Moez Labidi : « Tout retard dans la signature de l’accord avec le FMI, pourrait se traduire par des pressions de trésorerie sur le budget 2021 »

Date:

Interview réalisée par Imen Gharb - TAP

L’économiste, Moez Labidi considère, dans une interview accordée à l’agence TAP que tout retard dans la signature de l’accord avec le FMI pourrait se traduire par des pressions de trésorerie sur le budget 2021.

TAP: Le recours au FMI sera –t-il suffisant pour boucler l’exercice 2021 ?

Moez Labidi : Rappelons d’abord que l’accord avec le FMI est devenu incontournable pour débloquer la situation. Nous ne sommes plus à la veille de l’accord de 2013, où les marges de manœuvre étaient beaucoup plus importantes. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, où elles sont très minces pour ne pas dire quasi inexistantes. Le besoin de financement est énorme, la « révolution du jasmin » est largement consommée, la prime de risque souveraine a fortement augmenté (plus de 900 points de base), compliquant ainsi, toute sortie sur les marchés financiers internationaux.

La signature avec le FMI ne sera pas suffisante pour boucler l’exercice 2021, pour un certain nombre de raisons. Premièrement, le besoin de financement est déjà énorme, 18,5 milliards de dinars, sans tenir compte d’un dérapage qui pourrait le ramener à dépasser les 23 milliards de dinars. Un dérapage qui est largement expliqué par un certain nombre de facteurs, notamment la hausse du prix du baril (aujourd’hui à 68 dollars contre 45 dollars dans le cadre de la LF 2021), les engagements de majorations salariales et de nouveaux recrutements et la révision à la baisse du taux de croissance et ses implications négatives sur les recettes fiscales. Du coup, un effort de prospection, supplémentaire, de financements bilatéraux s’impose pour boucler l’exercice 2021, surtout que les ressources de financement extérieur mobilisées jusqu’à fin mai, sont très faibles.

Deuxièmement, en cas de signature d’un accord avec le FMI, le premier décaissement risque de ne se réaliser que fin septembre ou en octobre, ce qui complique l’équation du financement, compte tenu des deux remboursements à honorer en juillet (500 millions de dollars, emprunt sur 7 ans contracté en juillet 2014) et en août 2021 (500 millions USD, emprunt sur 5 ans, contracté en août 2016), d’une saison touristique ratée, et du retard dans la mobilisation des financements des autres bailleurs étrangers, déjà identifiés dans le budget 2021, dont le décaissement est conditionné par la signature de l’accord avec le FMI. Tout retard dans la signature pourrait se traduire par une concentration des décaissements des montants alloués par les autres bailleurs entre fin 2021 et début 2022 et par des pressions de trésorerie.

Troisièmement, dans le cadre de l’exercice 2021, le gouvernement a programmé deux sorties sur le marché financier international d’un montant total de 6,6 milliards de dinars, soit l’équivalent de 2 miliards €. Un pari très difficile à tenir surtout si l’accord avec le FMI n’est pas conclu d’ici la fin du mois de septembre.

Enfin, et au-delà de l’aspect financier du programme avec le FMI dont la matrice ne couvre pas tous les chantiers de réformes, il est important de répondre aux engagements structurels (Energies renouvelables, PPP, inclusion financière, infrastructure, logistique, …) portés par d’autres bailleurs : la Banque mondiale, l’Union Européenne, la BAD, la BEI, …, pour garantir les décaissements y afférent.

TAP: Quels sont les risques qui pèsent sur la Tunisie post accord avec le FMI ?

Moez Labidi : Tant que l’audace (de réformer et de combattre la corruption, l’informel et l’économie de rente) n’a pas trouvé la place qu’elle mérite à la kasbah, tant que le discours populiste n’est pas délogé de l’ARP et de la Présidence de la république, tant que les locataires de la place Mohamed Ali n’intègrent pas la culture de la productivité et de la compétitivité dans leur argumentaire de négociation sur les salaires et les entreprises publiques, et tant que le radar du patronat ne couvre pas la Tunisie des zones défavorisées, …, le dérapage des finances publiques finira par étouffer, encore une fois, l’action gouvernementale, précipitant ainsi, la suspension du troisième programme avec le FMI. Dans un tel scénario, un certain nombre de menaces pèseront sur l’économie tunisienne.

