Brésil : Reprise ne vaut pas sortie de crise

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Le PIB a enregistré un troisième trimestre consécutif d’expansion au 3e trimestre 2017 après huit trimestres de récession. Nous continuons de privilégier un rebond graduel de l’activité en 2018, porté par la demande intérieure et la demande mondiale. L’inflation est sous contrôle et le cycle d’assouplissement monétaire touche à sa fin. Des réformes en suspens et des élections à suspense pourraient perturber les marchés financiers dans les prochains mois. Malgré l’amélioration du marché du travail en 2017, les stigmates sociaux et psychologiques de la crise économique et politique ont réveillé le spectre d’un vote radical, susceptible de compromettre la difficile consolidation macroéconomique et budgétaire en 2019.

■ Poursuite de la reprise économique
La dynamique de croissance enclenchée en 2017 devrait se poursuivre en 2018. Le PIB réel a augmenté de 0,1% t/t en données corrigées des variations saisonnières (cvs) et de 1,4% en glissement annuel (g.a.), portant l’acquis de croissance pour 2017 à 1%. Les données pour le T1 et le T2 ont été révisées en hausse, tout comme l’historique ramenant la récession de -3,8% en 2015 et -3,6% en 2016 à -3,5% pour chacune des deux années. L’activité économique a continué d’être soutenue par la consommation privée (+1,2% t/t cvs) et les exportations (+4,1% t/t cvs) dans une conjoncture internationale plus favorable. L’investissement a enfin retrouvé des couleurs au T3 (+1,6% t/t cvs) après seize trimestres de repli, concrétisant enfin le rebond des indicateurs de confiance des entreprises en 2017. L’accélération des importations (+6,6% t/t cvs) explique la contribution négative du commerce extérieur à la croissance. Sur le plan sectoriel, le redressement de l’activité industrielle demeure fragile (+0,8% t/t cvs au T3 après -0,4% au T2), quand celui des services (+0,6% t/t cvs au T3) apparaît un peu plus affirmé après trois trimestres positifs. Après une excellente performance au premier semestre, l’activité agricole s’est contractée au T3 (-3% t/t cvs).

La croissance économique encore poussive, l’output gap largement négatif, la rapide désinflation et un real plus stable ont permis un cycle d’assouplissement monétaire d’une ampleur inédite. L’inflation générale (IPCA) a atteint 2,95% g.a. en décembre 2017, pour la première fois en dessous de la bande inférieure de la cible de la banque centrale (4,5% +/- 1 point de pourcentage). La banque centrale (BCB) a réduit de nouveau son taux directeur à 7% en décembre, soit une baisse cumulée de 650 points de base en un an.

■ Redressement du marché du travail
Après deux années de climat social tendu, la lente reprise économique s’est traduite par une amélioration du marché du travail en 2017. Le taux de chômage a baissé rapidement à 12% en novembre, et les salaires réels ont progressé de 2,2% en g.a. sur les dix premiers mois de l’année. Une croissance économique moyenne de 3,7% par an durant « la décennie dorée » a permis la création nette de 1,3 million d’emplois par an dans le secteur formel entre 2004 et 2014, dont 70% dans les services et seulement 16% dans le secteur manufacturier. Dans la mesure où le taux d’activité est resté stable (à 61% fin 2014) sur la période, l’absorption des nouveaux entrants sur le marché du travail a été aisée et le taux de chômage a chuté de près de sept points de pourcentage à 6,5% (selon la nouvelle méthodologie de l’IBGE en place depuis mars 2016). La crise mondiale de 2008-2009 n’a eu qu’un effet modéré sur le marché du travail brésilien (i.e. ralentissement des créations d’emplois et hausse très transitoire du taux de chômage). L’amélioration tendancielle de la productivité du travail n’a pas été interrompue par la crise mondiale grâce à la baisse du temps de travail.

Le retournement du marché de l’emploi a eu lieu au T4 2014, et le taux de chômage a culminé à 13,7% (non corrigé des variations saisonnières) en mars 2017. Dans une première phase, la hausse rapide du taux de chômage a reflété un ralentissement du rythme des embauches brutes jusqu’à mi-2015. Puis, dans une seconde phase, alors même que les embauches brutes retrouvaient un peu de vigueur, les licenciements se sont accélérés. Plus de 3,9 millions d’emplois (4% de l’emploi total) ont été détruits entre fin 2014 et le printemps 2017, dont 3,1 millions dans le secteur privé et plus de 700 000 dans le secteur public. Le secteur manufacturier a payé le plus lourd tribut (2,1 millions soit 15% d’emplois perdus entre fin 2014 et février 2017), suivi du secteur de la construction, au coeur de « Lava Jato » (1,1 million d’emplois supprimés soit aussi 15% du secteur entre fin 2014 et mai 2017). Plus gros pourvoyeur d’emplois (près de 50% de l’emploi total), le secteur des services au sens large a mieux résisté, soutenu par le rebond de l’emploi informel et indépendant à partir de mi-2016. La crise a donc interrompu la baisse tendancielle du secteur informel (environ 40% de l’emploi total fin 2017), qui explique a priori la stabilité (voire la légère augmentation) du taux de participation à la population active durant la crise. Au final, la productivité du travail a chuté de 7% entre 2013 et 2016 (données Conference Board).

