Les femmes milliardaires philanthropes en Asie
Si l’on s’en tient aux chiffres, les hommes philanthropes sont bien plus nombreux que les femmes en Asie. Parmi les 40 donateurs de la liste « Forbes Heroes of Philanthropy » de 2017, seuls 6 sont des femmes (1). Dans l’indice Hurun des 100 premiers philanthropes de Chine en 2017, on ne dénombre que 16 femmes, contre 24 % en moyenne dans les classements mondiaux.
Bien que peu nombreuses, les femmes philanthropes d’Asie accueillent de grandes figures dans leurs rangs et fixent de nouveaux jalons. En mai dernier, Zhonghui You, fondatrice de la société de logiciels pédagogiques Shenzhen Seaskyland Technologies, a rejoint la liste mondiale des 169 milliardaires ayant accepté de dédier plus de la moitié de leur fortune à des causes engagées. Ce faisant, Zhonghui You est devenue la première femme autodidacte chinoise à adhérer à Giving Pledge, une initiative du couple Bill et Melinda Gates et de Warren Buffett.
« Je pense pouvoir donner l’exemple et, espérons-le, attirer l’attention et inspirer les autres afin qu’ils s’engagent », explique Zhonghui You. Son appel à donner plus, effectué en public, vise les milliardaires qui ont tiré profit de la croissance économique rapide de l’Asie ces dix dernières années, particulièrement en Chine. Mais surtout, c’est un signal adressé à un groupe particulier, à savoir les femmes fortunées d’Asie.
Le magazine Forbes a publié en mars 2017 son dernier classement mondial des femmes autodidactes milliardaires. Sur les 56 femmes de cette liste, 29 viennent d’Asie-Pacifique, et parmi les 15 nouvelles entrantes, 13 sont issues de Chine, de Hong Kong, du Vietnam et du Japon. De plus, leur fortune représente une part croissante du patrimoine mondial. Selon Boston Consulting Group, près d’un tiers des fortunes mondiales étaient détenues par des femmes en 2015, une proportion qui devrait connaître une croissance annuelle de 11 % en Asie-Pacifique (hors Japon), contre 7 % dans le reste du monde.
Une philanthropie locale
Ces chiffres annoncent-ils un élan de philanthropie en Asie ? L’augmentation du patrimoine détenu par des femmes en Asie accompagne en effet le développement du secteur de la philanthropie. Comme l’a noté le Ash Centre for Democratic Governance and Innovation, qui fait partie de la Kennedy School of Government de l’Université Harvard à Cambridge (Massachusetts), les dons des 100 premiers philanthropes pour le seul compte de la Chine ont plus que triplé entre 2010 et 2016, passant de 1,3 à 4,6 milliards USD.
À l’instar de Zhonghui You, on assiste à l’émergence d’autres modèles féminins. La Japonaise Yoshiko Shinohara a fait son entrée dans la liste des femmes autodidactes milliardaires en 2017. Sa fondation, baptisée Yoshiko Shinohara Memorial Foundation, a été créée en 2014, et octroie des bourses d’études aux étudiants infirmiers et aux futurs travailleurs sociaux. Pour Zhenyao Wang, président du China Global Philanthropy Institute (CGPI), une organisation créée pour promouvoir la philanthropie en Chine et dont 50 membres appartiennent à la gent féminine, ces exemples locaux sont des symboles importants, particulièrement en Chine, d’où proviennent la grande majorité des femmes milliardaires d’Asie. « [Par le passé], la Chine a beaucoup appris sur la philanthropie en s’inspirant d’autres pays comme le Royaume-Uni, les États-Unis et Hong Kong », explique-il. « Mais aujourd’hui, les choses changent. Maintenant que les Chinois s’enrichissent, ils considèrent d’une autre manière l’historique de notre pays en matière de philanthropie. » L’un de ces exemples est Qiaonv He, qui occupe la 30ème place sur la liste Forbes. Avec une fortune estimée à 1,8 milliard USD, la fondatrice du cabinet d’architecture de paysage Beijing Orient Landscape a fait la une de la presse en 2015 lorsqu’elle a fait un don de 2,9 milliards RMB (450 millions USD) sous forme d’actions en Bourse à sa Fondation Beijing Qiaonv pour des causes environnementales. Elle a été la première femme philanthrope à faire un don de plus de 1 milliard RMB.