Le risque est aussi, de rater la trajectoire de la soutenabilité de la dette. Le véritable danger qui guette l’économie tunisienne est de ne pas réussir à accroître les marges de manœuvre budgétaire pour s’inscrire dans une véritable dynamique de désendettement et de ne pas pouvoir engager les réformes structurelles, restant ainsi, prisonnière d’un exercice de rafistolage régulier pour boucler l’exercice budgétaire de l’année. Une situation qui précipitera le scénario de défaut de paiement.

Il y a également, le risque de rater la transition démocratique. Une dégradation de la situation économique dans un contexte miné, socialement, par la montée de la précarité et la multiplication des actes de blocage des sites de production et des services publics, et politiquement par le développement du discours populiste, finira par fragiliser les institutions de la république et ébranler tout l’édifice démocratique. Le risque encore, de rater la transition environnementale. Autrement dit, le risque de ne pas être bien armé pour affronter la menace du stress hydrique et des catastrophes climatiques, devenues de plus en plus violentes, lorsque les finances publiques continuent de souffrir de l’étroitesse de l’espace budgétaire. Ou plus précisément de ne pas avoir les moyens pour rénover l’infrastructure routière et urbaine, ou pour indemniser les familles lourdement touchées lors des catastrophes naturelles. Le dernier risque, est celui de rater la transition digitale et de rater l’émergence de nouveaux métiers dans le secteur des services et l’ancrage aux nouvelles politiques industrielles, une meilleure source de croissance créatrice d’emplois, et d’attractivité des IDE pour le site Tunisie. Tous ces risques demeurent imminents, tant que l’action politique se retrouve orpheline d’une vision et d’un courage politique et tant que l’Etat se révèle incapable de faire appliquer la loi. Les tunisiens (gouvernement, classe politique et partenaires sociaux, intellectuels) sont amenés à choisir :

ou bien, à s’entendre sur la mise en place des réformes urgentes pour éviter, dans une première étape, de sombrer dans un scénario de défaut, avec la signature de l’accord avec le FMI. Et de pouvoir, dans une deuxième phase, mettre leur pays sur le chemin des réformes structurelles avec une inscription dans la transition digitale et environnementale, renouant ainsi avec une croissance qui crée des emplois et corrige les inégalités sociales et régionales;

Ou bien, à pencher du côté des surenchères revendicatives, suivies par des reculades pour acheter une pseudo-paix sociale. Du coup, la jeune démocratie tunisienne sera fortement gangrénée par un populisme déstabilisant pour ses institutions (Présidence de la république, Présidence du gouvernement, ARP, Banque centrale, ….) et la montée d’une désobéissance civile refoulant le pays vers l’inconnu.

Partager l'article:

Articles Recents

S'abonner

VIDÉOS SPONSORISÉES
VIDÉOS SPONSORISÉES

00:00:30

OPPO Reno12 : L’Alliance Parfaite entre Design, Intelligence Artificielle et Performance

Les séries Reno12 d'OPPO marquent une avancée significative dans le domaine de la photographie mobile grâce à l'intégration poussée de l'intelligence artificielle.
00:02:15

Abdelaziz Makhloufi, PDG de Cho Group, met en lumière l’excellence de l’huile d’olive tunisienne sur BFM Business

Fort de son expertise reconnue dans le secteur oléicole, Abdelaziz Makhloufi, Président-directeur général du groupe Cho, a saisi l'opportunité de l'émission BFM Business pour promouvoir l'huile d'olive tunisienne à l'échelle internationale.
00:00:32

Lancement du nouveau Huawei Nova Y61

Huawei Consumer Business Group annonce le lancement du HUAWEI nova Y61, le plus récent smartphone de la série HUAWEI nova Y.

