La Tunisie semble vivre une situation politique et économique inédite. Cette crise a mis l’économie tunisienne à genoux, mettant en péril la stabilité et la pérennité de tout le système économique et social en place. Ce risque est aujourd’hui bien réel. Le pays s’appauvrit jours après jours, la pauvreté menace la classe moyenne et le chômage est en augmentation continue. Cependant, tous ces éléments ne semblent pas inquiéter une élite tunisienne qui continue de faire comme si de rien n’était.
Le débat sur la crise économique est très vite passé aux oubliettes pour laisser place à un débat politique inutile sur l’indépendance ou non de la Banque Centrale. L’heure est grave et un sauvetage du bateau Tunisie » est plus que imminent. Notre bateau a déjà pris l’eau et risque de couler très vite. Une mobilisation nationale devient notre unique chance de survie. En effet, et comme la plupart des pays du monde, la Tunisie n’a pas été épargnée par la crise de la COVID-19. Elle a même été dans une certaine mesure économiquement plus affectée que beaucoup d’autres pays dans la mesure où le pays se situait déjà en zone de croissance faible ces dernières années avec des marges de manœuvres très limitées. Selon les derniers chiffres publiés par l’INS, la baisse de la croissance du PIB au troisième trimestre de 2020 a été de 6% par rapport à la même période de l’année dernière. La croissance serait déjà de -10% pour les trois quarts de l’année.
À l’exception de l’agriculture, cette baisse a touché tous les secteurs. Ainsi, et en se basant sur les dernières statistiques et les mesures récentes de couvre-feu et de confinement partiel, le quatrième trimestre serait sans doute aussi en zone négative mais avec une ampleur moindre. Pour le reste de l’année, les statistiques disponibles ne montrent pas d’améliorations claires. Le tourisme et le transport aérien subiront encore des pertes alors qu’une légère amélioration est prévue pour les industries non manufacturières. Quant aux industries manufacturières, elles continueront à subir les conséquences de la pandémie sur le continent européen. Tous ces éléments indiquent que la baisse de la croissance du PIB réel serait entre 8% et 10% en 2020. Malheureusement et malgré la gravité de la situation, le débat économique en Tunisie n’arrive pas à dépasser le superficiel. Il est vrai que les difficultés à surmonter apparaissent parfois si importantes que les hommes politiques cherchent souvent à les contourner. Nous ne sommes pas arrivés au point d’abandonner, mais nous n’en sommes plus très loin.
Les jeunes tunisiens commencent à être convaincus qu’ils n’ont plus aucune chance de réussir en Tunisie, ils cherchent à kir le pays par tous les moyens. Par ailleurs, de nombreux entrepreneurs dont le métier est d’anticiper l’avenir positivement se posent la question : pourquoi investir aujourd’hui s’il n’y a pas d’espoir de croissance dans les années à venir ? Or ce type d’attentisme conduit à renforcer le ralentissement de la machine productive et peut aller jusqu’à provoquer son arrêt si rien n’est fait à temps. Lorsque l’on privilégie la protection sur l’action, la redistribution sur la production, il ne faut pas s’attendre à des miracles. La Tunisie semble s’enfermer dans une trappe de croissance faible d’autant que les marges de manœuvre sont désormais épuisées.
Remettre ta priorité à la croissance et à l’emploi laisse entière la question des moyens à privilégier. Il est nécessaire d’élaborer un plan d’action plus large et d’arrêter d’asphyxier les entreprises par des mesures fiscales et/ou de chercher des aides par-ci par-là. Il y a lieu d’organiser et de provoquer des débats publics autour des grandes questions : quel rôle pour l’Etat dans une Tunisie nouvelle ? Comment rendre les entreprises publiques plus prospères et plus compétitives? Quel rôle doivent jouer les Centrales syndicale et patronale ? Quel système social privilégions-nous et par-delà quel système fiscal ? Quel système éducatif et quel système de santé voulons-nous ? Quel modèle d’aménagement du territoire faut-il mettre en place pour dynamiser toutes les régions ? Ce sont là un certain nombre de vraies questions auxquelles il faut des réponses claires et tranchées. Le retour de l’investissement est une condition sine qua non pour la croissance Malheureusement, le comportement le plus répandu aujourd’hui est l’attentisme des investisseurs et il n’est clairement pas favorable à la conjoncture.
Dans un tel contexte, les entreprises limitent leurs investissements, restreignent leurs stocks, ajustent leurs effectifs et leurs coûts de production. Le resserrement des conditions d’accès aux crédits a de plus drastiquement limité la consommation et l’investissement. La fausse paix dans laquelle nous vivons depuis 2011, ponctuée de menaces de conflit et de décisions reportées, accentue évidemment ces attitudes défensives. Dans ce genre de situations, le risque serait de basculer dans une réaction en chaîne négative qui ferait passer de la croissance molle à une récession durable accompagnée d’une explosion sociale. L’économie tunisienne flirte actuellement avec cette ligne rouge. Des risques budgétaires réels…
Le plus grand défi pour notre économie concerne le financement du budget de l’Etat face à l’importante baisse des recettes fiscales conjuguée avec la hausse des dépenses. Le déficit budgétaire est révisé afin de 2020 à 10,3% du PIB (y compris les dons et revenus de confiscation). Cet élargissement inattendu et historique est lié à l’effet conjugué de la baisse importante des recettes fiscales (-11% par rapport aux recettes de 2019) et de la hausse des transferts qui a dépassé les gains faits sur les subventions d’hydrocarbures suite à la baisse du cours de pétrole (voir article plus loin). Les difficultés de mobilisation des ressources extérieures expliquent le changement de cap, en 2020, vers les emprunts intérieurs. La disponibilité des réserves de change auprès de la BCT pourrait en effet garantir les paiements extérieurs pour le reste de l’année 2020 mais difficilement pour 2021.
Rédigé par : M. Zouhair EL KADHI