Le Soleil : Interview de Rémy Rioux, le Directeur Général de l’Agence Française de Développement (AFD)
Le Soleil : En 2016, l’Agence Française de Développement (AFD) a réalisé un record dans ses engagements avec un montant de 9,4 milliards d’euros. Quelle est la part de l’Afrique dans ces engagements et les secteurs bénéficiaires ?
L’Afrique représente 50 % des engagements de l’AFD à l’international. Nous avons financé 4 milliards d’euros de projets en Afrique en 2016. C’est la priorité de la politique de développement de la France : 85% des moyens budgétaires qui nous sont accordés par l’Etat y sont concentrés.
Au Sénégal, nos engagements ont dépassé 140 milliards de francs CFA en 2016. En cumulé, depuis 2007, ce sont près de 900 milliards de francs CFA (1,4 milliard d’euros) que nous avons engagés dans votre pays. Dans de nombreux secteurs : les infrastructures bien sûr (eau et assainissement, transport avec le TER, développement urbain), l’énergie, l’agriculture, mais aussi les secteurs sociaux, en particulier l’éducation, priorité du Président de la République française. J’ai rencontré lundi 25 septembre Serigne Mbaye Thiam le Ministre de l’Éducation nationale, Serigne Mbaye Thiam, pour préparer l’importante réunion internationale du Partenariat Mondial pour l’Education (PME) qui se tiendra à Dakar en février prochain, sous la co-présidence des Présidents Macky Sall et Emmanuel Macron.
L’Afrique est la priorité de l’AFD. Fondée par le général De Gaulle à Londres en 1941, notre Agence sait ce qu’elle doit aux Résistants et aux combattants d’Afrique. Elle a dans son ADN la lutte contre toutes les injustices et toutes les inégalités. En cherchant à créer des liens multiples entre l’Afrique, l’Europe et la France. En cherchant à innover pour faire du développement un partage d’expériences entre égaux. Aujourd’hui, le Sud inspire le Nord. Mobile banking, énergies renouvelables, gestion des biens communs : l’Afrique a beaucoup à nous apprendre!
L’Afrique est la priorité de l’AFD. Fondée par le général De Gaulle à Londres en 1941, notre Agence sait ce qu’elle doit aux Résistants et aux combattants d’Afrique
Quelles sont les grandes lignes de la stratégie tout Afrique ?
L’AFD développe une stratégie « Tout Afrique ». Et si l’on cessait de couper l’Afrique en deux, entre Afrique du nord et Afrique subsaharienne, que verrions-nous ? Il est temps de voir l’Afrique comme un tout, comme la voient les Africains eux-mêmes, pour comprendre les dynamiques à l’œuvre – continentales, sous-régionales, nationales, territoriales. L’AFD veut sortir d’une vision duale du continent, décentrer le regard, décloisonner les approches. Voir l’Afrique du Maroc à l’Afrique du Sud, du Sénégal à Djibouti. C’est une évidence… qui n’en est pas encore une!
Notre stratégie « Tout Afrique » suppose de nous doter des moyens nouveaux pour traiter les enjeux transfrontaliers et les questions d’intégration régionale. L’AFD va notamment se doter de cinq délégations régionales en Afrique. L’AFD voudrait être la première institution non-africaine à voir l’Afrique comme les Africains eux-mêmes.
Nous voulons ainsi contribuer à la réussite des cinq grandes transitions engagées en Afrique comme dans le monde entier : la transition démographique et sociale, d’abord (la natalité, l’éducation, l’emploi des jeunes, les migrations) ; la transition territoriale et écologique (l’urbanisation, l’adaptation au changement climatique, la biodiversité) ; la transition énergétique (une énergie durable, abordable et accessible à tous) ; la transition politique et citoyenne (la paix, la gouvernance, la société civile) ; la transition numérique, enfin. L’AFD, Bpifrance et La French Tech viennent de lancer la deuxième édition du challenge « Digital Africa », concours de startups et d’innovations numériques en faveur du développement durable. Rendez-vous à Abidjan, lors du Sommet entre l’Union européenne et l’Afrique, pour découvrir les nouveaux lauréats!
Quel peut être l’apport de l’International Development Finance Club (IDFC) qui réunit 23 banques de développement du Sud et du Nord ?
L‘International Development Finance Club (IDFC) est une plateforme inédite et significative dans la sphère du financement du développement, dont l’AFD est un membre fondateur tout comme nos collègues africains de la BOAD, de la Caisse des Dépôts et de Gestion marocaine, de la DBSA sud-africaine et de la TDB Bank d’Afrique de l’Est. Il s’agit d’un réseau de vingt-trois banques nationales et régionales de développement du Nord et du Sud, qui financent chaque année plus de 600 milliards de dollars de projets – ce qui en fait de très loin le premier financeur du développement. Dont près de 100 milliards déjà pour la lutte contre le changement climatique.
