La Tunisie a-t-elle besoin de banques régionales ?

Le système bancaire tunisien est atomisé et comprend un nombre important de petites institutions qui dépasse le besoin réel de l’économie. En dépit de ce nombre important, il n’a pas pu contribuer au fi nancement du développement des régions de l’intérieur et du Sud. Plusieurs raisons sont avancées dont celles liées à la rentabilité, à la centralisation, à la prise de risque, à la gouvernance et surtout à la fi délisation de leurs anciens clients généralement de grands industriels et hôteliers. Ce système comprend la Banque Centrale de Tunisie (BCT), vingt et un établissements de crédit,  deux banques d’aff aires, huit banques off -shore, huit bureaux de représentation de banques étrangères, trois sociétés de factoring et dix sociétés de leasing. Malgré cette fragmentation, le taux de bancarisation de la population et l’accès aux services fi nanciers et bancaires restent faible. Les estimations élaborées par la BCT montrent que le taux de bancarisation est proche de 50% (1 compte pour 2 habitants).

Aujourd’hui et face à la crise économique, le mal développement des régions de l’intérieur et du Sud et l’eff ritement de la confi ance des tunisiens vivants dans les régions envers le système bancaire actuel centralisé, il est opportun de réfl échir sur le redéploiement des banques publiques existantes et/ou la création de nouvelles banques régionales diff érentes et proches de la réalité rurale et des attentes de la population.

Dans ce contexte, plusieurs questions se posent. L’ajout à ce système bancaire atomisé de nouvelles banques régionales améliorerait-il la concurrence et les services bancaires ? Est-ce que ces nouvelles banques auraientelles plus d’impact sur le développement des régions que celles classiques centralisées ? Quelles sont leurs perspectives de croissance, de résultat et de rentabilité? En quoi ces banques régionales ont-elles une approche commerciale spécifi que adaptée au contexte tunisien ? Quels seront le rôle, la mission et la place dans ce secteur bancaire au moment où les banques publiques se restructurent et améliorent leurs performances? Ces questions prennent un intérêt particulier en Tunisie au moment où les banques régionales dans le monde (l’Autriche, la Belgique, l’Allemagne, la Suisse, la Finlande, l’Espagne ; les Pays-Bas, la France, l’Italie, la Grande Bretagne, la Hongrie, le Maroc etc.) augmentent le taux de bancarisation et affi chent des performances croissantes en renforçant leurs parts de marché.

Ces performances s’expliquent essentiellement par le mode de fonctionnement décentralisé et adapté aux besoins d’une clientèle qui souhaite un service à la fois personnalisé et de qualité. En eff et, on assiste depuis quelques années au développement des banques régionales mutualistes qui se diff érencient par rapport à celles classiques par la gouvernance et la proximité. En eff et, les banques classiques sont des sociétés anonymes (SA) où les décisions sont prises par les actionnaires selon le modèle «une action = une voix», alors que les décisions dans les banques mutualistes ou populaires se prennent par ses clients selon le principe « une personne= une voix ».

Quelles sont ces banques régionales ?
La banque régionale appartient à sa région et porte en général son nom. Elle se développe avec ses clients et sa région. Sa connaissance du terrain lui permet de tisser des liens de confiance avec ses clients (particuliers ou professionnels) et participe à l’attractivité de sa région (1) .
Ces banques sont populaires mutualistes qui se distinguent des autres banques classiques SA par leur organisation, leurs objectifs, leur organisation et leur gouvernance. Dans tous les pays, elles obéissent aux mêmes exigences de concurrence que les autres banques classiques. Elles sont supervisées et contrôlées par les mêmes autorités bancaires. Le capital est détenu par ses clients qui est réparti sous forme de parts sociales qui ne sont pas directement cessibles. Les clients ne peuvent pas vendre leurs parts s’ils souhaitent partir, mais ils ne peuvent que les remettre à la coopérative et reprendre en retour ce qu’ils ont investi au départ en plus de leur retour sous forme de portion de bénéfices accumulés. Ce mode de gouvernance présente à la fois des avantages et des inconvénients. Les clients-propriétaires ne sont pas trop incités à demander des comptes et à surveiller les performances des managers, ce qui signifie que la direction n’est pas encouragée à réaliser davantage de bonnes performances. La possession de ces parts permet l’accès à un droit de vote aux assemblés selon le principe démocratique « une personne = une voix ».
Ces banques constituent en général des réserves qui servent à des opérations de rachat par offre publique d’achat (OPA). Ces réserves peuvent être sujettes à une rémunération selon un plafond fixé au préalable. Ce type de banque a été initié en Europe dans la seconde moitié du XIXème siècle. Il est aujourd’hui largement répandu dans tous les pays développés et en développement.

En général à travers le monde, il existe deux types de banques régionales
Les banques régionales implantées dans tout le territoire
Ces banques sont implantées en général dans tout le territoire du pays comme c’est le cas des « caisses régionales » en France. Elles fonctionnent sur le principe d’un réseau régional. Cela signifie qu’il existe plusieurs réseaux. Chaque réseau gère les agences au niveau régional. Les taux d’intérêt, les commissions et les offres peuvent varier d’une région à l’autre et d’un réseau à un autre.

Les banques locales dont l’activité ne couvre qu’une seule région
Ces banques sont présentes que dans une seule région bien spécifique dans l’objectif de nouer de forts liens de proximité avec leurs clients (suivi et conseils personnalisés). L’épargne collectée sert à financer les projets d’investissement de la région et à développer des activités spécifiques de la région<

L’expérience internationale
L’objectif de la présentation d’une brève comparaison des banques populaires à l’échelle internationale est de tirer quelques enseignements pour le cas de la Tunisie et former des conjectures concernant l’avenir des banques mutualistes.

