Tunisie, Histoire des réserves pétrolières

En 2015, le débat sur l’énergie connait un regain d’intérêt sans précédent .Une campagne médiatique de grand ampleur orchestrée par un parti politique et appelée ‘winou el pétrole’ raviva la tension entre l’Etat et le citoyen avide de connaitre la vérité des réserves de pétrole de son pays. Ainsi, une bataille des chiffres s’est engagée entre des experts de tous bords et les officiels de la Direction Générale de l’Energie. Certains ont réussi à installer le doute sur les chiffres officiels faisant croire aux citoyens tunisiens que le pays est doté des ressources en hydrocarbures abondantes, exploitées et dilapidées par les multinationales du pétrole.  Les officiels de l’Etat rejettent toutes allégations mensongères et avancent des chiffres plus raisonnables. Dans ce contexte, parsemé de conflits de doutes et d’opposition d’intérêts, nous essayerons dans cette esquisse d’apporter notre contribution à ce débat, afin de lever le voile sur la vérité des découvertes des hydrocarbures en Tunisie depuis 1964 date de la première découverte et la plus importante d’huile située au Sahara tunisien (La découverte d’El Borma) jusqu’aux découvertes récentes. Il me semble instructif et utile de faire connaitre aux jeunes générations et futurs chercheurs la belle histoire de l’industrie pétrolière. Que l’on ne se trompe pas sur mes intentions : le but de ce travail n’est pas de dénoncer et sanctionner. Il se veut au contraire une contribution positive à connaitre un pan important de secteur de l’énergie en Tunisie. Il prône une clarification en attendant une nouvelle gouvernance du secteur de l’énergie dans ce pays. Nous adopterons une approche à triple dimension : Historique, académique et analytique. Nous répondrons aux trois questions incontournables,

  1. Avons-nous suffisamment de pétrole ?
  2. Allons-nous vers une pénurie pétrolière, ouvrant le risque à des difficultés supplémentaires pour l’économie ?
  3. le sous-sol tunisien livrera-t-il plus de secret dans les années à venir moyennant un rythme soutenu de recherche et d’exploration abaissant les tensions sur la finitude prévue des ressources énergétiques ?

Réserves prouvées et réserves ultimes

Schématiquement, les découvertes peuvent être structurées en trois périodes. Entre 1964 et 1980, la Tunisie découvre les deux tiers de ces réserves pétrolières soit un 1,2 milliards de barils ‘Gbbl’. En dépit de l’envolé des investissements, les découvertes ont fléchi de 70% au cours de la décennie 80-90 ; enregistrant les plus mauvais résultats soient 158 millions de barils de réserves prouvées. Grace au maintien de l’effort d’investissement, le sous-sol tunisien livra plus de secret en additionnant aux réserves nationales 222 millions de barils entre 1990 et 2000, et un peu plus soient 320 millions de barils (nos estimations) au cours de la première décennie 2000-2013.

Pour trouver tout ce pétrole, plusieurs compagnies pétrolières ont parcouru le territoire tunisien et 760 puits d’exploration ont été forés. Ainsi d’après le graphique 1, les découvertes cumulées pétrolières effectives s’élèvent à peu près à 2 milliards de barils dont 1,5 milliard de barils ont été déjà exploités .Les découvertes de gaz sont évaluées à 123 milliards de m3 jusqu’à l’année 2014, dont 65 milliards ont été extraits. Les réserves prouvées restantes s’élèvent à 496 millions de barils pour le pétrole et 59 milliards pour le gaz. Au rythme actuel de la production, il restera encore aux tunisiens 17ans de pétrole. Une période qui peut être revue à la hausse, en réussissant la stratégie de maitrise de l’énergie, de la conservation des ressources actuelles et surtout l’émergence des nouvelles découvertes Un autre indicateur marquant la faiblesse des découvertes est celui de taux de retour énergétique mesurant le nombre de barils extraits par baril investi.

Depuis 2000, on dépensait l’équivalent d’un baril pour ne retrouver que 7 bbl, contre 19bbl découvert au cours de la période 60-70. Nous rappelons que dans le monde d’ici 2020 ce taux dépassera les100% , grâce notamment aux recherches sans relâches réalisées par les multinationales du pétrole lesquelles sont devenues l’ennemie des nouveaux révolutionnaires tunisiens. En conséquences de ce faible bilan , il est donc normal que la Tunisie enregistre une dégradation de son indépendance énergétique passant à 56% en 2017 contre 93% en 2010 mettant en péril nos approvisionnements futurs.

Il est à noter, que si on cherche à maintenir les réserves d’hydrocarbures à leur niveau actuel, il faudrait forer une vingtaine de puits d’exploration au moins chaque année. Sachant qu’un puits foré coute dans l’on-shore à peu près 25 millions de dinars (10 à 15 M$) , et dans l’offshore, il est estimé à plus de 90 millions de dinars (45 à 55 M$).
En conséquence, sans le partenariat avec les compagnies estrangères ces opérations ne se réaliseront jamais. Un autre désavantage comparatif dont souffre la Tunisie est le cout élevé de reconstitution des gisements appelé Maximum Finding Cost qui est estimé à 20 $/bbl.

