Le coup d’envoi de l’édition 2022 du «Smart City Casablanca Symposium» a été donné ce mercredi 25 mai au Maroc sous la thématique « L’intelligence communautaire et l’innovation low-tech», un sujet qui ne cesse de prendre de l’importance et d’alimenter le débat, aujourd’hui, au vu des expériences de résiliences low tech des citoyens pendant la crise de la Covid-19 mais aussi de l’importance de l’intelligence communautaire pour transiter vers la Smart City. Organisé par Casablanca Events et Animations, en partenariat avec l’université Mohammed VI Polytechnique et l’Université Hassan II de Casablanca, l’événement se veut un carrefour d’échange et de réflexion sur la relation entre le citoyen et la technologie low-tech, mais aussi sur les défis liés à l’urbanisation et à la métropolisation.
Bizerte n’est qu’un début…
En tant que président de l’association Tunisian Smart Cities et Directeur Development Méditerranée, Architecte – Referent “Smart & Sustainable Cities” – Setec International, Borhène Dhaouadi, a apporté sa contribution et participé à cet évènement d’envergure pour partager son expérience ainsi que celle de son association pour la transformation d’une trentaine de villes tunisiennes en villes intelligentes et durables et ce, à l’heure où l’urbanisation s’accélère et la mobilité urbaine devient un défi de tous les instants.
Animé à cet égard un Workshop intitulé ‘’La low-tech au service de l’équité sociale et du développement durable inclusif’’, M.Dhaouadi n’a pas manqué de rappeler que chaque pays a sa propre expérience en la matière et développera son propre modèle selon ses besoins, ses attentes, ses moyens… Entre le Maroc où les premiers jalons de la notion Smart City ont été posés depuis quelques années, l’Algérie qui, depuis peu du temps, est partie du bon pied pour son introduction et la Tunisie qui a connu un début d’expérience en dents de scie, la notion Smart City commence à s’enraciner à l’échelle maghrébine et même africaine, mais beaucoup reste à faire dans ce cadre là. C’est un combat au quotidien qui rime avec ‘’sacrifice’’ et ‘’détermination’’ pour mettre en place de nouveaux modèles économiques, de nouvelles pratiques, réfléchir aux mutations des relations entre les différents acteurs publics et privés dans les territoires, aux enjeux relatifs à l’aménagement intelligent et durable des territoires…
« Le point de départ était à Bizerte où tout a commencé en 2009 avec le lancement de l’association ‘’Bizerte 2050’’. C’était un rêve qui devient une idée puis quelque chose de concret et ce, grâce à un grand travail dur, à une longue liste de processus et surtout au talent des jeunes tunisiens à inventer demain… Et depuis, le concept de Smart City a commencé à faire son chemin et les premiers périmètres smart ont commencé à se dessiner dans notre pays grâce aux efforts déployés par la société civile et appuyés par le gouvernement et les collectivités locales. Tout ce travail a abouti au grand jour : la Tunisie a, bel et bien, commencé à en faire parler à travers le Programme Tunisian Smart Cities (TSC), une initiative qui se transforme en un programme national, porté par les autorités tunisiennes et incubé durant l’année 2021 à l’Institut tunisien des études stratégiques (Ites), qui est placé sous la tutelle de la Présidence de la République », a-t-il souligné.
Il ne s’agit pas d’une boîte de solutions prêtes
Dans ce même cadre, M.Dhaouadi a ajouté qu’après ce parcours de combattant et toutes les difficultés rencontrées, on a finalement vu le bout du tunnel ; aujourd’hui, TSC se positionne en tant que tiers de confiance entre les autorités nationales et communales, le monde économique, le monde académique et la société civile. Plus loin que cela, il joue le rôle d’un révélateur d’opportunité, fédérateur d’écosystème, mobilisateur d’enthousiasme et accélérateur de projets. A cet égard, à travers ses partenaires techniques (bureaux d’études, entreprises, ONG…), TSC œuvre principalement et activement à la production des supports d’aide à la décision, qui se manifestent en des études prospectives, de faisabilité et de préfaisabilité, y compris les indicateurs de performance clés, d’analyse, de prévision… Ces supports, immédiatement exploitables, ont été formalisés à partir de différentes données fiables, permettant aux administrateurs du projet de prioriser les actions à déployer.
Mais à ce niveau là, il est important aussi de préciser qu’il ne s’agit pas d’une boîte de solutions prêtes ou dictées, il ne s’agit non plus d’importer le modèle de Barcelone, de Londres ou de Singapour et de l’implémenter chez-nous. En effet, après la réussite de l’expérience de Bizerte, on a passé à la vitesse grand V pour généraliser le concept de Smart Cities sur tout le territoire national. A cette fin, l’association « Tunisian Smart Cities » a été créée avec comme objectif principal la durabilité environnementale, économique et culturelle. Dans ce cadre, une caravane nationale de sensibilisation sur les Smart Cities et les enjeux des villes de demain a été organisée où on a visité les 24 gouvernorats du pays pour rassembler les Tunisiens et les aider à mieux comprendre la ville intelligente de demain, qui doit être construite pour et avec ses habitants car l’implication des citoyens est importante afin de créer des villes désirables et durables…
« En un seul mot, la caravane nationale Tunisian Smart Cities était une initiative unique en son genre où une pluralité d’acteurs (société civile, autorités locales et nationales…) se sont mobilisés pour l’identification et la co-conception des projets et ce, afin de rendre leurs villes intelligentes avec un ADN digital. Et donc, on n’a pas essayé de bâtir des stratégies depuis nos bureaux ou depuis la capitale, on est allé sur place partout dans les régions où on a essayé de co-construire avec la population locale un ensemble de réflexions qui va nous amener à définir leur propre modèle local de Smart City ou de Smart Village à l’horizon 2050… », a précisé M.Dhaouadi.
