« Nous nous réveillons, chaque jour, sur de nouvelles augmentations de prix non étudiées de certains produits. Personnellement, je suis un homme retraité et ma pension de retraite n’est plus en mesure ni de couvrir mes besoins en médicaments, car je souffre d’une maladie chronique, ni les dépenses de ma famille », a indiqué Haj Mohammed, à l’agence TAP.
Il a avancé que « le chef du gouvernement et le président de l’ARP sont les premiers responsables de cette situation, car ils ont échoué dans leurs missions », lançant un avertissement » si la situation ne s’améliore pas, une nouvelle révolution des affamés éclatera, pareille à celle de Ali ben Ghedhahom ». Partageant le même point de vue, Fakhreddine, lui aussi à la retraite, a affirmé qu’en Tunisie, « tout le monde souffre, à cause des augmentations successives des prix, lesquelles ont affaibli la classe moyenne et aggravé la souffrance des pauvres. Les générations futures paieront la facture de la fragilité des gouvernements successifs ». Et d’ajouter, avec un ton triste, « nous n’aspirons plus au bien-être, notre seule préoccupation est de parvenir à payer les factures d’eau et d’électricité et de terminer le mois, sans avoir le besoin d’emprunter de l’argent». Les tensions se sont accentuées en Tunisie, au vu de la détérioration du pouvoir d’achat des citoyens, au point que plusieurs pages sur les réseaux sociaux ont lancé des appels urgents aux Tunisiens, pour sortir et dénoncer les augmentations excessives des prix, qui ont touché entre autres les denrées alimentaires, y compris les produits subventionnés, et aussi, les services de base comme le transport et l’eau… D’après certains citoyens, cette situation est le résultat de la soumission de notre gouvernement aux directives des bailleurs de fonds, dans le cadre d’une série de réformes visant à réduire le déficit budgétaire.. Yasmina, une femme de ménage à la cinquantaine, a dit amèrement « je travaille depuis huit heures du matin, afin de pouvoir subvenir aux besoins de mes trois enfants, mais avec ces augmentations des prix, je ne parvient plus à leur offrir le minimum. Personnellement, je me demande si l’État a pris en considération les personnes vulnérables, en décidant de réviser à la hausse plusieurs produits de première nécessité ».
La hausse des prix est une grave atteinte au pouvoir d’achat du citoyen
Le porte-parole de l’UGTT, Sami Tahri a affirmé, dans une déclaration à l’agence TAP, que ces augmentations ont été prises unilatéralement et sans consulter l’organisation syndicale.
D’après lui, ces hausses des prix, qui portent atteinte au pouvoir d’achat du citoyen, sont expliquées par « l’incapacité du gouvernement » à couvrir le déficit budgétaire. Elles constituent un premier pas vers la suppression de la subvention.
Tahri a ajouté que le gouvernement devrait négocier le dossier des subventions avec l’organisation syndicale, conformément à l’accord-cadre signé le 31 mars 2020. Par ailleurs, il a fait savoir que l’UGTT est en train de se mobiliser en vue de la réunion de l’instance administrative nationale, laquelle se tiendra la semaine prochaine, pour prendre des décisions en réponse à la politique du gouvernement, en rapport avec les augmentations des prix, mais aussi avec les sociétés publiques et les terres domaniales agricoles qui sont ciblées.
La Tunisie est un corps malade, qui nécessite plus d’une opération chirurgicale
L’économiste Mohsen Hassan, a pour sa part, admis que la Tunisie traverse une crise sans précédente, qui a changé la structure de la société tunisienne, qui comprend aujourd’hui deux classes, uniquement, à savoir une classe aisée qui, selon lui, a choisi d’investir dans la contrebande, le marché parallèle et les secteurs rentiers, et la classe pauvre qui regroupe la majorité des citoyens. Selon Hassan, la situation économique et financière actuelle nécessite le lancement effectif de plusieurs réformes, même si certaines sont douloureuses et coûteuses socialement. «La Tunisie est devenue comme un corps malade qui souffre de nombreuses maladies chroniques et son traitement nécessite plus d’une opération chirurgicale ». Il a souligné, ainsi, l’impératif de mettre en place une réforme ciblant le système des subventions, pour lequel l’Etat a mobilisé en 2021, une enveloppe de 3,4 milliards de dinars, soit 8,3% du total des dépenses de l’Etat et 2,8% du PIB. En 2010, les dépenses de subvention représentaient 1,5 milliard de dinars, l’équivalent de 1,5% du PIB.
