BCE : Le discours prononcé devant les membres du parlement européen

Président de la République Tunisienne au Parlement européen Monsieur le Président Schulz, Honorables membres du Parlement européen, Mesdames et Messieurs,

C’est avec un immense plaisir que je m’adresse aujourd’hui à l’honorable enceinte du Parlement Européen, haut lieu de la démocratie et symbole de la tradition du pluralisme politique en Europe.

Je voudrais, à cette occasion, exprimer mes vifs remerciements au Président Schulz pour son aimable invitation et ses vœux de bienvenue et vous dire que c’est pour moi un grand honneur de m’adresser à votre auguste assemblée.

J’aimerais saisir cette heureuse opportunité pour rendre un hommage sincère au Parlement européen pour son soutien et sa solidarité à l’égard de la Tunisie et ce, dès les premiers jours qui ont suivi le tournant historique du 14 Janvier 2011. Les nombreuses visites et missions de parlementaires européens en Tunisie ainsi que l’adoption de résolutions sur la Tunisie -dont la dernière en date du 14 septembre 2016- illustrent parfaitement cet intérêt marqué du Parlement européen pour la réussite de l’expérience démocratique tunisienne.
Ma profonde reconnaissance s’adresse également aux différents groupes politiques ainsi qu’aux membres du Parlement Européen qui ont pris part aux missions d’observation des élections de 2011 et 2014, et qui ont été les témoins privilégiés du nouvel apprentissage démocratique en Tunisie.

Ma présence parmi vous aujourd’hui témoigne également de ma gratitude envers toutes les institutions de l’Union Européenne et les peuples d’Europe que vous représentez ici, pour leur engagement sincère aux côtés de la Tunisie et de son processus démocratique.
La visite à Bruxelles que j’entreprends aujourd’hui intervient à un moment historique et fortement symbolique pour les relations tuniso-européennes qui célèbrent cette année le 40ème anniversaire du premier accord de coopération de 1976, couronné par la tenue de rencontres au plus haut niveau entre la Tunisie et l’UE.

M. le Président,
Mesdames et Messieurs,
Je viens dans cette enceinte transmettre un message d’amitié du peuple tunisien à tous les peuples d’Europe que vous représentez. La Tunisie qui se trouve à l’extrême nord de l’Afrique, toute proche de l’Europe, a toujours considéré le continent européen comme une zone d’ancrage naturelle.

Cette proximité avec l’Europe a profondément marqué notre histoire depuis 3000 ans. Le sort de la Tunisie a été de tous temps lié à celui de l’Europe. Nous en avons subi les influences et parfois mêmes les vicissitudes et l’occupation, mais la Tunisie a toujours su maintenir des liens étroits et harmonieux avec l’Europe et ses peuples. Ces liens doivent constituer le socle sur lequel nous devons bâtir aujourd’hui une relation stratégique encore plus forte entre la Tunisie et l’Europe, à la hauteur des enjeux et défis actuels.

M. le Président,
Mesdames et Messieurs,
La Révolution du 14 Janvier a ouvert un nouveau chapitre dans l’Histoire de la Tunisie. Le peuple tunisien s’est soulevé de manière pacifique et spontanée, sans aucun référent idéologique ou religieux, contre l’ordre établi et le despotisme. Ce soulèvement était porté par des jeunes en quête de dignité et de liberté. Il n’aurait pas été possible sans les sacrifices des martyrs qui ont payé de leur chair leur aspiration à la liberté, au respect de la dignité humaine et à des conditions de vie meilleures.

Le peuple tunisien a, en effet, osé une rupture. Il s’est lancé dans un processus de transition politique et de modernisation qui s’inscrit dans le prolongement du mouvement réformiste, initié dès la moitié du 19ème siècle par des précurseurs comme Kheireddine Pacha et poursuivi au 20ème siècle avec Moncef Bey, Tahar Haddad, Habib Bourguiba et bien d’autres.
La Tunisie n’a-t-elle pas été le premier pays arabe à avoir aboli l’esclavage en 1846 et à promulguer la première Constitution politique civile en terre d’islam en 1861 ?

Elle fut également pionnière à accorder un statut unique aux femmes avec la promulgation d’un Code du Statut Personnel en 1956, au lendemain de l’Indépendance. La place de la femme tunisienne fait figure d’exception aujourd’hui dans le monde arabo-musulman.
La tradition réformiste tunisienne s’est appuyée sur une lecture éclairée et modérée de la religion et s’est opposée à toute doctrine rigide ou extrémiste de l’Islam.

Cette spécificité tunisienne conforte aujourd’hui notre marche irréversible vers un modèle démocratique auquel sont attachées toutes les composantes de la classe politique. La Tunisie est déterminée à prouver que l’Islam n’est pas incompatible avec la démocratie.
C’est ainsi que nous avons œuvré à l’adoption, en janvier 2014, d’une Constitution moderne, conçue pour un peuple musulman, et qui reprend globalement les mêmes principes que la Charte des Droits fondamentaux de l’Union Européenne.

