Le développement de nouveaux marchés est essentiel pour accroître l’investissement privé et réaliser les Objectifs de développement durable de l’ONU
Pendant des années, l’encombrement et le délabrement des routes ont ralenti la croissance économique de la Colombie. Au lendemain de la ratification de l’accord de paix de 2016 qui a mis fin à plus de 50 ans de conflit armé, le gouvernement colombien avait de grandes ambitions sur le plan des infrastructures (en particulier des nouvelles routes) pour permettre au pays d’avancer sur des bases solides. Le gouvernement a toutefois réalisé que le financement d’un projet routier à la fois ne produirait pas les résultats souhaités pour l’économie. Il s’agissait plutôt de créer des marchés : d’une part pour la construction de routes par des entreprises privées et d’autre part pour son financement en orientant l’épargne vers des prêts à long terme. Un des principaux défis a été la mise en place d’un cadre pour encourager les grands investisseurs (fonds de pension, compagnies d’assurance et fonds spéculatifs, entre autres) à s’aventurer en terre quasi inconnue. La création
d’un marché attractif pour ces investisseurs institutionnels était incontournable pour combler le déficit d’infrastructure dont souffrait le pays.
C’est pourquoi la Société financière internationale (IFC), le gouvernement colombien et la Banque de développement d’Amérique latine ont mis sur pied une nouvelle institution financière visant à remédier aux défaillances du marché qui ont longtemps entravé le financement de projets d’infrastructure. Le gouvernement a également adopté une série de mesures propices à l’investissement, telles que des dispositifs de garantie et d’accompagnement, et a modifié la réglementation des marchés pour faciliter le financement de projets d’infrastructure par les fonds de pension. En janvier 2016, un fonds de créances a été mis en place pour le financement de grands projets d’infrastructure.
Aussi, la Colombie bénéficiera de milliers de kilomètres de nouvelles routes et d’un coup d’accélérateur pour son économie, tout en fournissant de nouveaux débouchés aux investisseurs.
Le manque de routes est, hélas, un problème courant dans les pays émergents, et l’approche colombienne illustre comment ces derniers peuvent attirer des investisseurs privés. En effet, l’implication du secteur privé sera essentielle à la mobilisation d’investissements à hauteur d’environ quatre mille milliards de dollars par an dont les pays en développement ont besoin pour réaliser les Objectifs de développement durable (ODD). Si la tendance de financement actuelle se poursuit, les pays les plus pauvres ne seront probablement pas près d’atteindre ces objectifs, tant s’en faut, à moins qu’ils aient un meilleur accès au capital privé. La question est donc de savoir comment les gouvernements et les institutions financières de développement peuvent créer des marchés pour accroître l’investissement privé. Pour y répondre, il faut avant tout comprendre quelles sont les principales composantes et caractéristiques des marchés.
Réunir les bonnes conditions
Tous les marchés partagent certaines caractéristiques fondamentales. D’après les théories économiques, pour créer des marchés, l’État devrait miser sur les nouvelles technologies, des institutions plus robustes, l’innovation et le capital humain. L’État peut créer les conditions propices à l’émergence de nouveaux marchés à l’aide d’incitations et réglementations favorables. En Inde, par exemple, des mesures incitatives et un nouveau dispositif pour les appels d’offre ont permis d’attirer les investisseurs pour un projet d’installation de panneaux solaires à Gandhinagar. Des projets similaires sont actuellement en cours d’exécution dans cinq autres villes. En Ukraine, l’adoption de lois relatives à la sécurité alimentaire et de réglementations sectorielles conformes à la législation européenne ont été décisives pour moderniser les marchés des produits agricoles et doper les exportations. Ces exemples témoignent du rôle d’intermédiaire que les institutions de développement peuvent jouer entre les pouvoirs publics et les entreprises pour permettre aux marchés d’évoluer dans le bon sens. Il est impératif que les stratégies de développement des marchés définissent de façon claire leur trajectoire d’évolution. La pérennité des marchés n’est que rarement le fruit d’un heureux hasard. Afin qu’ils puissent concourir à la réalisation des ODD, les nouveaux marchés doivent être :
• Évolutifs. Les marchés doivent pouvoir desservir un grand nombre de personnes, y compris, à terme, celles qui n’étaient pas initialement ciblées par l’investissement.