Quant aux prix de revient se référant à celui de l’Etap, il peut dépasser les 50$ pour certains gisements nouveaux. Pour conclure ,il faut rappeler que les découvertes sont aussi classées dans la catégorie des gisements marginaux.

Production journalière en barils  / Jrs Nombre de gisements actuel
10000 et plus 0
5000 -10000 3
1000-50005 5
moins de 1000 28

En effet ,la taille de l’ensemble des gisements telle que retracée dans le tableau concerné ,n’encourage guère les compagnies pétrolières à investir si le cadre actuel caractérisé par une fiscalité n’est ni attractive ni encourageante.

En conclusion, nous souhaitons vivement que ces chiffres peuvent aider les nouveaux révolutionnaires à temporiser leurs actions de destruction de ce petit patrimoine qui a longtemps servi le pays à se développer. Au temps de la rente de 15% du Pib, la Tunisie a financé à hauteur de 50% ses investissements d’équipements et les revenus pétroliers ont généré des recettes propres représentants 2% du Pib.

Le pétrole à découvrir

Le potentiel à découvrir est un exercice très délicat, il ne peut être estimé correctement que par une étude des Systèmes Pétroliers existants et leur génération (nécessitant des analyses par Rock-Eval), de toutes les campagnes sismiques existantes calibrées sur tous les puits existants. Cette étude est bien au-delà de nos moyens, nous se référerons aux études statistiques, laissant ce travail aux explorateurs en activité.

Il est préférable de présenter les résultats sous forme de courbe d’écrémage (découvertes cumulées versus nombre cumulé de puits d’exploration (NFW). Nous présentons dans ce qui suit les résultats obtenus par le célèbre géologue J.Laharrere.

En Tunisie, les 55 champs découverts et transformés en concessions d’exploitation depuis 1949 à 2014 et dont 36 seulement restant en activité actuellement, représentent 2 Gb de brut et condensat et 4,3 Tcf (0,8 Gbl ou 124 G m 3) de gaz.

Observant, la courbe des découvertes cumulées, on constate que la tendance continue avec la même pente montrant bien qu’il y a encore des champs à découvrir, malheureusement de taille de plus en plus réduite. Pour une activité future aussi importante que le passé (760 puits fin 2014), le cumul pour 1000 puits d’exploration ne sera que de 2,5 Gb et 5 Tcf ou 0,9 Gbl qui peuvent être pris comme ultimes. En conséquence, le potentiel à découvrir serait alors de l’ordre de 500 millions de barils pour le pétrole brut et 100 millions d’équivalent baril pour le gaz naturel.

D’autres sources sont très proches de ces résultats, Selon l’USGS, la Tunisie disposerait encore d’un potentiel de 110 Mtep soient 800 millions de barils (à 95% de probabilité) de ressources conventionnelles d’hydrocarbures ’Pétrole +gaz ‘ non encore identifiées. Quant à la Direction Générale de l’Energie, elle déclare des resserves prouvées de 419 Mtep dont 296 Mtep sont déjà épuisées laissant dans le sous-sol tunisien l’équivalent de 123 Mtep réparties entre 54% pour le pétrole-485Mbbl- et 46% pour le gaz.

Un avenir sombre
Corroborant le message délivré par le graphique 1, les résultats des différentes extrapolations de ressources énergétiques fossiles montrent qu’elles sont en train de se raréfier. D’ici 2030, la production du pétrole brut chutera de 2,3 MTep en 2016 à 0,5 Mtep en 2030, le gaz suivra la même tendance baissière pour passer de 2Mtep à 1Mtep au cours de la même période de prévision. Plusieurs handicaps empêchent la Tunisie d’aller chercher son pétrole très peu fournit par la nature.

  1. Il faut forer encore 300 puits, pour atteindre les réserves ultimes, objectif très difficile à réaliser et tardera dans le temps-15 ans- dans un contexte caractérisé par les opérations de sabotage sur les champs de production.
  2. Le volume des investissements reçu ces 10 dernières années a chuté de 52% passant de 1490 MDT entre 2006-2009 à 775MDT au cours de la période 2010-2015.
  3. Les gisements marginaux ont atteint leur maturité
  4. Le volume des IDE reçu ces 10 dernières années a chuté de 52% passant de 1490 MDT entre 2006-2009 à 775MDT au cours de la période 2010-2015.
  5. Le déficit énergétique ne cesse de se dégrader passant de 0,6 Mtep en 2010 à 3,7 en 2016.
  6. Très mauvaise gouvernance de secteur, les actions sont de plus en plus focalisées sur les ENR.

En guise de conclusion, nous constatons que la finitude de nos ressources énérgétiques s’accélére rapidement mettant en danger notre approvisionnement futur sur marché pétrolier au prix imprévisible. Cette situation grévera lourdement nos déficites jumaux si l’Etat n’agit pas rapidement.

MACSA : Département Recherches
Pr Nouri Fethi Zouhai