Le corps médical multiplie les cris d’alarme. Sous-effectifs, manque de matériel, mise en concurrence, course à la rentabilité, médecine à deux vitesses, etc., de nombreux praticiens dénoncent un système qui fait passer la rentabilité avant la santé. Il est frappant aussi de constater que beaucoup de médecins hospitaliers titulaires démissionnent de leur poste pour s’installer dans le privé. Ils invoquent le plus souvent le poids des charges administratives et de l’organisation hospitalière ainsi que les conditions de rémunération. Il est vrai que le climat s’est dégradé ces dernières années. Au fait, c’est quoi un patient ? » Une urgence, un client, un malade, un malade rentable, un numéro ou un être humain ? Les explications de Basma Ben Slimène
Comment jugez-vous les prestations hospitalières ?
L’idée de guérir des malades reste cependant la priorité de l’hôpital. L’hôpital n’est pas devenu une machine à sous, mais il doit tendre vers l’équilibre et pour cela il doit être plus efficient. Les médecins, les infirmières… tout le monde dit que ça va mal. Ce discours reflète que l’hôpital ne fonctionne pas à merveilles. Des défaillances entravent sa marche. Ces défaillances peuvent être classées en deux catégories de défaillances externes et internes. Les défaillances externes liés à l’environnement externe de l’organisme sont nombreux On peut citer l’ ambiguïté au niveau de la prise en charge des fonctionnaires publics bénéficiant de la gratuité de soin au niveau de leur statut ; La facturation forfaitaire avec la caisse nationale d’assurance maladie (Cnam); La pression régionale liée au contexte politique, sociale et économique pour la prise en charge des malades indigents sans des pièces justificatives ; La réticence de paiement par les malades vis-à-vis de l’ambigüité des textes et des procédures de recouvrement à appliquer au niveau des Hôpitaux, telle que l’élaboration des traites . Quand aux défaillances internes, elles sont liées à l’environnement interne de l’hôpital et qui sont à 80% liées à la mauvaise organisation du travail tels que la mauvaise répartition des ressources humaines et matériels, la mauvaise organisation architecturale des locaux; L’absence du concept de travail en équipe. Ceci sans oublier l’absence de l’implication du personnel dans la prise de décision, au niveau central et au niveau régional.
Y a-t-il une crise de motivation des médecins et des personnels de l’hôpital ?
Certes, il y a une crise de motivation des médecins et des personnels de l’hôpital. La source de tous les maux tient à une crise du management, à tous les étages. Il conviendrait d’examiner la charge de travail par établissement et d’en tirer des conclusions évidentes. Ainsi quand un surveillant ne trouve pas un chauffeur en urgence pour transporter un bon de sang ou un malade ? Il ne va pas se demander combien dispose t–on de chauffeurs ?, quels sont leurs affectations ?, quels sont leurs horaires de travail ? C’est une affaire qui ne concerne que seulement le directeur de l’hôpital. Un malade est venu en urgence, il doit être hospitalisé. L’urgentiste est bloqué, il consulte le chirurgien qui refuse l’hospitalisation par ce qu’il ne s’agit pas de chirurgie. Il consulte le pneumologue, lui aussi il refuse, ce n’est pas un cas de pneumologie non plus, le cardiologue aussi, la réanimation non plus…quelle est la solution ? Le résultat, l’urgentiste débordé essaye de trouver une orientation ailleurs. Le malade baisse les bras en attendant l’intervention du surveillant général, du chef de service des urgences, du directeur de l’Hôpital etc…
chacun travaille tout seul en l’absence de la coordination, du travail en équipe, des compétences dans la gestion de l’établissement. Un malade est venu dans un hôpital régional équipé d’un plateau technique considérable. Il a besoin d’un acte radiologique spécifique, d’un scanner…mais..L’appareil est en panne, premier reflexe, il n’y a pas de matériel, mais quelle est la cause de cette panne en réalité ? Parfois une pile qui ne coute rien, mais à cause de l’absence de l’entretien, l’absence du contrôle, la négligence du matériel, l’absence du suivi, de la communication, le matériel est en panne pendant des mois…Ce sont d’exemples de problème quotidiens qui entravent le service de soin et qui ne nécessitent pas forcément un budget énorme pour faire face à ces problèmes, mais par contre il faut s’orienter vers une meilleur exploitation des ressources en choisissant d’autres manières de gestion..Nous n’avons pas évidement d’autres choix si non, nous ne sortirons jamais de l’auberge. Bref, à l’intérieur de l’hôpital, il n’y a pas de vrai commandement. Cet établissement public a des atouts énormes. Les tunisiens l’aiment et cette confiance ne faiblit pas. Les médecins, les infirmiers ont souvent choisi leur métier. Encore faut-il les mettre aux bons postes et les remotiver.
Comment sauver l’hôpital public ?
La réforme hospitalière, rappelons-le, est l’un des grands chantiers de restructuration et de modernisation jamais engagés dans les hôpitaux publics. Cette mise à niveau passe par l’instauration d’un style de leadership démocrate au niveau de chaque Etablissement. Cette condition est intimement liée au choix des dirigeants des structures hospitalières et à leur motivation interne, qui doivent être exemplaire et le montrer afin de communiquer et de faire comprendre à l’ensemble des personnels les objectifs et orientations de l’organisme et de s’impliquer dans le management par la qualité. Les soignants en général, et les médecins en particulier, pensent que les « ressources humaines » ne sont pas toujours utilisées au mieux. Et là il faudrait impliquer le personnel à tous les niveaux(Administrateur, Médecin, technicien, infirmier et ouvrier) dans la prise de décision, afin de les motiver et de les impliquer dans la réalisation des objectifs de l’hôpital, de leur faire participer à l’amélioration continue des soins et de faire prendre conscience à chaque salarié de sa contribution personnel et à la performance global de l’établissement. Cette mise à niveau passe aussi par l’écoute du patient afin de cerner et comprendre ses besoins et attentes et de développer le sentiment de confiance. Une démarche positive consisterait à mettre en place un « plan qualité » pour faire face à l’augmentation des coûts.
Il faudrait instaurer un système de gestion par processus, afin de réduire les coûts, utiliser efficacement les ressources existantes et améliorer en continuation les résultats sur des mesures objectives. L’utilisation de nouvelles technologies induit inévitablement de nouvelles façons de travailler et d’envisager la distribution des soins. De nombreux exemples démontrent que la réduction des coûts passe par la mise en place de normes de qualité. Pour les entreprises, les normes qualité garantissent des produits et services sûrs, fiables et de bon niveau. Ces normes sont des outils stratégiques permettant d’abaisser les coûts en augmentant la productivité et en réduisant les déchets et les erreurs. On le voit, l’amélioration de la qualité est le facteur clé de la maîtrise des coûts sans oublier l’engagement politique réel et cette volonté de changer de tous les soignants et aussi des patients.
Kamel Bouaouina