Importations: Le Maroc absorbe le choc commercial de la cherté du pétrole et blé

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En raison de sa forte dépendance aux importations de pétrole et de blé, le Maroc va souffrir des conséquences de la guerre en Ukraine. Néanmoins, des réserves de change confortables vont permettre d’absorber le choc commercial. De plus, l’orientation expansionniste de la politique budgétaire n’est pas remise en cause par la hausse des subventions énergétiques et alimentaires et la banque centrale compte maintenir son biais accommodant en dépit de pressions inflationnistes fortes. Le soutien de la puissance publique demeure en effet crucial au moment où l’économie doit aussi faire face à une chute significative de la production agricole, et donc de sa croissance. À court terme, la solvabilité budgétaire et la liquidité extérieure ne sont pas menacées. Mais les incertitudes sur l’amplitude du choc et sa durée sont élevées.

VULNÉRABILITÉ ÉLEVÉE AU CHOC DES MATIÈRES PREMIÈRES
Le Maroc va ressentir durement les conséquences indirectes du conflit en Ukraine. Les relations commerciales sont limitées avec les pays belligérants, la Russie et l’Ukraine comptant pour seulement 3% des échanges internationaux du Royaume, voire sont quasi-inexistantes sur le plan du tourisme et des investissements. Néanmoins, environ 20% des importations de céréales proviennent de ces deux pays, ce qui implique de trouver de nouvelles sources d’approvisionnement au moment où les cours mondiaux s’envolent et où la production nationale va chuter dramatiquement en raison d’une grave sécheresse durant l’hiver. Le Maroc dépend à presque 60% de l’approvisionnement extérieur pour couvrir ses besoins. En outre, le poids de l’alimentation dans l’indice du panier de consommation est élevé (37,5%). Malgré des réserves de blé relativement importantes (5 mois), la pression générée par l’alourdissement de la facture céréalière sur les comptes extérieurs et l’inflation s’annonce forte. Le choc énergétique risque d’être encore plus important. Avec des importations d’hydrocarbures supérieures à 6% du PIB sur les cinq dernières années, l’économie marocaine est en effet l’une des plus sensibles aux fluctuations des cours du pétrole de la région MENA. Néanmoins, c’est aussi celle qui est parmi les plus solides pour y faire face.

LIQUIDITÉ EXTÉRIEURE : DES FILETS DE SÉCURITÉ IMPORTANTS
La stabilité extérieure n’est pas menacée. Si les importations sont attendues en forte progression (chaque hausse de 10 dollars du cours du Brent génère une hausse des importations énergétiques équivalant à un point de PIB), les exportations vont aussi enregistrer de solides performances grâce notamment à la bonne tenue des cours mondiaux du phosphate (20 à 25% des exportations du Maroc). Ils ont augmenté de 67% en 2021 (un plus haut depuis fin 2012), et les perspectives sont favorablement orientées dans le sillage des prix des produits agricoles.

Le Maroc, cinquième exportateur mondial d’engrais, pourrait même gagner des parts de marché. D’autres facteurs sont à prendre en considération, à commencer par la reprise de l’activité touristique. Le risque sanitaire n’est toujours pas écarté, mais les progrès de la vaccination, aussi bien au Maroc qu’en Europe, laissent néanmoins espérer un début de normalisation après deux saisons difficiles. Une hausse de 50 à 60% des recettes est ainsi espérée cette année avant de se rapprocher de leur niveau prépandémique en 2023. Elles en étaient encore inférieures de 56% en 2021. En outre, les transferts financiers de la diaspora marocaine vont continuer de jouer leur rôle d’amortisseur même s’ils pourraient refluer après avoir atteint le niveau record de MAD 93,2 mds (10,7% du PIB) en 2021.

Dans ce contexte, le creusement du déficit courant sera significatif (5,7% du PIB en 2022) puis se contracterait à 4,8% en 2023. Malgré un écartement des spreads sur les obligations souveraines en devises relativement contenu à 260 points de base (pb), contre 350 pb pour la moyenne des pays émergents, les conditions de financement extérieur devraient aussi être moins favorables que lors des deux dernières années. Néanmoins, l’économie marocaine dispose d’importants filets de sécurité. Les réserves de change couvrent actuellement sept mois d’importations de biens et services. La faible exposition de l’économie aux flux d’investissements de portefeuille est également un facteur de stabilité dans un tel environnement. En outre, les autorités n’excluent pas de demander au FMI une nouvelle de ligne de précaution de liquidité en devises en cas de pressions trop fortes sur la balance des paiements. Pour l’instant, elles apparaissent gérables. L’évolution du dirham ne reflète pas de tensions particulières. Le décrochage du MAD contre le dollar US juste après le déclenchement du conflit est en grande partie lié à celui de l’euro face au dollar. De plus, le MAD continue d’évoluer à l’intérieur des bandes de fluctuations, et les taux forward traduisent un risque de change limité à ce stade.