La reprise économique aidant, 3 millions d’emplois nets ont été créés entre mars et novembre 2017. Toutefois, se pose la question de la qualité et de la pérennité de ces nouveaux emplois puisque près des deux-tiers concernent les secteurs informel et indépendant. Du point de vue sectoriel, la moitié des créations d’emplois s’est concentrée dans les services et un quart dans l’administration et les services publics. L’emploi industriel a progressé de 5% (+556 000 postes) et l’emploi dans la construction de 1%.

■ Mais un bilan socio-économique de la crise lourd
L’intensité de la crise économique et la faiblesse des amortisseurs sociaux dans un contexte de finances publiques dégradées ont remis en cause les avancées sociales en réenclenchant un processus de paupérisation et de « déclassement social » d’une frange de la population. Jusqu’en 2014, la vigueur de l’activité économique accompagnée de politiques redistributives et sociales relativement avisées durant la « décennie dorée » a permis une croissance significative du revenu moyen par habitant de 66% en parité de pouvoir d’achat entre 2002 et 2014 (selon le FMI), la baisse des inégalités (toujours élevées) et de la pauvreté, ainsi que l’émergence d’une classe moyenne.

Entre 2014 et 2016, le PIB par habitant (en PPA) a reculé de 6% à USD 15 211. Selon nos estimations effectuées à partir des données d’Euromonitor International, le revenu médian par ménage (en PPA) a reculé d’USD 23 900 à USD 22 700 en deux ans. D’après une définition absolue (large) de la classe moyenne mesurant la part de la population dont le revenu disponible est compris entre USD 10 et USD 100 en PPA par jour, la classe moyenne brésilienne, en progression de 45% à 67% de la population totale entre 2002 et 2014, a baissé de 2 points en deux ans. Environ 2,4 millions de personnes (en termes nets) ont été exclues de la classe moyenne en 2015-2016. Le « déclassement social » touche à la fois les ménages dits « aisés » qui ont rejoint la classe moyenne par le haut, et ceux l’ayant quitté par le bas. Le taux de pauvreté (la part de la population dont le revenu est inférieur à USD 10 par jour) aurait ainsi grimpé de 14,7% en 2014 à 16,1% en 2016.

Selon une seconde définition plus étroite de la classe moyenne (du quatrième au septième décile) excluant les 30% des ménages les plus pauvres et les 30% les plus aisés, la part des revenus des ménages de la classe moyenne dans les revenus disponibles totaux a stagné à environ 27% depuis 2014 après une progression ininterrompue depuis 1990. Toutefois, la part relative des revenus des ménages les plus pauvres (trois premiers déciles) a baissé très légèrement depuis 2014 par rapport au reste de la population. En 2016, les revenus des 10% des Brésiliens les plus pauvres ne représentaient que 2,9% des revenus des 10% les plus riches, en baisse pour la première année depuis 1990 et suggérant une légère augmentation des inégalités.

■ Réformes en suspens et élections à suspense : hantise des investisseurs
Dans un environnement international potentiellement moins porteur, la consolidation de la croissance et des finances publiques en 2019 soulèvent des inquiétudes. Relativement apaisés en 2017, les marchés pourraient être plus volatils à l’approche des élections générales d’octobre. Vainqueurs des élections municipales d’octobre 2016, le PMDB et le PSDB, partis menant la coalition gouvernementale (centre-centre droit) du président Michel Temer depuis la destitution de Dilma Rousseff (PT, gauche), ont été écornés depuis par l’exercice du pouvoir, les politiques d’austérité et les affaires de corruption. La réforme des retraites, l’un des piliers du programme de consolidation budgétaire, pourrait ne pas être votée avant les élections, conduisant Standard & Poor’s à dégrader la notation souveraine le 11 janvier. La défiance de la population à l’égard des partis traditionnels et l’épée de Damoclès judiciaire audessus de la candidature de l’ex-président Lula (PT), en tête dans les sondages, n’excluent plus l’hypothèse d’un vote radical.

Sylvain Bellefontaine

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