L’économie qatarie peine à trouver des relais de croissance en dehors du secteur des hydrocarbures. Etant donné la stabilité de la production d’hydrocarbures et la fin du cycle des investissements en infrastructure, la croissance économique devrait connaître un plus bas historique en 2019. A moyen terme, la mise en œuvre de nouvelles capacités de production de gaz naturel liquéfié devrait soutenir l’activité. Dans ce contexte économique morose, l’inflation devrait être entraînée en territoire négatif par la baisse continue des prix dans le secteur immobilier. Néanmoins, les finances publiques et les comptes extérieurs restent solides, et devraient encore se renforcer avec l’augmentation de la rente gazière à moyen terme.
Poursuite du ralentissement économique
Malgré les efforts de diversification, la croissance économique reste déterminée par le secteur des hydrocarbures. Les secteurs hors hydrocarbure ne parviennent pas de manière durable à maintenir une croissance significative. Ainsi, au cours de la dernière décennie, l’économie qatarie a connu trois régimes de croissance. La croissance réelle du PIB était supérieure à 15% par an entre 2007 et 2011 grâce à la hausse régulière de la production d’hydrocarbures, principalement du gaz naturel liquéfié (GNL). Au cours des quatre années suivantes, le relais a été temporairement pris par l’économie hors hydrocarbures, notamment les secteurs de la construction et des services. Ainsi, entre 2012 et 2015, la croissance s’est élevée à 4,2% par an en moyenne. Depuis 2016, un nouveau palier a été franchi à la baisse et la croissance s’est établie à 1,7% en moyenne durant la période 2016-2018. Ces performances médiocres sont dues à plusieurs facteurs : la stagnation du PIB hydrocarbure, la fin du cycle des projets avec la réalisation des principales infrastructures, les conséquences de l’embargo imposé par l’Arabie saoudite et la faiblesse du secteur de l’immobilier.
Les dernières données concernant l’activité confirment cette mauvaise orientation de l’économie qatarie. Le PIB du secteur des hydrocarbures (48% du PIB total) a baissé de 1,9% au T2 2019, soit une réduction de 0,4% en moyenne sur une année. Cela traduit la dépendance de cette partie de l’économie au développement de la production gazière. Depuis 2015, celle-ci est stable tandis qu’en l’absence de nouvelles découvertes, la production de pétrole est en baisse régulière. Le PIB hors hydrocarbures s’est replié de 1,1% en rythme annuel au T2 2019. Les secteurs de la construction et de l’immobilier (environ 15% du PIB) se sont repliés de 2,1%. C’est la traduction de la déprime régionale du secteur de l’immobilier. Partout dans le Golfe, l’abondance de l’offre immobilière par rapport à une demande en berne se traduit en effet par une baisse d’activité dans ce secteur. Par ailleurs, la fin du cycle des projets, notamment avec la réalisation de la majeure partie des infrastructures prévues pour la Coupe du monde de Football de 2022, ralentit naturellement l’activité du secteur de la construction. Reflétant les médiocres performances de la construction et de l’activité hors hydrocarbures en général, la croissance de la population totale du Qatar est en ralentissement significatif depuis 2015. La population expatriée, qui représente plus de 80% de la population totale de l’émirat, n’a augmenté que de 2,5% en moyenne entre 2016 et 2018, contre plus de 10% au cours des années précédentes.
Même si son importance économique est plus symbolique que réelle, le secteur du tourisme peine à se redresser depuis mi-2017 et la baisse drastique des touristes en provenance du Golfe. Si la fréquentation semble se redresser depuis le début de l’année, le nombre annuel d’entrées dans le pays (12 millions au T1 2019 sur un an) reste loin des niveaux atteints jusqu’en 2016 (plus de 19 millions annuels). Symbole de ce ralentissement de l’ensemble du PIB hors hydrocarbures, la croissance de l’activité du secteur financier est en baisse régulière depuis 2015. Au T1 2019, l’activité de ce secteur n’a crû que de 3,4% en g.a. contre plus de 10% en moyenne avant 2016.