Un chantier en cache un autre
Il s’agit, donc, d’un programme ambitieux puisqu’il aborde les aspects du développement durable où on a défini un ‘’cadre objectif’’ pour le programme TSC, qui concerne 14 points et/ou composantes qui renvoient à la notion de la technologie low tech : utilité en répondant aux besoins essentiels, comme l’énergie, l’alimentation, l’accès à l’eau ou la santé, accessibilité en étant abordable et appropriable par le plus grand nombre de personnes et durabilité en optimisant les impacts tant écologiques que sociaux ou sociétaux à toutes les étapes du cycle de vie…Et donc, chaque action renvoie à un ou plusieurs autres idées pour rester dans le cadre du développement durable d’une manière générale…
« Chaque ville qui intègre le programme Smart Cities doit absolument avoir ce document et avoir un ensemble d’indicateurs de performance qui va nous permettre de mesurer l’évolution du projet au fils du temps… Et chaque territoire doit avoir un catalogue de projets qui va nous permettre de réaliser des actions concrètes sur le terrain. Et là, il n’est pas inutile de rappeler que ces projets doivent être bancables, PPPables, implémentables, durables, éligibles aux lois et aux directives liées au partenariat public-privé… Encore une fois, on a mis le doigt sur l’un des principaux problèmes, à savoir le financement de ces projets.
En effet, compte tenu du contexte macroéconomique très particulier et très délicat que traverse la Tunisie en ce moment, mais qui suppose toujours de continuer à accompagner l’innovation, on sait parfaitement que notre pays n’a pas forcement les moyens nécessaires pour implémenter d’une manière très large un programme Smart City. Mais de l’autre coté, il faut préciser aussi que les catalogues régionaux de projets en PPP n’engagent pas l’Etat financièrement. Ce dernier n’a qu’à mettre à la disposition des projets le terrain -le foncier-. Et donc, c’est à nous de ‘vendre’ nos projets à la condition de la qualité des projets, si nous ne réussissons pas, ce sera notre faute. Pour ce faire, on a insisté sur la maturité des projets et leur capacité à être ‘implémentables’ rapidement. Et donc, après l’élaboration des études financières, on œuvre de notre part à mobiliser l’écosystème financier (bailleurs de fonds, investisseurs, ONG, secteur privé, société civile…) à s’intéresser et à s’engager dans le financement de ces projets, qui sont bien évidement bancables et économiquement viables… On essaie donc de faire les bons projets, avec les bonnes personnes. Pour ce faire, on doit inventer avec la population locale le modèle économique qui va nous permettre de réaliser le projet mais aussi de le maintenir pour garantir par la suite sa pérennité », a-t-il expliqué.
Une fois que cette bataille est menée, il y a ensuite les interactions avec les autorités locales. C’est en fait comment on fonctionne avec les autorités locales ; une lutte quotidienne pour essayer de passer et d’imposer des démarches de ce genre même si le programme est adopté officiellement et dés le début par le gouvernement.
Concordance du programme avec la Low-Tech
Dans le programme Tunisian Smart Cities, les champs d’application de la Low-Tech sont nombreux et très variés. On a un exemple des projets qu’on a réalisés dans ce cadre là, où on cite notamment le réemploi et la réparation (via l’économie circulaire et le recyclage), l’agriculture et l’alimentation (la permaculture, l’agriculture biologique…), le commerce et la distribution (les initiatives zéro déchet, les circuits courts…), l’urbanisme (les maisons écologiques, les éco-quartiers…). Il y a aussi les notions liées à l’urbanisme et au développement du territoire où on privilégie les notions de villes qui se sont reconstruisent sur elles même à travers de gros programmes de renouvellement urbain. Entre autres, on privilégie la densité des programmes de renouvellement urbain qui vont permettre aux villes de se développer sur elles même.
S’agissant de l’outil d’action, M.Dhaouadi a indiqué qu’on a mis en place, dans un quartier populaire à Zarzouna, un incubateur ; c’est le Smart City Lab où on fait l’ensemble des actions, formation, accompagnement, startups, entreprises… On a même créé un studio pour intégrer un écosystème de rappeurs, ce qui nous a permis de faire passer le message à travers la musique et à travers l’art.
« Tous ces efforts ont porté leurs fruits : aujourd’hui, on a réussi à créer un écosystème national Smart City. Pour rappel, durant notre coopération avec l’Ites, on a lancé un appel à candidatures pour identifier et créer l’écosystème national TSC et aujourd’hui, on gère cet écosystème à travers une plateforme digitale dans laquelle il y a 88 municipalités, des instances régionales, les 24 gouvernorats, des entreprises publiques et des associations… On a créé un réseau qui nous a permis d’échanger ensemble sur la bonne pratique mais aussi sur les projets ainsi que les actions à mettre en place. C’est un ensemble de programmes intégrés et de démarches structurées qui n’enlèvent pas le caractère essentiel de la proximité, d’aller vers les gens, de discuter avec eux, de parler à leur langage…et aussi de favoriser les initiatives locales. Aujourd’hui, cet aspect écosystème se repose essentiellement sur l’innovation », a-t-il conclu.