Egypte : Vers un assouplissement monétaire graduel


La politique monétaire de la Banque centrale d’Égypte (BCE) s’est singulièrement durcie après la mise en place du flottement de la livre en novembre 2016. Depuis le T3 2017, l’inflation est en baisse régulière et l’objectif de la BCE devrait être atteint. La masse monétaire continue de progresser à un rythme relativement soutenu grâce aux entrées de capitaux. Le maintien des taux d’intérêt à un niveau élevé est une contrainte importante pour la progression du crédit, et l’assouplissement monétaire amorcé en 2018 se fera de manière graduelle. En effet, la poursuite de la baisse de l’inflation reste vulnérable à la hausse des prix de l’énergie, tandis que la contrainte de financement extérieur reste importante.

■ Conséquences monétaires du flottement de la livre
Les conséquences monétaires du flottement de la livre égyptienne en novembre 2016 ont été de deux ordres : une forte hausse de l’inflation et une accélération du gonflement de la masse monétaire. Le taux d’inflation annuel moyen a plus que doublé au cours de l’année budgétaire 2016/2017 pour atteindre 23% contre 10% l’année précédente. La hausse du prix des importations (notamment des biens alimentaires) explique en grande partie cette augmentation, même si la réforme des subventions à l’énergie y a aussi contribué.

L’inflation a également une origine monétaire. La hausse des entrées de devises dans l’économie (en partant d’un niveau quasi inexistant, les flux de portefeuille entrants ont atteint USD 16 mds en 2016/2017 et USD 8 mds en S1 2017/18) et le retour de liquidités en devises dans le système bancaire (grâce à l’unification du marché des changes) ont contribué à l’accélération de la croissance de l’agrégat monétaire M2. En neutralisant l’effet change sur les composantes en devises de M2, la croissance annuelle de ce dernier atteint actuellement environ 24% contre 18% en moyenne durant l’année précédant le flottement de la livre. Il faut noter que si l’accélération des entrées de devises ont contribué au gonflement de M2, ce sont les créances sur le gouvernement qui ensont le principal contributeur jusqu’en octobre 2017.

■ Durcissement significatif de la politique monétaire
Les objectifs principaux de la BCE sont la stabilité des prix et la gestion de la liquidité interbancaire (ces deux objectifs étant bien évidemment liés). Afin de gérer la liquidité interbancaire, les instruments à sa disposition sont un corridor de taux (dont le taux directeur est le taux prêteur) et la mise en oeuvre d’opérations d’open-market. Simultanément au flottement de la livre, la politique monétaire a été considérablement durcie. Entre novembre 2016 et juillet 2017 la BCE a augmenté son taux directeur de 700 points de base pour atteindre 19,25%. Dans un premier temps, cela a permis d’attirer les investisseurs internationaux vers la dette du gouvernement en monnaie locale. En effet, à fin 2016, la transmission entre le taux CBE et le taux des Treasury Bills était forte étant donné l’absence de diversification des sources de financement du gouvernement. Dans un second temps, la hausse du taux d’intérêt directeur a pour objectif de contenir l’inflation, plus particulièrement les effets de second tour liés à l’augmentation des salaires. En moyenne, ceux-ci ont augmenté de 15-20% en 2017 dans les grandes entreprises égyptiennes du secteur privé.

Par ailleurs, la BCE a procédé à des opérations d’open market afin de réduire l’excès de liquidité dans le système bancaire. Celles-ci se matérialisent par des facilités de dépôt de court terme offertes aux banques commerciales.

■ Réduction des pressions inflationnistes, mais difficile maîtrise de la masse monétaire
Le déclin de l’inflation des prix à la consommation s’est amorcé à la fin de 2017. Après un plus haut en juillet 2017 (+33%), la variation en glissement sur un an de l’indice des prix à la consommation a atteint 13% en mars 2018 (mais 26% en moyenne annuelle). La croissance de la masse monétaire est restée soutenue. Les opérations d’open market, qui étaient en moyenne équivalentes à 7,8% de M2 au cours de l’année 2015/2016, atteignent actuellement pratiquement 20% de M2. La contribution des créances sur le gouvernement s’est réduite significativement depuis mi-2017 grâce  à la réduction du déficit budgétaire et à l’émission d’Eurobonds sur les marchés internationaux. Parallèlement, l’amélioration sensible de la liquidité en devise du système bancaire continue de contribuer à la croissance de M2 ; elle était toujours de 1,7% en moyenne au cours des trois derniers mois contre 1,8% en moyenne au cours de l’année 2017.