• Durables. Les initiatives visant à créer des marchés devraient encourager les changements systémiques qui ne se limitent pas au cadre et à la durée de projets d’investissement menés par les gouvernements ou les institutions financières de développement. Il faudrait par ailleurs veiller à ce que ces initiatives soient viables sur le plan des finances publiques et durables du point de vue environnemental et social.
• Résilients. Les acteurs du marché devraient avoir des modèles et des institutions adaptables pour continuer de fournir des biens et des services à mesure qu’évoluent
les conditions extérieures.
De plus, pour atteindre les ODD, les marchés devraient être inclusifs et au service des populations démunies. Au Bangladesh, par exemple, un investissement de l’IFC et d’autres banques de développement dans bKash, une entreprise de services financiers mobiles, a été le premier pas vers la création d’un nouveau marché. Par la suite, la croissance rapide de l’entreprise a permis à des millions de pauvres non bancarisés — qui effectuaient presque toutes leurs transactions en espèces et qui avaient d’énormes difficultés à épargner — d’intégrer le système financier formel.
Les vecteurs de création de marchés
La création de marchés repose sur quatre vecteurs :
• Mettre en place des plateformes et des réformes permettant aux marchés de fonctionner.
Des réformes sectorielles, dans les domaines de l’énergie et de l’agriculture par exemple, éliminent les obstacles et ouvrent la voie aux investisseurs privés. Ces réformes sont principalement du ressort des gouvernements, souvent avec le conseil et l’appui des institutions financières de développement.
• Favoriser un climat concurrentiel poussant les autres acteurs du marché à se surpasser.
Par exemple, le financement d’un modèle de vente permettant de fournir des services d’une qualité supérieure à un prix réduit forcera les concurrents sur le marché à s’adapter en améliorant leurs processus commerciaux.
• Afficher son succès et promouvoir la diffusion d’idées.
La réussite fait des émules; l’effet d’entraînement repose principalement sur cette hypothèse. À titre d’exemple, l’invention d’un nouveau type d’obligation capable d’attirer des capitaux et de prouver qu’un marché est viable poussera d’autres établissements à proposer un produit similaire. Autrement dit, l’imitation est fortement recommandée.
• Acquérir des compétences qui créent de nouveaux débouchés.
Par exemple, la formation de responsables dans le domaine de la réglementation des dérivés ainsi que l’augmentation des investissements à l’égard des institutions financières peuvent faire naître un marché pour les produits de couverture, à savoir les instruments financiers de gestion des risques destinés aux entreprises.
Ces vecteurs génèrent des activités touchant des secteurs et des consommateurs qui n’étaient pas initialement ciblés par l’investissement et sont donc porteurs d’évolutions de marché allant bien au-delà des effets directement liés à un projet de développement ou d’investissement. Pour les institutions financières de développement comme l’IFC, l’enjeu est de rompre avec la tradition et réussir à axer les modèles opérationnels sur les marchés plutôt que sur les investissements. Pour ce faire, les institutions devront abandonner leur approche au coup par coup et voir plus large en réfléchissant à l’effet conjugué que plusieurs investissements peuvent avoir sur le développement.
Il faudra par ailleurs se soucier de l’environnement et des populations pauvres et marginalisées afin de promouvoir l’inclusion et la durabilité. Dans cette optique, l’IFC vient d’élaborer un cadre analytique pour évaluer les retombées qu’auront les investissements et les missions de conseil en matière de développement. Ce travail d’évaluation couvre également les effets dynamiques des projets sur la création de marchés.
Grâce à ce cadre ambitieux, les équipes de l’IFC pourront évaluer les projets et les investissements de façon systématique et mieux prévoir leurs répercussions sur le marché. Parce qu’il est focalisé sur la création de marchés, ce cadre pourra appuyer le travail de l’IFC dans des contextes plus difficiles, y compris dans les États fragiles et frappés par un conflit où l’investissement privé est crucial afin de pouvoir atteindre les cibles de réduction de la pauvreté fixées par les ODD.
Morten Lykke Lauridsen et Florian Mölders