La fin de la mondialisation? Oui et non
FINBARR LIVESEY, enseignant à l’université de Cambridge, affirme dans From Global to Local que l’évolution technologique, les préférences des consommateurs, les défis environnementaux et le nationalisme nous font quitter l’ère de la mondialisation et entrer dans l’ère de la localisation. Contrairement à ce que le laisserait penser le sous-titre, l’auteur reste prudent et estime qu’alors que les entreprises localisent la production au plus près des clients, le commerce mondial de biens va ralentir, sans pour autant disparaître.
Sa thèse repose sur quatre arguments. Premièrement, la fabrication additive et l’impression 3D permettent une production localisée et robotisée, à plus forte intensité de capital que celle qui dépend des économies d’échelle traditionnelles. Deuxièmement, la hausse des salaires en Chine rend les délocalisations moins intéressantes. Troisièmement, les consommateurs exigent des produits sur mesure livrés rapidement, et les transports internationaux doivent respecter des limites d’émission de carbone. Quatrièmement, les politiques commerciales, fiscales et réglementaires sont motivées par un nationalisme opposé aux délocalisations.
Finbarr Livesey prévoit que la croissance du commerce international va être plus lente que celle des revenus nationaux et que le mouvement de mondialisation va s’inverser. Les méthodes de fabrication élaborées vont réduire ou supprimer les frais fixes, et partant les économies d’échelle, ouvrant la voie à de multiples unités de production de petite taille au service de clients locaux. Dans le même temps, les écarts de ressources entre les pays se comblent : les produits sont de plus en plus réalisés par des appareils mobiles intelligents, des imprimantes 3D et des robots, et l’accumulation rapide du capital en Chine a considérablement réduit la différence entre le ratio capital/travail de la Chine et celui de l’Europe et des États-Unis. Si l’on y ajoute les observations de l’auteur sur les coûts d’expédition et le nationalisme ambiant, la preuve est faite que le commerce va se développer moins vite que les revenus.
Enfin, oui et non. Les coûts fixes de production sont une question de robots et d’imprimantes 3D, mais aussi de connaissances spécialisées, de propriété intellectuelle, de proximité des ressources naturelles et de bien d’autres choses. Je doute fort que la spécialisation disparaisse. Les ressources à disposition des pays dépendent certes du ratio capital/travail, mais aussi du climat, de l’eau, des énergies renouvelables, de la protection contre les aléas naturels ou des caractéristiques culturelles. Ainsi, les progrès technologiques ont davantage de chances de développer le tourisme mondial que de le déplacer. De plus, de nombreux pays où la main-d’œuvre est bon marché vont continuer à exporter des biens et services à forte intensité de main-d’œuvre, dans le bâtiment par exemple.
Les coûts d’expédition peuvent aussi bien diminuer qu’augmenter. De nouvelles voies maritimes polaires entre l’Asie et l’Europe pourraient réduire les délais d’expédition. Les progrès de la logistique et des services en ligne faciliteront les échanges, tandis que les avancées du transport maritime et aérien vont sans doute rendre les émissions de CO2 relativement bon marché.
Le nationalisme est une menace bien réelle, mais loin d’être déterminante. Aux États-Unis, le protectionnisme du Président Donald Trump fait plus de bruit que de mal, et, en Chine, l’adhésion du Président Xi Jinping à la mondialisation et l’initiative «One Belt, One Road» (la nouvelle Route de la soie) pèsent autant que les grognements nationalistes en Europe et aux États-Unis.
La difficulté consiste notamment à définir plus précisément la «mondialisation». La croissance du commerce de certains biens manufacturés pourrait ralentir, mais celle de nombreux biens et services produits avec des ressources naturelles fondamentales mais limitées s’accélérer (aliments pour l’homme et l’animal, agriculture non alimentaire, énergies renouvelables, tourisme, etc.).
Le commerce de la propriété intellectuelle et des services financiers, la location d’infrastructures à forte intensité de capital et les installations de production dans les pays à faible revenu ont toutes chances de se développer. La force de ce bel ouvrage est qu’il nous pousse à porter un regard plus attentif et intelligent sur les moteurs de la mondialisation. Qu’elle s’accélère ou qu’elle recule, elle sera certainement différente à l’avenir. Finbarr Livesey nous aide à la comprendre et à anticiper l’évolution des relations d’interdépendance de l’économie mondiale.