Et de rappeler que la compensation (directe et indirecte) s’est montée à 7 milliards de dinars en 2021, soit 13,5% des dépenses de l’Etat, contre 6,186 milliards dinars en 2020 (12 % des dépenses de l’Etat et 5,5% du PIB).
« Au vu de la crise financière que connaît le pays depuis quelques années et qui se poursuivra au mieux jusqu’à 2025, les dépenses de compensation sont devenues un fardeau lourd à supporter par le budget de l’Etat. Ceux qui bénéficient de la compensation sont ceux qui consomment le plus et qui sont les plus aisés, ce qui veut dire que 80% de la compensation ne sont pas orientés vers ceux qui en ont vraiment besoin. Les 20% restants profitent aux touristes, aux investisseurs étrangers et aux propriétaires de grandes entreprises ».
Il a considéré que le système actuel de compensation encourage la contrebande vers les pays voisins, étant donné l’écart des prix, outre la propagation de la corruption et la faiblesse de l’Etat, ce qui nécessite une réforme progressive de ce système, en prenant compte la situation sociale et en établissant un consensus sur la méthodologie de réforme et les transferts à faire au profit de ceux qui ont besoin de compensation.
Hassan a proposé une meilleure réhabilitation des circuits de distribution et une optimisation de la lutte contre la contrebande qui devrait être sanctionnée en tant que crime , à travers la modernisation et la révision des législations et en transformant la direction générale de contrôle économique en un corps autonome financièrement et administrativement, sous la tutelle du ministère du Commerce. « Aucune réforme du système de compensation ne pourrait être envisagée sans le développement du système de contrôle économique ».
Il a, par ailleurs, suggéré d’adopter une politique de traçabilité des produits subventionnés dont les médicaments, de numériser le système de compensation, de fixer un calendrier pour l’achèvement de la mise en place du système national de l’identifiant unique et de s’inspirer des expériences internationales en matière de développement de bases de données ouvertes des bénéficiaires de la compensation.
« Il faut s’accorder sur la méthode de calcul des transferts monétaires au profit de ceux qui ont besoin de subventions, selon des normes scientifiques. Laquelle méthode devrait être révisée régulièrement. Il a, à ce titre plaidé pour l’utilisation des nouvelles technologies et des nouveaux moyens de paiement ».
Notre interlocuteur a, par ailleurs, insisté sur le fait que les augmentations des prix devraient être étudiées et synchronisées avec les transferts monétaires, faisant remarquer que les expériences ont montré que les coûts sociaux et financiers d’une levée non étudiée de la compensation sont souvent très lourds à supporter.
Les dernières augmentations des prix ouvrent la voie à un véritable déclin social, le sociologue Abdessattar Sahbani a indiqué que les dernières augmentations des prix sont excessives et différentes de celles qui les ont précédées, affirmant qu’elles ont suscité un malaise social trés perceptible chez les citoyens et ont été fortement dénoncées par la société civile et les organisations nationales.
Il a mis en garde contre les répercussions sociales des dernières augmentations, notamment dans ce contexte marqué par les effets de la crise sanitaire sur les secteurs fragiles, l’instabilité économique et l’absence de vision accentuée par le conflit persistant entre les trois présidences.
Cette situation favorise la détérioration du pouvoir d’achat des citoyens notamment des classes moyenne et pauvre. « Nous nous orientons vers un véritable déclin social cette fois-ci » s’est-il alarmé.
Sahbani a estimé que les dernières augmentations ne vont pas contribuer au redressement de l’économie et favoriseraient, au contraire, l’économie parallèle et la contrebande, malgré la qualité médiocre des produits issus de la contrebande, impactant ainsi, la capacité productive des entreprises tunisiennes qui verront leur marché se rétrécir.
Et d’enchaîner « le gouvernement n’a pas tiré les leçons du passé où des augmentations des prix ont été à l’origine de grands mouvements de protestation. Les dernières augmentations ont préparé le terrain à de grandes vagues de protestation qui n’attendent qu’une petite étincelle ».
Il a appelé les autorités à être à l’écoute des besoins des citoyens, à arrêter les décisions centralisées non étudiées et à impliquer la société civile dans la prise de décision, notamment dans ce contexte difficile que traverse le pays qui fait face à une quatrième vague de propagation du coronavirus, mettant en garde contre la persistance du risque terroriste qui demeure très présent.
Il a aussi, appelé à prendre en urgence des mesures rapides et efficaces pour redresser la situation des catégories sociales les plus vulnérables, face à une crise qui pourrait faire exploser les niveaux de violence et de criminalité, notamment dans les quartiers populaires et les zones éloignées.