.Le Maroc
Les Banques Populaires Régionales (BPR), sont des banques de crédit populaire de proximité. Elles comptent actuellement 11 banques qui portent le nom de chaque région marocaine (Casablanca, Nador – Al Hoceima, Oujda, , Rabat – Kenitra, Tanger – Tétouan, Fès – Taza, , Marrakech – Béni Mellan, Mekhnès, Centre Sud, El Jadida – Safi, Laâyoune). Ces banques sont agréées en tant que banques à part entière par Bank Al-Maghrib et appartiennent au système bancaire marocain (3) .

Ces banques ont pour objectif de mener le développement de leur région par la diversité des produits spécifiques qu’elles proposent, la collecte de l’épargne régionale, le financement de l’investissement et la bancarisation de l’économie. Le système mutualiste ou coopératif marocain est basé sur trois organismes. En premier lieu, les banques populaires régionales (BPR) coopératives avec une compétence centrée sur la région de leur implantation.
En second lieu, une banque centrale populaire (BCP) qui en plus de ses propres activités en tant que banque universelle, exerce quelques fonctions pour le compte des banques populaires régionales comme le système d’information, la gestion des risques pour les aider dans le refinancement et la gestion de la trésorerie. Enfin un troisième organe de gouvernance collégial qui regroupe les deux types de banques (banques populaires régionales et de la banque centrale populaire).

Qu’en est-il pour la Tunisie ?
L’expérience des pays montre que les banques régionales populaires mutualistes sont fermement ancrées dans leurs régions et leurs territoires et ont énormément contribué au développement de l’agriculture et des PME. La Tunisie qui s’est engagée de plain-pied sur la voie de la décentralisation et le besoin urgent de financer l’économie locale et rurale nous guident à réfléchir sur la mise en oeuvre d’une politique qui favorise le financement local basée sue le développement des banques mutualistes. Dans ce cadre, le modèle marocain qui est inspiré de celui allemand nous parait le plus adapté pour le cas de notre économie. On peut envisager la reconversion d’une banque publique en une banque centrale populaire et la création d’un réseau de banques mutualistes coopératives. La stratégie sera basée sur deux piliers.

Pilier 1 : Redéploiement d’une banque publique en une banque centrale populaire
La banque publique qui sera reconvertie en une banque centrale populaire (BCP), qui en plus de ses propres activités entant que banque universelle cotée en bourse, exerce des activités pour le compte des banques populaires coopératives régionales.

L’objectif essentiel est le développement d’une agriculture moderne et méditerranéenne, de l’industrie agroalimentaire, de la valorisation des ressources naturelles, de l’artisanat et du tourisme écologique dans les régions de l’intérieur et du milieu rural. Cette banque devra assister les agriculteurs à résoudre les problèmes fonciers et à moderniser le secteur. Cette reconversion évite la création de nouvelles banques centrale des régions et réduit ainsi davantage l’atomicité et l’éclatement du secteur bancaire et contribue à l’élaboration d’une politique de développement régional.  On propose la transformation de la Banque Nationale Agricole (BNA) qui a une grande expérience dans le financement du secteur agricole ou bien la Banque de Financement des Petites et Moyennes entreprises (BFPME) en banques centrales populaires.

Pilier 2 : Création des banques populaires mutualistes régionales La création de nouvelles banques populaires mutualistes locales privées permet de contourner les comportements des banques universelles classiques qui sélectionnent d’une manière sévère les clients, négligent les zones rurales et se concentrent dans les villes et surtout littorales.
Ces banques auront pour objectif le développement local en diversifiant leurs produits spécifiques, la collecte de l’épargne locale et la bancarisation de l’économie. Elles ont la capacité de conquérir de nouveaux clients, de diminuer les coûts de fonctionnement, de proposer des produits toujours innovants et conformes aux exigences et attentes de leur clientèle et de dénouer les problèmes fonciers au niveau local.

L’analyse SWOT (strengths, weaknesses, opportunitities et threats) est nécessaire pour dégager les forces, faiblesses, opportunités et menaces d’une telle création pour le cas tunisien.

La restructuration du secteur bancaire tunisien devrait se poursuivre afin de contribuer davantage au financement local et à l’amélioration de la rentabilité des autres banques classiques. Cette reconfiguration passe par trois directions. La première est basée sur la création des réseaux de banques régionales et mutualistes dans le but de réduire l’exclusion bancaire, d’augmenter le taux de bancarisation et d’aider efficacement le développement local. Les banques populaires mutualistes bénéficient de la connaissance de leurs clients et de leurs besoins. La deuxième direction est de faire associer la STB et la BH avec un partenaire technique ou stratégique étranger en cédant une partie du capital (20 à 30%). Ce montage permet de financer le budget de l’Etat et surtout d’augmenter la compétitivité des banques publiques par le développement de nouveaux produits, l’amélioration de la qualité des services bancaires et du système d’information, la bonne gestion des risques et l’internationalisation. La troisième consiste à céder les participations de l’Etat des sept banques à participations non stratégiques (STUSID Bank, BTK, BTE, NAIB, BTL, Al Baraka et Banque Zitouna) aux privés locaux et étrangers. Cette action permet de financer une partie du déficit budgétaire.

Avec MACSA
Pr. Ghazi Boulila