UNE JOUEUSE HORS NORME
Trois entraîneurs d’ex-numéros 1 mondiales ont croisé régulièrement l’Américaine. Ils énumèrent ses qualités.
Wim Fissette,Loïc Courteau et Carlos Rodriguez ont, tous les trois, entraîné des numéros 1 mondiales,adversaires de Serena Williams. Au côté de Kim Clijsters, le premier a vécu une demi-finale épique (victoire 6-4, 7-5 et scandale avec une juge de ligne) à l’US Open en 2009. Avec Amélie Mauresmo, le deuxième, nouvel entraîneur de l’équipe de France de Coupe Davis, a croisé une douzaine de fois la route de l’icône du circuit féminin. Et dès 1997,en qualifications du tournoi de Zurich, le troisième, ancien coach de Justine Henin, avait repéré la future terreur du circuit. Ces techniciens donnent leur vision de la numéro 1 mondiale.
Wim FISSETTE (ancien entraîneur de Kim Clijsters – et de Simona Halep – et coach de Victoria Azarenka «Elle n’a aucune faiblesse»
«C’est vraiment la meilleure joueuse du monde depuis quinze ans. Elle a révolutionné
le tennis féminin. Je la place devant Steffi Graf parce que sa carrière est très longue et qu’elle est vraiment très complète. Elle n’a aucune faiblesse. Mentalement, elle est super forte. Physiquement, elle est super forte. Techniquement, elle est super forte. Elle a le
meilleur service, le meilleur physique et c’est la plus puissante. Elle a une marge incroyable. Contre la plupart des joueuses, elle peut encore gagner facilement en jouant à 80% de son niveau. Le plus impressionnant, c’est sa motivation. Comment fait-elle pour la garder depuis
quinze ans ? J’ai beaucoup de respect pour son équipe, qui l’aide à rester motivée. Ces trois dernières années, c’était le plus important. Avec Kim (Clijsters), je l’ai constaté. Après son retour en 2009, elle s’était fixé des objectifs : gagner un Grand Chelem et battre les meilleures comme Serena. Devenir numéro 1 mondiale, ce n’était pas vraiment un but. Trois
mois après son come-back, elle avait déjà gagné un Grand Chelem et battu toutes les meilleures. J’ai senti que c’était difficile de rester motivée tout le temps. C’est pour
ça que j’ai un incroyable respect pour Serena. C’est un peu comme Roger (Federer), mais lui a sa famille et ses enfants avec lui sur le circuit. Elle, elle est encore à 100%concentrée sur le tennis et sa carrière.»
Loïc COURTEAU (ancien entraîneur d’Amélie Mauresmo; entraîneur de l’équipe de France de Coupe Davis) «Elle est en mission pour gagner»
« Serena a été la transition entre deux mondes.Elle a symbolisé la bascule vers le tennis puissance, le tennis physique. Quand elle joue très bien, ses adversaires savent qu’elles vont se faire atomiser. Ce n’était pas le cas avec les autres championnes qui ne servaient pas à
200 km/h et ne te mettaient pas à vingt mètres de la balle. Aujourd’hui, de plus en plus de joueuses frappent fort, mais aucune ne l’a égalée. Je me souviens de la fessée (6-2, 6-1) qu’elle avait mise à Amélie (Mauresmo) à Wimbledon en 2002 (en demi-finales). En sortant du match, on s’est dit qu’on n’était pas dans le même monde.C’est terrible parceque
tu as un sentiment d’impuissance quand elle joue bien et, en même temps, tu cherches où tu dois aller pour combler le retard et développer d’autres qualités pour la battre. Comme tous les grands champions à toutes les époques, elle a tiré les autres vers le haut. Tous les
champions d’exception amènent leurs adversaires à se remettre en question et à devenir meilleurs. Ce qui m’impressionne le plus chez Serena, c’est sa volonté du premier au dernier point, sa faculté de concentration, son calme. On sent dans ses yeux qu’elle est en mission
pour gagner. Elle a tout ce qui va avec cette mission : son jeu pour démolir les filles et son charisme sur le terrain. Quand elle rentre sur un court, elle fait peur, mais il faut qu’elle soit
motivée pour ça. Même si elle n’a pas d’égale aujourd’hui pour se motiver, je pense que Patrick (Mouratoglou) a su la remettre sur le chemin de la motivation pour battre des records. Son égale, ce n’est pas les autres, c’est elle-même et les records. C’est une gagneuse pardessus tout.»
Carlos RODRIGUEZ (ancien entraîneur de Justine Henin et de LiNa) «Elle a bousculé les mentalités»
« Le plus impressionnant, c’est sa longévité. Pendant presque vingt ans, Serena a réussi à garder un même mental. Ses fondations sont bâties sur la passion et l’amour du sport et lui permettent de durer. Ses parents lui ont inculqué cette haine de la défaite, mais ce n’est pas négatif. Elle accepte la défaite, mais elle essaie de tout faire pour gagner, gagner et gagner. Il faut des actes, un état d’esprit et une philosophie pour garder cet esprit vingt ans plus tard. C’est dans tout ce qu’elle fait, pas seulement dans le tennis. Elle a la volonté d’être la
meilleure et de donner le meilleur d’elle même. C’est sa plus grande force. Les soeurs Williams – on ne peut pas parler de Serena sans Venus – ont révolutionné le tennis. Elles ont amené un rapport de force, une compétitivité et une approche du haut niveau différents
dans le tennis féminin. On a souvent mis la réussite de Serena sur le compte de la puissance et de la force, mais il y a toute une série de qualités intrinsèques. Elle n’est pas championne depuis plus de vingt ans qu’avec ça. Sur et en dehors du court, elle a bousculé les mentalités. Toute né tant correcte et respectueuse, il y avait une guerre d’influence et de positionnement psychologique. Même si ça peut choquer certains, elle a très bien
joué le coup. Quand on joue une pièce de théâtre, il faut jouer le jeu. Elle avait une arme que les autres n’avaient pas. Elle faisait peur aux adversaires. Serena a beaucoup apporté au tennis. Pas seulement par ses victoires. Aujourd’hui, elle a un autre statut. Grâce à elle, le tennis féminin a évolué, notamment en termes d’égalité des prix, et elle a emmené
beaucoup de joueuses derrière elle. Comme Billie-Jean King, Graf, Evert, Navratilova, Margaret Court, c’est une championne des championnes. Elle est au-dessus du lot. Elle laisse un héritage énorme.»