Le Forum Miqyes, dans sa 7ème édition, a mis en lumière les réalités complexes et les enjeux cruciaux auxquels sont confrontées les PME tunisiennes. Cette étude approfondie, menée par la CONECT en partenariat avec le PNUD, ne se limite pas à un simple constat statistique, mais offre une analyse stratégique des dynamiques structurelles et des tensions qui traversent le tissu entrepreneurial tunisien.
Une transformation économique urgente et des obstacles persistants
Pour Arslan Ben Rejeb, président de la CONECT, la nécessité de transformer l’économie tunisienne est indéniable. L’émergence de nouveaux modèles économiques et l’accélération des innovations disruptives exigent une adaptation rapide. Le baromètre Miqyes, depuis sa création en 2017, s’est imposé comme un outil essentiel pour identifier les leviers de transformation et orienter les décisions stratégiques. Cependant, cette transformation se heurte à des obstacles structurels persistants, notamment en matière d’accès au financement, de valorisation des ressources humaines et de développement des marchés.
L’accès au financement : un défi majeur pour 80 % des PME
L’étude révèle que 80 % des PME considèrent l’accès au financement comme un obstacle majeur. Ce constat est d’autant plus préoccupant que près de la moitié des entreprises (48,6 %) n’ont même pas déposé de demande de financement, soit par peur du rejet, soit en raison de critères bancaires jugés trop restrictifs. Paradoxalement, 63 % des demandes effectivement déposées sont acceptées, ce qui met en évidence un écart important entre la perception et la réalité du système bancaire. Face à cette situation, de nombreuses entreprises se tournent vers le leasing, choisi par 55 % des PME interrogées.
Des critères de financement inadaptés et des stratégies de marché inégales
Les critères d’attribution des crédits favorisent principalement les entreprises les plus établies, basées sur des modèles traditionnels de rentabilité. Dans un contexte où l’agilité et l’innovation sont des moteurs de croissance essentiels, cette rigidité limite les perspectives de développement des PME tunisiennes. Une révision des politiques de financement, avec une approche plus inclusive et adaptée aux réalités des PME, devient impérative.
L’analyse de l’économiste Abdelkader Boudriga met en lumière la disparité entre les entreprises qui réussissent et celles qui peinent à survivre dans un contexte économique difficile. Si 64 % des PME ont réalisé des bénéfices en 2023 (contre 71 % en 2017), 31 % ont enregistré une régression de leur chiffre d’affaires. Les entreprises dirigées par des femmes et celles tournées vers l’export se distinguent par de meilleures performances, soulignant l’importance de l’ouverture aux marchés internationaux et de l’innovation managériale.
Cependant, l’accès aux marchés demeure complexe, notamment pour les marchés publics, où seulement 23 % des entreprises tentent leur chance, avec un taux de succès ne dépassant pas 10 %. Cette situation met en évidence la nécessité de repenser les stratégies de partenariat et de favoriser la création de clusters sectoriels pour mutualiser les ressources et renforcer la compétitivité des PME.
Modernisation des paiements : un levier de confiance économique
L’entrée en vigueur de la loi n°2024-41, le 2 février 2025, introduit une réforme majeure du système des paiements en Tunisie. Cette réforme vise à moderniser les transactions grâce à l’introduction de carnets de chèques avec date d’expiration, plafonds de montants et QR codes. La plateforme TuniChèque, qui permet de réserver le montant d’un chèque en temps réel, constitue une avancée pour limiter les risques de paiements différés.
Malgré ces efforts, le chèque demeure le mode de paiement prédominant dans 80 % des transactions interentreprises. Pour que ces réformes soient pleinement efficaces, un changement de culture financière s’impose, afin que les PME adoptent des outils de paiement plus modernes et sécurisés.
Vers une économie plus résiliente et inclusive
Le baromètre Miqyes 2024 met en évidence des défis majeurs, mais propose également des pistes de transformation. L’administration complexe, la fiscalité lourde et le manque de compétences constituent des freins à la croissance, nécessitant un accompagnement adapté pour les PME à fort potentiel. La digitalisation, le renforcement des partenariats stratégiques et la diversification des financements doivent être au cœur des politiques publiques et privées.
Malgré un contexte national et international difficile, 60 % des PME se disent optimistes quant à l’avenir économique du pays. L’entrepreneuriat tunisien demeure avant tout familial (73,4 % des PME), un élément à valoriser dans les stratégies de développement.
Si les chiffres témoignent d’une résilience certaine, ils révèlent également un besoin urgent de repenser les modèles économiques. Il est temps de transformer ces constats en actions concrètes pour libérer pleinement le potentiel des PME et instaurer un environnement économique plus dynamique et équitable en Tunisie.