Qatar : Une économie résiliente malgré l’embargo
Au prix d’une modification des voies commerciales traditionnelles et d’un soutien public massif au secteur bancaire, l’économie qatarie s’est stabilisée depuis la fin de l’année 2017. Malgré les contraintes liées à l’embargo, la croissance économique du Qatar reste soutenue, notamment grâce à la poursuite du programme d’investissement du gouvernement. Cependant, l’endettement extérieur, notamment des banques, est important et représente un facteur de vulnérabilité non négligeable. A moyen terme, si l’on peut avoir des interrogations sur la capacité de l’économie du Qatar à se diversifier, la mise en production et l’exportation de nouvelles ressources gazières devraient renforcer la solidité financière de l’émirat.
■ Les projets soutiennent la croissance
En 2017, le ralentissement de la croissance du PIB réel est resté modéré malgré les contraintes pesant sur l’économie qatarie. La croissance du PIB réel est estimée à 1,6%, contre 2,2% en 2016, mais surtout à 1,1% en moyenne pour l’ensemble des pays du Conseil de Coopération du Golfe (CCG). La production du secteur des hydrocarbures, qui équivaut à environ la moitié du PIB, est restée pratiquement stable en 2017. L’embargo n’a pas affecté ces activités car l’essentiel de la production est à destination des pays asiatiques qui n’ont pas modifié leurs relations commerciales avec le Qatar.
A l’échelle régionale, le Qatar est un petit producteur de pétrole (0,6 million baril/jour en moyenne en 2017), et son niveau de production a été réduit d’environ 8% dans le cadre de la politique restrictive de l’OPEP. Proportionnellement, la production de gaz est cinq fois plus importante (en tonnes équivalent pétrole). Elle est relativement stable dans le temps car elle est liée à des contrats d’exportation de long terme. En 2017, l’activité des industries extractives s’est, quant à elle, réduite de 0,5%. L’évolution des secteurs non pétroliers est plus contrastée mais elle est restée positive grâce aux dépenses publiques.
En effet, un certain nombre de projets sont menés dans le cadre d’un programme de USD 200 mds d’investissements (soit 121% du PIB de 2017). Celui-ci a pour objectif de préparer le pays à l’accueil de la coupe du monde de 2022 et, plus généralement, de permettre à l’économie de se diversifier. Ces investissements concernent principalement des infrastructures sportives et de transport, ainsi que des projets immobiliers. Etant donné la bonne situation des finances publiques, ces programmes n’ont été que marginalement affectés par la chute des prix du pétrole, en 2015 et 2016, et par les évènements politiques de 2017. L’embargo a contraint les autorités à trouver des alternatives de transport et d’approvisionnement.
Les importations sont reparties à la hausse dès le T4 2017 et ont retrouvé leur niveau antérieur à la crise diplomatique. Le secteur de la construction (10,5% du PIB, soit le premier secteur d’activité hors hydrocarbures), qui connaît une croissance à deux chiffres depuis 2013, n’a pas été affecté en 2017 (+24%). Cependant, le secteur de l’immobilier reste assez déprimé. Si les prix semblent s’être stabilisés depuis le début de l’année, ils restent loin de leur plus haut atteint mi-2016. Les activités liées au tourisme ont été fortement affectées par l’embargo, mais leur poids dans le PIB est assez faible. Ainsi le commerce de détail (5,9% du PIB) a reculé de 9% en 2017 et celui de l’hôtellerie-restauration (0,8% du PIB) de 5,6%. La fréquentation touristique s’est effondrée de 23% en 2017, avec une chute de 47% des touristes provenant du CCG (48% du total en 2016). Cette tendance se confirme au premier trimestre de 2018 avec une baisse de 38% de la fréquentation totale par rapport à la même période de 2017, et de 86% concernant les touristes du CCG.
A court terme, nous prévoyons une légère accélération de la croissance. Le relâchement de la contrainte de production décidée dans le cadre de l’OPEP et l’augmentation de la production gazière du projet Barzan (destiné à la consommation locale) devraient soutenir le secteur des hydrocarbures. Par ailleurs, les projets d’investissement devraient se poursuivre à l’approche de l’échéance de 2022. En 2018 et 2019, nous prévoyons une croissance du PIB réel de 2,5% et 2,6% respectivement.