PAS DE CHANGEMENT DE CAP SUR LE PLAN BUDGÉTAIRE…
La situation des finances publiques offre également des marges de manœuvre, du moins à court terme. Contrairement à d’autres pays de la région, l’État marocain ne subventionne plus les prix de l’essence depuis 2015. Des mesures ciblées pour soutenir les professionnels du transport ont été annoncées mais le montant reste pour l’instant limité à 0,2% du PIB. En revanche, les subventions pour le gaz butane et la farine de blé vont gonfler fortement. Selon les dernières estimations, elles devraient atteindre 2,4% du PIB cette année contre 1,4% initialement budgété, un surcoût qui s’ajoutera aux différentes mesures de soutien sectoriels (tourisme, agriculture). Face à cela, le gouvernement compte mobiliser des ressources supplémentaires grâce notamment aux excellents résultats de la compagnie publique des phosphates, l’OCP.

La cible budgétaire reste inchangée avec un déficit de 6,3% du PIB en 2022 (5,9% en incluant les recettes de privatisations). Si certaines hypothèses sont encore fragiles, les autorités ont annoncé qu’elles n’auraient pas besoin de recourir à une loi de finances rectificative. Aucune réallocation de dépenses n’est envisagée alors que le budget 2022 table sur un montant d’investissement public record de plus de 20 points de PIB (entreprises publiques, collectivités territoriales et fonds stratégique Mohammed VI inclus) et que démarre le chantier de l’extension de la protection sociale, dont le coût est estimé à 1,5% du PIB par an sur les cinq prochaines années. Le fait que les autorités n’envisagent pas d’utiliser les droits de tirage spéciaux (0,9% du PIB) alloués par le FMI en août 2021 constitue un autre signe de confiance.

Quoi qu’il en soit, elles pourront toujours s’appuyer sur un marché domestique liquide et captif pour continuer à se financer à des conditions avantageuses. Malgré une dette élevée à 75% du PIB, la charge d’intérêt n’absorbe que 12% des recettes en raison d’un taux d’intérêt apparent parmi les plus faibles de la région, de 3,3%. De plus, la structure de la dette est favorable. Libellée à 77% en monnaie locale et détenue par des résidents nationaux, elle est peu sensible aux chocs exogènes.

…NI MONÉTAIRE POUR L’INSTANT
En décidant de laisser son taux directeur inchangé à 1,5%, la Banque centrale marocaine s’est aussi voulue rassurante. Comme partout dans le monde, l’inflation accélère mais la poussée est récente et encore contenue. En 2021, la hausse des prix à la consommation a atteint seulement 1,4% en moyenne annuelle. Elle était de 3,6% en glissement sur un an en février et la situation va s’aggraver dans les mois à venir compte tenu des tensions sur les marchés mondiaux des matières premières et de la chute de la production agricole. Les trois-quarts de l’accélération de l’inflation ces derniers mois résulte en effet de celle des prix des produits alimentaires (+5,5% en février 2022) et des transports (+6%), dont l’origine est essentiellement externe. Si l’on exclut ces deux postes, en revanche, la progression est inférieure à 2%.

De fait, la pression est limitée sur le plan interne. La croissance nominale du salaire moyen dans le secteur privé n’aurait atteint que 1% au T4 2021 et celle des crédits bancaires à l’économie 3,3% (février). Dans les deux cas, elle se situe en dessous de l’inflation. Avec un taux de chômage de 11,9% contre 10,2% au T4 2019, l’économie marocaine n’a pas non plus complètement effacé l’intégralité des pertes d’emplois induites par le choc de la pandémie au moment où la conjoncture se dégrade à nouveau. Malgré une inflation attendue à 4,6% cette année et des risques haussiers élevés, la banque centrale dispose donc d’arguments pour maintenir son biais accommodant.

CROISSANCE : UN COUP D’ARRÊT ET DES MENACES
Après le fort rebond enregistré en 2021, la croissance va subir un coup d’arrêt cette année. La banque centrale vient en effet de ramener sa prévision à seulement 0,7% en raison de la chute de 20% de la valeur ajoutée agricole. Si des pluies tardives pourraient permettre de sauver quelque peu les récoltes, la contre-performance du secteur primaire va dans tous les cas peser sur la croissance compte tenu de son poids significatif dans l’économie (10 à 12% du PIB). En outre, les activités non agricoles risquent de souffrir fortement des aléas de la conjoncture mondiale. Pour l’instant, les révisions sont modestes. Une décélération de la croissance hors secteur agricole est certes attendue en raison de l’impact du regain d’inflation sur la consommation des ménages. Mais elle resterait relativement solide, autour de 3%, grâce au maintien du stimulus monétaire et de l’orientation toujours expansionniste de la politique budgétaire. Sur le plan sectoriel, le rebond espéré du tourisme devrait également soutenir l’activité. Cependant, la visibilité est réduite en raison des incertitudes sur l’amplitude du choc et sa durée. Une chute trop brutale de l’activité en Europe constituerait par exemple un puissant frein au secteur manufacturier marocain dont le rebond a été essentiel en 2021. Surtout, les autorités pourraient être amenées à changer de priorité en cas d’érosion trop forte du pouvoir d’achat ou de pressions persistantes sur les comptes publics. Des réallocations de dépenses, voire un resserrement de la politique monétaire, seraient ainsi à prévoir, fragilisant un peu plus une économie toujours convalescente.

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