SERENA, MALGRÉ TOUT
Blessée aux deux genoux, souffrant du coude droit, malade à l’Open d’Australie et à Roland Garros, elle a pourtant tout gagné, sauf l’US Open. La force mentale de notre Championne des championnes monde, sacrée pour la troisième fois, est sans limite.
Deux mois et demi plus tard, la confession de Patrick Mouratoglou laisse toujours pantois. « Serena m’a dit qu’elle avait l’impression d’avoir fait une année pourrie, lâcha son coach, quelques jours après l’annonce de la fin de saison de l’Américaine. Je comprends ce sentiment. Et je ne suis pas loin de penser la même chose… » On parle tout de même
d’une joueuse qui a gagné trois des quatre tournois du Grand Chelem, n’a subi que trois défaites en 56 matches et relégué la concurrence aux oubliettes. Durant six semaines, cet été, Serena posséda deux fois plus de points WTA que sa dauphine (ce même écart séparait la deuxième mondiale de la millième…). Du jamais vu en quarante ans de classement
WTA. « Pourrie » cette saison 2015? C’te bonne blague !
«MON MEILLEUR SOUVENIR? MONRETOURÀINDIANWELLS»
D’où vient alors ce ressenti ? Évidemment de la défaite en demi-finales de l’US Open contre Roberta Vinci. Défaite qui priva Serena Williams d’un Grand Chelem calendaire, le premier depuis celui réussi par Steffi Graf en 1988. Serena pousse si loin le curseur de ses propres
exigences que le moindre échec lui paraît insupportable.Pourtant, cette défaite donne à sa saison une saveur exceptionnelle. « On entend parfois dire : Serena gagne tout, comme si c’était normal, souligne à juste titre Marion Bartoli. Mais c’est tout sauf normal ! En fait, elle arrive à tout vaincre. Sa défaite à l’US donne encore plus de relief à tout ce qu’elle a fait. » Si2015 restera une année hors norme pour la numéro 1 mondiale, c’est parce que son outrageuse domination n’a pas vogué sur un long fleuve tranquille. Toute l’année, l’Américaine a dû composer avec des douleurs et des maladies. Son corps ne l’a jamais
laissée tranquille. Elle a vomi durant un match pendant l’Open d’Australie. Elle a durement souffert des deux genoux (œdèmes osseux). Elle est arrivée à Roland-Garros le coude droit en capilotade.
Victime d’une fièvre tenace, elle est passée à deux doigts de déclarer forfait avant sa finale contre Lucie Safarova. À New York, ses genoux lui faisaient encore souffrir le martyre.
Mais cette femme de trente-quatre ans est plus forte que la douleur. « Je sais par quoi Serena est passée cette année, dit Bartoli. Contre Sharapova, à Melbourne, elle a vomi lors de l’interruption par la pluie. Elle est revenue sur le court et elle a servi deux aces ! Après, il y a eu sa maladie à Roland-Garros. En finale, Safarova a le match en main au troisième
et, pourtant, Serena a retourné le match. Pareil à Wimbledon, où elle est plus que malmenée par Heather Watson. Sa mère revient (dans le box) alors qu’elle est menée 3-0 au troisième, je ne suis pas sûre qu’elle aurait gagné si elle était arrivée un changement de côté plus tard. À chaque fois, ça s’est joué à rien, mais elle est allée chercher les ressources au plus profond d’elle-même alors qu’elle a déjà tout gagné. Cela la définit aujourd’hui. Elle est la seule au
monde à avoir ces ressources et à aller les chercher de cette manière. Serena, c’est une source d’inspiration au-delà du sport.» Être parvenue à surmonter ces obstacles successifs pour écraser le circuit sous sa poigne n’est pourtant pas la plus grande fierté de l’Américaine. Dans son cœur, 2015 restera toujours associé à un retour. À Indian Wells. Depuis 2002, elle
boycottait systématiquement le tournoi californien. Blessée par les huées et les insultes racistes qui avaient fait suite au forfait de sa sœur Venus le matin de leur demi-finale, en 2001, la numéro 1 mondiale (alors âgée de 19 ans) n’avait pas pardonné. Jusqu’à cette année. Avant de rendre publique sa décision, quatre jours après son triomphe à l’Open
d’Australie, Serena consulta longuement les membres de sa famille. Personne n’opposa son veto. Et personne ne le regretta. « On m’a souvent demandé quel était mon meilleur souvenir en tennis, a confié Serena à Sports Illustrated, qui l’a élue « Sportif de l’année
2015», tous sexes confondus. J’ai toujours répondu qu’il était à venir. Mais je crois désormais que je l’ai vécu cette année à Indian Wells. J’ai été stupéfaite par toutes les émotions que j’ai ressenties. Et aussi de réaliser à quel point j’ai été soulagée de l’avoir fait.» En 2016, évidemment, elle visera encore le Grand Chelem. « Elle aura une autre occasion de le réussir, conclut Marion Bartoli. Elle va rebondir. J’ai un respect absolu pour elle et pour sa soeur, même si elles ont des palmarès différents. Elles sont forgées du même bois. Mais surtout, au-delà de la championne, Serena est une femme exceptionnelle.»