CONTENUS SPONSORISÉS
CONTENUS SPONSORISÉS

Ramadan : Un Mois Propice pour rompre avec la cigarette

Le mois sacré de Ramadan offre une opportunité unique pour ceux qui désirent se libérer de l'emprise de la cigarette.

OPPO A78, le nouveau smartphone bientôt en Tunisie

OPPO, la marque leader sur le marché mondial des appareils connectés, vient d’annoncer l’arrivée sur le marché tunisien de son dernier smartphone A78, à partir du 1er septembre 2023.
00:03:27

OPPO Tunisie lance les nouveaux smartphones Reno8 T 4G, Reno8 T 5G, un design élégant et une fluidité totale

OPPO vient d’annoncer le lancement, en Tunisie, de ses derniers modèles de smartphones de la série Reno, les nouveaux Reno8 T et Reno8 T 5G, avec une offre spéciale durant tout le mois de mars 2023.

Oppo consolide sa position et met en avant la nouvelle technologie de son Reno7

OPPO, la marque internationale leader dans l’industrie des smartphones et des objets connectés, a développé ces dernières années sa position et ses activités en Tunisie, dans le cadre d’une extension sur les marchés de la région Moyen Orient et Afrique.

A lire également
A lire également

La Tunisie célèbre la IXe Semaine de la Cuisine Italienne : les pâtes au cœur de la Méditerranée

La Tunisie célèbre les saveurs de l'Italie ! Rejoignez-nous pour la Semaine de la Cuisine Italienne et découvrez les liens culinaires entre les deux pays. Au menu : dégustations, ateliers, et une masterclass exceptionnelle sur les pâtes.

Tunisie : Une nouvelle ère pour l’investissement grâce à la plateforme numérique

La Tunisie lance une plateforme numérique innovante pour faciliter les démarches administratives et attirer les investissements étrangers. Découvrez comment investir en toute simplicité.

26ème Forum International de Réalités : Le tourisme méditerranéen, moteur économique en mutation, se réinvente à Hammamet

Le tourisme méditerranéen face aux défis du XXIème siècle. Experts et décideurs réunis au 26ème Forum International de Réalités pour repenser l'avenir du secteur. Durabilité, numérique, coopération : les enjeux clés pour un tourisme responsable.

38ème Journées de l’Entreprise : S’adapter aux grands changements pour réinventer l’entreprise de demain

Les 38èmes Journées de l'Entreprise à Sousse : un rendez-vous incontournable pour les dirigeants qui souhaitent adapter leur entreprise aux grands changements et saisir les nouvelles opportunités. Réforme des chèques, géopolitique, intelligence artificielle... tous les sujets clés seront abordés

SMART Tunisie : Fin du contrat de liquidité, quelles conséquences pour les investisseurs ?

Découvrez les raisons qui ont conduit à la fin du contrat de liquidité de SMART Tunisie, leader de la distribution IT en Tunisie. Quelles en sont les conséquences pour les investisseurs ?

Budget 2025 Tunisie : Un fort investissement pour soutenir le pouvoir d’achat et stimuler les exportations

Le budget tunisien 2025 alloue 3,9 milliards de dinars au commerce, avec un focus sur les subventions alimentaires et le renforcement des contrôles économiques. Découvrez les implications pour les consommateurs et les entreprises.

Royaume-Uni : Le PIB ne décolle pas, croissance limitée à 0,1% au 3ème trimestre

L'économie britannique ralentit : le PIB n'a progressé que de 0,1% au 3ème trimestre 2024. Découvrez les raisons de ce ralentissement et les perspectives pour l'avenir.

AMI Assurances : Malgré la baisse des primes, la société renforce sa position sur le marché tunisien

AMI Assurances dévoile ses chiffres clés pour le premier semestre 2024. Focus sur les primes, les sinistres, les investissements et les dernières innovations de l'assureur tunisien.