L’AFD va s’impliquer davantage encore dans ce réseau. C’est la raison pour laquelle j’ai participé cette semaine au forum sur l’investissement en Afrique organisé à Dakar par la China Development Bank (CDB), membre du club IDFC, avec la Banque mondiale. Car notre conviction est que le rôle des banques nationales de développement est essentiel. Elles sont seules capables de concrétiser les engagements de la communauté internationale, en mobilisant leurs puissants moyens financiers et leurs multiples relais dans leurs pays respectifs. Ce sont des acteurs cruciaux pour accélérer les transitions indispensables à la réalisation des objectifs de développement durable (ODD) que tous les pays membres des Nations-Unies se sont engagés à atteindre d’ici à 2030.
Vous injectez plus de fonds dans les prêts que dans les dons (1 milliard d’euros sur 9 milliards). Pourquoi cette option ?
La France a un modèle de financement du développement qui combine en effet prêts et dons. Nous avons besoin des dons pour intervenir dans les contextes les plus difficiles. Et nous accordons des prêts concessionnels, c’est-à-dire très inférieurs aux taux du marché, pour permettre des investissements d’un montant plus importants et qui ont un fort impact de développement durable. J’ajoute que, pour mobiliser des volumes de financement plus élevés encore, nous finançons le secteur privé et nous cherchons à orienter les investisseurs vers l’Afrique. C’est la mission de notre filiale PROPARCO, qui a fêté ses 40 ans le 19 septembre, et du nouveaux fonds d’investissement dans les infrastructures de 600 millions d’euros que nous montons avec la Caisse des Dépôts française. Et nos moyens vont encore s’accroître à l’avenir, puisque le Président Macron a fixé à 0,55% de notre revenu national le montant qui sera alloué à l’aide publique au développement (APD) en 2022.
Votre question rejoint une conviction forte, que nous nous sommes forgée depuis 75 ans que nous intervenons en Afrique, en Amérique latine, en Asie, au Moyen Orient, dans les Caraïbes et dans l’outre-mer français. Le privé et le public sont complémentaires. Aucun pays ne s’est développé uniquement par de l’endettement public. L’investissement public est indispensable pour financer les services publics, pallier les défaillances des marchés et accélérer l’investissement privé. Mais c’est l’initiative privée qui permet de passer à l’échelle, de prendre du risque et d’innover. Nous finançons, par exemple, au Sénégal neuf centres de formation professionnelle selon un modèle de gouvernance public-privé innovant. L’emploi des jeunes est une priorité. Public et privé peuvent et doivent œuvrer ensemble à la prospérité de chacun.
Quels sont vos objectifs chiffrés en développement pour l’Afrique ?
Sur les cinq prochaines années, l’AFD engagera 23 milliards d’euros sur le continent. Le Groupe AFD entend maintenir la cible de 50 % de ses engagements en Afrique, et ainsi passer de 4 à 5 milliards d’euros par an. Pour y parvenir l’AFD va mobiliser toute la gamme de ses instruments financiers (prêts, dons, garanties, fonds propres) mais aussi son expertise et ses capacités de recherche. Pour être précise et pertinente, elle invente de nouveaux instruments comme une facilité Crises et Conflits de 100 millions d’euros par an en dons ou le fonds AFD-CDC pour les infrastructures et cherche à inventer de nouvelles formes d’actions, comme cette Alliance pour le Sahel, coalition inédite de bailleurs et de pays, pour faire plus et faire mieux pour les populations de cette région.
L’AFD se soucie-t-elle de transfert de technologies dans ses projets souvent exécutés par des entreprises françaises ?
L’AFD apporte à ses clients un soutien tant financier que non financier. A cet égard, l’appui conseil, le renforcement de capacités, et plus largement l’accès à l’expérience française dans de nombreux domaines font partie des transferts de savoir-faire auxquels les projets que nous finançons contribuent. Quant aux entreprises françaises, elles ont parmi les meilleures pratiques internationales en termes de responsabilité sociale et environnementale. Nous veillons dans le cadre de nos financements à ce que les meilleurs standards de concurrence, de passation de marchés et de qualité soient respectés.
J’irais plus loin. Le développement doit marcher dans les deux sens. Aujourd’hui, l’Afrique innove et nous aurions tort de ne pas nous en inspirer. Partager nos expériences et apprendre les uns des autres, c’est le sens désormais de la politique de développement. Nous devons porter la plus grande attention aux processus d’innovation croisée et inversée. Dans la défense de nos biens communs, le Sud a souvent une longueur d’avance sur le Nord. L’AFD veut accélérer cette prise de conscience et contribuer à en étendre les bienfaits.