La Tunisie ne devra pas rater la troisième révolution industrielle

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La « Troisième Révolution Industrielle » (TRI) a démarré au début de XXIème siècle avec l’évolution simultanée d’une part des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) et d’autre part la production, le stockage et le transport des énergies renouvelables.  Cette révolution est caractérisée par une production d’énergies renouvelables (solaire, éolienne, hydraulique, géothermique, marine, biomasse, etc.) par les agents économiques qui sera distribuée, transportée et exportée à travers le monde via le réseau de télécommunication à l’image de la circulation actuelle de l’information via internet. Depuis les années 2000, les prospectivistes 1 montrent que cette nouvelle révolution changera le mode de production actuel et le comportement des agents économiques. Les pays qui ne contribuent pas à cette révolution et ne maitrisent pas ce changement technologique se retrouveront à la marge et condamner au sous-développement.  Au contraire, les pays qui investissent dans cette activité stratégique et occupent le leadership accumuleront plus de connaissances dans cette nouvelle technologie et profiteront de l’apprentissage par l’expérience (learning by doing), creusant davantage les écarts de développement entre les nations. En effet, on assiste actuellement à une nouvelle mutation majeure engendrée par la TRI qui pose plusieurs questions : Sommes-nous prêt à rejoindre le mouvement vers cette révolution et converger vers le club des pays avancés ? Quelles approches faut-il mettre en place pour ne pas manquer le train de la TRI ? Est-on conscient de ce changement et de l’émergence de cette révolution industrielle ? A-t-on une vision stratégique relative à cette nouvelle mutation ? A-t-on la capacité d’investir dans cette activité ?

Un peu d’histoire
Les grandes mutations historiques des trois révolutions industrielles sont caractérisées par une rupture dans les trois composantes suivantes : la communication, le transport et l’énergie..

La première révolution industrielle (PRI)
Elle était basée sur l’utilisation du charbon comme énergie entrainant la naissance de la machine à vapeur et la locomotive. Le transport a connu une révolution avec la naissance du chemin de fer et les bateaux qui ont facilité la mobilité des personnes et des marchandises. La communication s’est développée aussi par l’apparition des journaux et du télégraphe. Cette révolution a changé le mode de production par l’apparition pour la première fois des ouvriers salariés et du capitalisme. Cette première révolution est apparue en Angleterre, puis en France. Elle a fait de ces deux pays les premières puissances mondiales de l’époque grâce aux nouvelles innovations industrielles et l’apparition d’une nouvelle génération d’entrepreneur.

Les autres pays, y compris la Tunisie, ont raté cette révolution, ce qui a créé un écart entre ces deux pays (France et Angleterre) et le reste du monde. La deuxième révolution industrielle La 2ème révolution a connu la découverte du pétrole et de l’électricité comme une nouvelle source d’énergie. La découverte du moteur à explosion et la création de l’automobile ont bouleversé l’industrie et le transport. On a assisté à une multiplication des innovations comme la théorie des atomes, l’étude du comportement mécanique ou chimique des matériaux et la mécanique quantique, l’électromagnétisme, l’électronique, l’informatique, le micro-électronique etc. La communication s’est développée par l’apparition des satellites, des télévisions, des ordinateurs, d’internet, etc.
Conscients de cette nouvelle rupture, plusieurs pays d’Europe et d’Amérique du Nord ont profité de cette opportunité en investissant simultanément dans les trois nouvelles composantes : communication, transport et énergie. Les pays actuellement en développement, parmi lesquels la Tunisie, ont raté encore une fois cette nouvelle révolution et se sont éloignés de la possibilité de converger vers les pays avancés.

La troisième révolution industrielle
La TRI repose sur trois composantes qui doivent se développer simultanément : production et stockage des énergies renouvelables, technologie de communication (internet, NTIC etc.) et réseaux logistiques d’énergie intelligents. Le transport, la distribution et l’exportation des énergies renouvelables marqueront une rupture importante dans l’évolution des technologies. Le coût de production de ces énergies diminue, améliorant d’autant plus la compétitivité des entreprises qui deviennent plus concurrentielles et productives, et le réchauffement climatique réduit. Un tunisien localisé à Tataouine, qui produit de l’énergie solaire, pourra exporter une partie de sa production à un autre consommateur localisé à l’étranger (en Alaska par exemple) via un réseau intelligent d’internet sans émission de gaz à effet de serre.

Cette transition énergétique transformera le monde et notre mode de vie. Elle provoquera inévitablement la transformation de la quasi-totalité des industries actuelles qui reposent sur des énergies fossiles comme la production d’électricité, d’engrais, de produits agroalimentaires, de pesticides, de ciment, de fer, de béton, de produits métallurgiques, de plastiques ou de fibres synthétiques.

L’immobilier suivra la tendance en intégrant dans chaque bâtiment des micro-centrales énergétiques, des technologies de stockage, de l’internet de l’énergie permettant à chaque agent d’acheter de l’électricité ou de revendre son excédent produit sur ce réseau. L’industrie automobile évoluera aussi en passant à la production de voitures électriques à pile à combustible capables de se brancher et de s’approvisionner en électricité sur l’internet de l’énergie. Le marché de l’emploi se trouvera également bouleversé par l’apparition de nouvelles entreprises opérant dans cette économie verte. Avec le développement de l’économie digitale, l’automatisation et les méga-données (big-data), de nouveaux gisements d’emplois et de nouvelles méthodes de travail apparaitront.