■ Des bilans bancaires fragilisés
La situation du secteur bancaire s’est stabilisée depuis fin 2017. Le soutien de la puissance publique au travers de différents canaux (banque centrale, fonds souverain, gouvernement) a permis au secteur de faire face aux retraits importants de dépôts de la part des non-résidents et à la baisse des engagements des banques étrangères à partir de juin 2017. Ces deux éléments ont contribué à une baisse d’environ USD 30 mds du passif des banques commerciales. Selon les données de mai 2018, environ USD 10 mds sont revenus dans le système bancaire, principalement des dépôts de non-résidents. La position extérieure nette du secteur bancaire est largement négative et s’est fortement dégradée depuis 2015. Les engagements nets vis-à-vis de l’extérieur étaient équivalents à plus de USD 46 mds en mai 2018 (contre 8 mds à fin 2014). Cette hausse du besoin de financement extérieur est notamment due au ralentissement de la progression des dépôts et à la hausse du besoin de financement du gouvernement en période de baisse sensible des prix du pétrole.
Les créances totales sur le gouvernement (prêts et titres) représentaient plus d’un tiers des créances domestiques totales en mai 2018, contre un quart à fin 2014. Par ailleurs, avec le durcissement de la politique monétaire américaine (le rial est ancré au dollar US), les crédits au secteur privé progressaient de plus de 10% à la même période après un ralentissement au cours de l’année 2017 (+6,4%). La position extérieure des banques ne devrait pas s’améliorer significativement à court terme. Même si le besoin de financement du gouvernement se réduit grâce à des revenus d’hydrocarbures en hausse, ses dépôts dans le système bancaire ont déjà atteint un niveau historiquement élevé en raison du soutien apporté aux banques en 2017. Ils représentent actuellement 15% des dépôts totaux (18% en septembre 2017). La progression du crédit devrait rester soutenue dans le cadre du programme d’investissement actuel.
La qualité des actifs des banques devrait se détériorer modérément. Le ratio des créances douteuses en pourcentage des créances totales est faible (1,5% au T3 2017). Certains secteurs, tels que le tourisme et l’immobilier (30% du crédit au secteur privé), sont négativement affectés par l’embargo. Cependant le secteur bancaire dans son ensemble est solide. Selon des analyses distinctes menées par la banque centrale et le FMI, le niveau de capitalisation et de liquidité des banques leur permet de faire face à différents scénarios de stress. En cas de difficulté, le soutien du gouvernement serait important.
■ Des perspectives positives malgré certaines vulnérabilités
Dans le contexte politique actuel, et compte tenu d’une dette extérieure relativement élevée, la détérioration de la position extérieure des banques peut constituer un élément de vulnérabilité. La dette extérieure totale était estimée à environ 100% du PIB et constituée, à 60%, d’engagements extérieurs des banques.
Les actifs extérieurs du pays sont substantiels, mais une partie du fonds souverain est constituée d’investissements domestiques peu liquides. En incluant les réserves en devises de la banque centrale et une estimation du fonds souverain, ces actifs s’élevaient à environ USD 384 mds ou 230% du PIB à fin 2017. Par ailleurs, le service de la dette extérieure (les intérêts) est modéré (environ 10% des recettes courantes). Le modèle économique qatari est basé sur l’endettement extérieur et toute remise en cause de l’accès aux capitaux internationaux accroît la vulnérabilité de l’émirat. Un autre élément de vulnérabilité dans le contexte politique régional actuel est lié à la capacité de développement des services (tourisme, finance) non directement liés aux hydrocarbures, ces activités de services étant traditionnellement les plus sensibles à la perception du risque politique. D’un point de vue économique, la solvabilité du Qatar repose sur ses exportations de gaz et sur les actifs qu’elles ont permis de constituer. A moyen terme, elle est amenée à se renforcer avec la mise en production de nouvelles capacités gazières.
Avec la fin du moratoire sur l’exploitation des ressources gazières, on estime que la capacité d’exportation du pays en gaz naturel liquéfié (actuellement 30% des exportations mondiales) devrait augmenter de 20%. Les conditions actuelles du marché du gaz sont moins favorables pour les producteurs que lors des premières phases de développement de l’industrie gazière à la fin des années 90. La concurrence s’est fortement développée, a tiré les prix vers le bas et réduit la part des contrats d’approvisionnement de long terme.
Cependant, les coûts de production au Qatar restent très compétitifs, et le gaz aura un rôle croissant dans le mix énergétique mondial à moyen et long terme. Dans ce contexte, la rente gazière du Qatar devrait augmenter significativement et permettre d’améliorer d’autant la solvabilité extérieure du pays.