■ Évolution récente du crédit interne
En menant une politique monétaire restrictive, la BCE cherche notamment à limiter la hausse du crédit et à répondre ainsi à l’objectif de stabilité financière en plus de celui de stabilité des prix. En termes réels, le crédit domestique a faiblement décru dans un premier temps avant de redevenir positif fin 2017. La croissance réelle du crédit au secteur privé en monnaie locale (2/3 du crédit total au secteur privé) est devenue négative à partir de novembre 2016 et n’est redevenue que faiblement positive en décembre 2017 (0,5% sur un an). L’évolution du crédit aux secteurs industriels et des services est restée positive en 2017 (environ 5% sur un an en décembre) et a essentiellement financé des dépenses de capital circulant. En revanche, le crédit aux ménages a chuté (-11%). Avec la réduction du déficit budgétaire et le recours croissant à des financements extérieurs, les créances du système bancaire sur le gouvernement ont arrêté de progresser et enregistraient une baisse réelle de 13,7% fin 2017.

Il est difficile d’évaluer l’effet de la hausse des taux d’intérêt sur la demande de crédit. Le taux de bancarisation de l’économie égyptienne est faible (15%). Cependant, on peut affirmer que les conséquences sur l’investissement des entreprises ont été négatives. D’une part, malgré la réunification des taux de change, le manque de visibilité des entreprises incite à la prudence. D’autre part, la rémunération élevée offerte par les dépôts bancaires n’incite pas à investir dans l’appareil productif.

■ L’assouplissement monétaire restera graduel
L’assouplissement monétaire amorcé en T1 2018 (-200 bp) devrait se poursuivre au cours de l’année mais restera modéré. Les pressions à la hausse sur M2 devraient se stabiliser à court terme avec le ralentissement des entrées de capitaux étrangers. Par ailleurs, le financement monétaire du déficit budgétaire par la BCE (équivalant à 25% de M2 en juin 2016) ne devrait plus être source de gonflement de la masse monétaire étant donné l’engagement du ministère des Finances à ne plus recourir à ce type de financement. De plus, l’amélioration des comptes publics devrait se poursuivre et donc réduire le besoin de financement du gouvernement.

Cependant le risque inflationniste n’est pas totalement écarté. L’objectif de la CBE d’atteindre une inflation moyenne équivalant à 13% (+/-3%) en décembre 2018 semble atteignable, malgré de nouvelles baisses des subventions à l’énergie dans la seconde moitié de 2018. Une hausse plus forte qu’attendu des prix du pétrole est le principal élément qui pourrait remettre en cause cet objectif. Par ailleurs, le potentiel d’appréciation du taux de change reste limité même si, à court terme, les flux de capitaux devraient le soutenir. A moyen terme, le solde courant restera négatif et les investissements de portefeuille devraient au mieux se stabiliser étant donné la baisse attendue des rendements en monnaie locale. En revanche, les investissements directs devraient rester soutenus par les bonnes perspectives du secteur énergétique. Enfin, les soutiens financiers multi et bilatéraux devraient rester significatifs. Quoiqu’il en soit, à court terme, l’Egypte a plutôt intérêt à limiter l’appréciation de sa monnaie afin de maintenir son attractivité vis-àvis des investisseurs internationaux. Au total, sur l’ensemble de l’année 2018, la baisse du taux de la BCE pourrait atteindre 400 points de base. Cela permettrait de préserver l’attractivité de la dette égyptienne et laisserait le taux d’intérêt réel en territoire positif (3,6% selon nos estimations). Par ailleurs, l’écart entre ce dernier et la croissance attendue en 2018/2019 (5,5%) devrait progressivement contribuer à la dynamique de baisse de la dette publique en pourcentage du PIB. Etant donné le risque limité de surchauffe d’origine interne (la pénétration du crédit est structurellement limitée et le pouvoir d’achat des ménages s’est dégradé) et l’appréciation attendue de la livre, un relâchement de la contrainte financière extérieure (par une amélioration de la notation souveraine en devise par exemple) permettrait d’aller plus loin dans l’assouplissement monétaire.