Des canaux divers et variés
Ces femmes milliardaires choisissent des canaux divers pour leurs actions philanthropiques. Avec une fortune estimée à plus de 1 milliard USD, Zhonghui You multiplie les approches : fondations, dons ponctuels, investissements à impact et soutien aux actions sociales. Si les femmes milliardaires sont nombreuses à donner aux œuvres de charité, elles sont encore rares à créer des fondations pour leurs œuvres philanthropiques à l’instar de Yoshiko Shinohara et de l’Indienne Kiran Mazumdar-Shaw, fondatrice de Biocon Limited. Un peu moins de 30 % des femmes milliardaires asiatiques présentes sur la liste Forbes ont créé une fondation, contre plus de 80 % chez les Américaines. « J’ai envie de poursuivre cette approche philanthropique à travers les fondations », ajoute Zhonghui You.
Ce secteur encore peu développé offre de grandes perspectives pour définir la forme des dons futurs. « Les personnes intéressées sont majoritairement des chefs d’entreprises prospères, qui ont donc une vision plus stratégique, même en matière de philanthropie », explique Yinuo Li, directrice du bureau chinois de la Fondation Bill & Melinda Gates. « [Ils] veulent plus de proximité pour donner, créer des fondations et leur donner une orientation stratégique. »
La méfiance à l’égard des organisations non gouvernementales (ONG) et le nombre restreint d’ONG présentes sur le terrain amènent de nombreux donateurs à adopter une approche plus directe. « De nombreuses fondations finissent par se transformer en fondations qui mettent elles-mêmes en œuvre les projets », poursuit Yinuo Li. « Elles choisissent une région et recrutent des gens pour [exécuter des projets] au lieu de se contenter d’accorder des subventions. »
Préparer l’avenir
Malgré leur nombre limité, ces femmes sont en train de faire la différence en modifiant la nature-même des dons philanthropiques. En Chine en particulier, elles cherchent à financer des projets louables, en appui aux initiatives gouvernementales, et à encourager les réformes politiques, facilitant ainsi l’action philanthropique. Pour Zhenyao Wang, du CGPI, les femmes « ont favorisé le changement politique et la mise en place de réformes en faisant des dons en coopération avec le gouvernement » Il cite l’exemple de Whitney Duan, créatrice de Great Ocean Group, et dont la Fondation Kaifeng fait partie des sponsors du East-West Philanthropy Forum, qui a pour but de rassembler les donateurs et les représentants des pouvoirs publics américains et chinois autour de questions d’ordre social tels que le changement climatique. Nombre de femmes milliardaires Nombre d’entre elles possédant une fondation
De plus, ajoute Zhenyao Wang, les femmes philanthropes apportent un aspect plus constructif au financement de projets en coopération avec les gouvernements. « [Les femmes] ne font pas que critiquer », admet-il. Toutefois, il reste encore beaucoup à faire dans le cadre de la sensibilisation à la philanthropie. D’après Zhonghui You, cette promotion doit passer par des événements entre femmes entrepreneurs visant à inviter au don et renforcer les liens entre les femmes d’Asie et du reste du monde, pour faciliter l’échange d’informations et généraliser le mentorat.
Pour Yinuo Li, le développement du secteur philanthropique au sens large bénéficiera aux milliardaires des deux sexes. « Les bons chefs d’entreprise sont nombreux. Mais les professionnels expérimentés en gestion de fondations sont plus rares. »
Une chose est sûre : les milliardaires autodidactes d’Asie entendent bien développer ce secteur, et les femmes y contribueront de manière décisive. Zhonghui You, pour sa part, espère que son implication profitera à la fois à des causes spécifiques et à l’action philanthropique en général. « Mon bonheur dépend de cette mission personnelle », confie-t-elle. Cet article est le second d’une série de deux sur les femmes milliardaires et la philanthropie, et traite du cas de l’Asie.