Enfin, la structure du commerce international changera en faveur de nouveaux pays producteurs et exportateurs de ces énergies. La Tunisie, qui dispose de toutes les énergies renouvelables (solaire, éolienne, hydraulique, géothermique etc.), devra donc investir dans cette combinaison stratégique entre communication, transport et énergie renouvelable pour ne pas rater encore une fois la nouvelle révolution industrielle.

La troisième révolution industrielle est en marche dans la plupart des pays avancés
Plusieurs pays ont atteint un pourcentage élevé de production et de consommation d’énergies renouvelables : 100% au Paraguay (grâce à son barrage « Itaipu dam »), 98% en Norvège, 82,7% au Brésil, 71,5% en Nouvelle-Zélande, 74,6% en Autriche. A l’échelle mondiale, les estimations fournies montrent que les énergies renouvelables et inépuisables ont atteint, en 2012, environ 20,8% de la production d’électricité. Les combustibles d’origine fossile restent importants avec 68,1% de la production d’électricité. La production d’origine nucléaire représente, quant à elle, 10,9%. Les 0,2% restant correspondent à la combustion des déchets qui sont considérés comme non renouvelables. L’électricité d’origine renouvelable provient de six sources. L’hydroé-lectricité qui domine avec une part de 78%, suivi par l’énergie éolienne avec une part de 11,4%, la biomasse avec une proportion de 6,9%, le solaire avec 2,2%, la géothermie avec 1,5% et les énergies maritimes avec 0,01%.

Certes, les échanges internationaux de ce type d’énergie sont bloqués par des contraintes d’ordre techniques. Mais, la recherche scientifique avance pour trouver des solutions efficaces et concurrentielles au stockage et au transport de cette énergie via la logistique d’internet. Des projets, des études stratégiques et des groupes de spécialistes se forment de plus en plus dans le monde dans l’objectif de s’engager dans cette TRI. L’Union Européenne a constitué un groupe appelé « Cercle Européen pour la Troisième Révolution Industrielle » (CETRI). Il vise à mettre en œuvre les exigences de cette TRI et le mode de gouvernance en tenant compte des différents besoins de coordination au niveau des pays.
Le gouvernement Luxembourgeois a présenté une étude stratégique intitulée « Troisième Révolution Industrielle 2 » le 14 novembre 2016.

Il a lancé des travaux de mise en œuvre des actions et projets parmi lesquels on peut citer :

i) la construction d’un Internet de l’énergie au niveau national ii) le lancement d’un programme pour des voitures sans émissions de gaz toxique, iii) la mise en place progressive de la mobilité durable, iv) la réalisation d’un projet témoin des villes smart ou intelligentes, v) le développement d’un mécanisme de financement du développement durable, vi) le développement de l’économie circulaire par les marchés publics.
La consultation avec les différents intervenants a abouti à l’adoption d’une feuille de route décrivant le nouveau modèle économique qui sera basé sur le mariage des NTIC, des énergies renouvelables et des réseaux de transport logistique intelligents. Le plan d’action vise à conduire les entreprises à renforcer leurs capacités d’adaptation face aux futurs changements. La France se prépare à ce changement par la constitution d’un groupe appelé « Localtis » qui se concentre sur les résultats de la TRI ou « Rev3 ». Cette initiative a été lancée en 2013 par la région Nord-Pas-de-Calais et repris par la région Hauts-de-France. Un millier de projets et une dizaine d’initiatives ont été lancés et un fonds d’investissement a été dédié aux différents projets Rev3.

Le Maroc attire les investissements directs étrangers dans le domaine de l’énergie solaire. Il a construit au début de 2016, la 7ème plus grande centrale solaire thermodynamique au monde avec 160 MW, après cinq centrales américaines et une centrale en Espagne. Il est prévu d’étendre cette centrale en trois tranches qui devrait porter sa puissance à 580 MW, en faisant d’elle la première centrale au monde avec celle de Solar Star en Californie. Cependant, le Maroc restera uniquement producteur de l’énergie solaire sans investir simultanément dans les deux autres composantes de la TRI.

En concluant, La transformation historique de nos modes de vie, de nos rapports sociaux, de nos modèles économiques et de nos modes de travail a été étroitement liée aux trois révolutions industrielles pilotées, en premier lieu, par la vapeur, puis, par le pétrole et, actuellement, par les énergies renouvelables. La TRI changera nos sociétés. Elle devrait constituer une véritable planche de salut, mais aussi une opportunité à saisir pour repartir du bon pied et sortir du sous développement. La Tunisie a intérêt à passer directement à la TRI et ne pas investir davantage dans les infrastructures lourdes (centrale nucléaire par exemple) de la seconde révolution industrielle en adoptant une stratégie de « leapfrogging » ou « saute-mouton » qui consiste à déployer un effort considérable dans les investissements en technologies de pointe et de bruler les étapes. Dans ce cadre, une politique basée sur les trois composantes du TRI est recommandée : Composante 1 : La production d’énergies renouvelables d’origine solaire par toutes les entreprises privées et publiques, les casernes militaires, les administrations et les maisons. Une adaptation de l’actuel Plan Solaire est nécessaire. Il est urgent d’adopter des politiques capables d’attirer les IDE dans ce domaine.

Composante 2 : L’intensification des investissements dans les technologies de stockage de ces énergies (nouvelles générations de batterie, technologies de l’hydrogène et des piles à combustibles etc.) et l’augmentation des partenariats scientifiques avec les laboratoires étrangers spécialisés Composante 3 : la mise en place d’un réseau intelligent qui permettra à chaque agent de produire et de consommer de l’énergie renouvelable et de procéder à l’échange domestique et étranger.

Avec MAC SA
Pr Ghazi Boulila

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