A court terme, les perspectives sont mitigées et devraient confirmer le régime de croissance faible inauguré en 2016. Le secteur des hydrocarbures ne devrait pas connaître de changement significatif étant donné l’absence de nouvelle mise en production. Par ailleurs, le Qatar ne fait plus partie de l’OPEP depuis le début de l’année et ne participe donc plus à sa politique de régulation de la production pétrolière. Nous prévoyons une très légère progression du PIB du secteur des hydrocarbures de 0,5% en 2019 et de 2% en 2020 avec la mise en production du projet gazier Barzan destiné à répondre à la hausse de la demande énergétique locale. La performance du secteur hors hydrocarbures devrait rester médiocre. L’essentiel de l’activité devrait être liée à la progression des dépenses budgétaires, notamment en matière d’investissement. On constate cependant au niveau régional que l’effet d’entraînement des dépenses publiques sur l’ensemble de l’économie s’est réduit. On peut supposer qu’après des années de croissance soutenue des investissements publics, la capacité d’absorption de l’économie a diminué. La croissance de l’économie hors hydrocarbure devrait encore ralentir à 1,5% en 2019 (3,0% en 2018), avant de revenir à 2,5% en 2020. Au total, nous prévoyons une croissance du PIB total de 1,0% en 2019, soit son niveau le plus faible depuis plus de vingt ans, et unelégère reprise à 2,3% en 2020.
Soutien du secteur des hydrocarbures à moyen terme
A moyen terme, deux éléments devraient permettre de redonner du dynamisme à l’économie. La Coupe du monde de football devrait relancer temporairement l’activité, au moins dans le secteur des services, même si son effet d’entraînement ne doit pas être surestimé. Le principal risque est d’ordre géopolitique. En effet, la région du Golfe est actuellement le carrefour de tensions régionales importantes, et tout accroissement du risque politique dans la région agit de façon défavorable sur l’activité et plus particulièrement sur le secteur des services. Le secteur de la construction pourrait de son côté bénéficier du surplus d’activité lié au plan Qatar National Vision 2030. Ce dernier prévoit des investissements équivalents à USD 16 mds dans les infrastructures et l’immobilier afin de soutenir l’activité économique après 2022. Se posera alors la question de l’adéquation des investissements avec les besoins du marché local. Le second soutien à l’activité économique sera la reprise de l’investissement dans le secteur du GNL dans l’objectif d’accroître d’environ 40% la capacité d’exportation de l’émirat d’ici à 2023-2024. La rationalité économique du projet est forte étant donné les perspectives de croissance de ce marché à moyen terme (notamment vers l’Asie).
Inflation négative
A l’instar des autres pays du Golfe, l’inflation des prix à la consommation est en fort repli en raison de la baisse continue des prix de l’immobilier. La sous-composante logement de l’indice des prix (22% du total) est en baisse continue depuis fin 2016 (-2,1% en moyenne depuis le début de l’année). Nous prévoyons un taux d’inflation moyen de -0,4% en 2019. Celui-ci pourrait revenir en territoire positif l’année prochaine avec la possible introduction de la TVA. Cependant si on se réfère aux précédents régionaux, son taux et son assiette devraient être limités, relativisant ainsi son effet sur le niveau général des prix. En 2020, l’inflation moyenne devrait atteindre 1,5%.
Des fondamentaux solides
Malgré ce contexte économique morose et un environnement politique régional défavorable, la solidité financière de l’émirat reste forte. Après trois années de déficits liés à la baisse des prix du pétrole, la situation budgétaire est redevenue excédentaire en 2018 (+0,5% du PIB). La maîtrise des dépenses publiques devrait permettre de maintenir un excédent budgétaire en 2019 et 2020 (+1,0% et 2,3% du PIB respectivement). La solvabilité des finances publiques est confortable étant donné une dette modérée du gouvernement (41% du PIB en 2018, mais 78% du PIB si on inclut les entreprises publiques), un accès au marché des capitaux à des conditions favorables (la prime de risque sur les obligations en devises est actuellement de 53 pb, soit parmi les plus basses de la région), et les avoirs en devises du gouvernement sont estimés à plus de 1,6 fois le PIB. De même, les comptes externes sont solides et les excédents courants sont récurrents (8,7% du PIB en 2018).
Du côté du secteur bancaire, les conséquences négatives de l’embargo débuté en 2017 ont été effacées grâce au soutien public important (dépôts de la banque centrale et du gouvernement) puis au retour des déposants étrangers, notamment en provenance d’Asie. Il nous paraît cependant nécessaire de souligner la croissance rapide de la position extérieure débitrice nette des banques. En effet, compte tenu de la croissance soutenue des créances privées et publiques (+17% et +9% g.a. respectivement en juin 2019 selon le FMI) et le déclin des dépôts (-1,9% g.a.), une part croissante des ressources provient de l’extérieur. La position extérieure nette des banques était débitrice de USD 73 mds (39% du PIB) en juin 2019.