile d’olive (-1.008 MDT contre 1.324 MDT l’année précédente) et des produits des industries mécaniques et électriques (IME) (-5%). Simultanément, les importations ont progressé de 10,2% (atteignant 13.687 MDT), notamment en ce qui concerne les matières premières (+11,9%) et les biens de consommation (+14,3%).
En conséquence, le déficit courant s’est considérablement creusé, atteignant -1.654 MDT en février 2025, contre un déficit de seulement -113 MDT en février 2024. En excluant le secteur de l’énergie, la balance commerciale affiche un déficit de -1.672 MDT, alors qu’elle était excédentaire de +39 MDT l’année précédente, soulignant la dépendance croissante du pays aux importations hors énergie.
Tourisme et transferts : Soutiens partiels face au déséquilibre commercial
Les recettes touristiques ont poursuivi leur reprise progressive, s’établissant à 939 MDT (équivalent à 294 Millions de Dollars Américains – MUSD) en février 2025, contre 888 MDT (285 MUSD) en février 2024. Les revenus du travail ont également montré un renforcement, atteignant 1.264 MDT (396 MUSD) contre 1.185 MDT un an plus tôt. Ces performances ont contribué à un excédent de la balance des revenus primaires et secondaires de +738 MDT.
Cependant, ces soutiens n’ont pas suffi à compenser l’élargissement significatif du déficit commercial. En conséquence, les réserves en devises ont reculé à 23.271 MDT (7.281 MUSD), représentant désormais 102 jours d’importation, contre 27.332 MDT (8.622 MUSD) et 121 jours d’importation à la fin de l’année 2024. Cette diminution des réserves en devises constitue un signal d’alerte quant à la soutenabilité des équilibres extérieurs.
Marché monétaire : Assouplissement prudent de la politique de la BCT
En réponse à la décélération progressive du taux d’inflation, le Conseil d’administration de la Banque Centrale de Tunisie (BCT) a décidé d’abaisser son taux directeur de 50 points de base, le ramenant à 7,5% lors de sa réunion du 26 mars 2025. Parallèlement, le Taux Moyen du Marché Monétaire (TMM) est resté stable à 7,99% pour le septième mois consécutif, indiquant une certaine inertie des conditions de liquidité interbancaire à court terme.
Les besoins en liquidité des banques ont atteint 13.001 MDT en février, tandis que le volume global de refinancement s’est élevé à 13.018 MDT. L’analyse de la structure de ce refinancement révèle un recours croissant des banques aux opérations principales de la BCT (pour un montant de 5.450 MDT) et aux opérations de refinancement à 6 mois (pour 2.228 MDT), signalant une gestion active de la liquidité par le système bancaire.
Inflation : Maîtrisée globalement, mais des pressions sectorielles persistent
Le taux d’inflation global en Tunisie s’est établi à 5,7% en février 2025, marquant une légère diminution par rapport aux 6,0% enregistrés en janvier et aux 7,5% de l’année précédente. Cette décélération est notamment due à une forte baisse de l’inflation des produits à prix administrés, qui a chuté à 2,2%. Cependant, l’inflation des produits frais reste élevée (13,3%), principalement en raison de l’augmentation des prix des légumes (+18,7%) et des fruits frais (+8,3%), soulignant la sensibilité de ces produits aux conditions climatiques et à l’offre.
L’inflation sous-jacente, qui exclut les produits alimentaires frais et les prix administrés, a légèrement remonté à 5,1%. Cette hausse est en partie attribuable aux effets du relèvement du Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti (SMIG) (+7,5%), qui a exercé une pression à la hausse sur les prix de l’habillement (+9,7%) et des produits de soins (+6,1%).
La baisse significative des prix de l’huile d’olive (-20,8%) a contribué à modérer l’indice général des prix. Toutefois, en excluant l’huile d’olive, l’inflation sous-jacente s’élève à 5,8%, contre 5,6% en janvier, indiquant une persistance de pressions inflationnistes sous-jacentes. L’inflation des services libres est restée stable à 5,6%, soutenue par les augmentations observées dans les secteurs de la santé (+6,5%) et des autres services (+7,7%).
Fragilités structurelles persistantes malgré une stabilisation macroéconomique
En conclusion, l’économie tunisienne semble amorcer une phase de stabilisation progressive de ses fondamentaux macroéconomiques, caractérisée par une reprise modérée de la croissance et un ralentissement de l’inflation. Les mesures prudentes adoptées par la Banque Centrale visent à soutenir l’activité économique sans raviver les tensions inflationnistes.
Cependant, des déséquilibres extérieurs importants, une vulnérabilité énergétique marquée et la lenteur du redressement industriel constituent des freins structurels persistants à une croissance économique robuste et durable. L’absence de réformes structurelles profondes et la forte dépendance vis-à-vis des importations demeurent des défis majeurs que la Tunisie doit surmonter pour assurer une trajectoire de croissance plus inclusive et pérenne.