Les élections libres et transparentes qui ont eu lieu la même année ont permis de consolider le processus démocratique par la mise en place notamment des instances constitutionnelles dont la dernière en date est le Conseil Supérieur de la Magistrature.

Bien évidemment, ce chemin n’a pas été aisé, loin de là. Au lendemain des élections de 2011, le pays a connu une grave crise politique et identitaire qui aurait pu créer un profond schisme au sein de la société tunisienne et faire déraper le processus démocratique. Mais l’attachement des Tunisiens à leur modèle sociétal tel qu’il a été façonné au fil de notre Histoire et le refus d’un nouvel autoritarisme au nom de la religion, ont permis de remettre la transition démocratique sur les rails. D’ailleurs, l’initiative que j’ai prise en 2012 en créant un parti rassemblant différentes sensibilités politiques résolument orientées vers la modernité, s’inscrit dans cet esprit.

Les divergences et les clivages au sein de la classe politique ont pu être dépassés grâce à une approche tunisienne singulière basée sur le dialogue, le compromis et le consensus ainsi que l’implication de toutes les forces vives du pays.
Cette démarche a été reconnue par la Communauté internationale et a valu une distinction internationale au Quartet du dialogue national qui s’est vu décerner le Prix Nobel 2015 de la Paix.

M. le Président,
Mesdames et Messieurs,
Au-delà des avancées enregistrées sur le plan politique et en matière de Droits de l’Homme et de démocratie, la Tunisie doit répondre à des défis socio-économiques et sécuritaires.
Comme vous le savez, la Tunisie est le seul pays du voisinage méridional à avoir engagé une profonde transformation politique et économique et à livrer en même temps une lutte implacable contre le terrorisme.

La transition démocratique a un coût et celui-ci se ressent dans tous les secteurs de l’activité socio-économique. Ce coût s’est traduit, en particulier, par une forte dégradation des indicateurs macro-économiques. Alors que durant la décennie précédente la Tunisie affichait une croissance annuelle moyenne d’environ 5%, elle ne dépasse plus aujourd’hui les 1,5%.
Afin de permettre à notre économie de recouvrir sa vigueur et accélérer la cadence des réformes, j’ai pris l’initiative de constituer un Gouvernement d’Union Nationale, dirigé par de jeunes compétences avec une forte participation féminine. Ce gouvernement, soutenu par les principaux partis politiques et organisations nationales, s’attelle à mettre en œuvre les grandes réformes indispensables pour bâtir un modèle de croissance durable et inclusif. D’ailleurs, le Plan de développement quinquennal 2016-2020 s’insère largement dans cette optique.

La récente adoption du nouveau Code des investissements confirme notre engagement à doter l’économie tunisienne d’un cadre propice à l’investissement national et étranger.
Je me réjouis que la conférence «Tunisia 2020» qui vient de s’achever, a repositionné la Tunisie sur la carte internationale d’investissement.

Je tiens à exprimer particulièrement mon appréciation à nos partenaires européens qui ont contribué au succès de cet évènement économique majeur. Les contrats signés et les engagements formulés à cette occasion, témoignent de la confiance renouvelée vis-à-vis de la Tunisie et de son potentiel économique.

La Tunisie dispose d’atouts indéniables à même de lui permettre de sortir de cette situation économique difficile. Il n’en demeure pas moins que la transition économique demeure fragile et sujette à des défis considérables. L’exception tunisienne doit être soutenue davantage tout comme d’autres pays en leur temps ont été soutenus dans leur processus démocratique.

M. le Président,
Mesdames et Messieurs,
La Tunisie a toujours entretenu avec l’Union Européenne des liens solides et étroits. Premier pays ayant conclu un accord d’association avec l’UE en juillet 1995, la Tunisie a fait de son rapprochement de l’UE une constante de sa politique étrangère et un choix stratégique.
Nos relations ont connu un nouvel élan depuis 2011 qui s’est concrétisé, en 2013, par un Partenariat Privilégié, censé permettre un rapprochement encore plus poussé entre la Tunisie et l’UE, avec lequel elle partage désormais les mêmes valeurs démocratiques.
C’est donc tout naturellement que la Tunisie considère l’UE, son premier partenaire, comme son principal soutien pendant cette phase délicate.

A cet égard, nous nous félicitions de l’appui important qu’a apporté l’UE au succès des premières phases de la transition en Tunisie. Nous saluons particulièrement les nouvelles mesures annoncées récemment dans la Communication conjointe de la Haute Représentante de l’Union et de la Commission Européenne, pour renforcer davantage ce soutien en prévoyant un accroissement de son aide au cours des prochaines années.

Cependant, nous estimons que les instruments traditionnels de coopération demeurent insuffisants pour accompagner la remarquable transformation entreprise par la Tunisie. Notre pays qui vit, en effet, une expérience inédite dans sa région, est en droit d’aspirer à un traitement différencié de la part de son premier partenaire.

Nous apprécions, à cet égard, le fait que le Parlement européen ait pris conscience de l’ampleur du soutien attendu pour consolider le succès de cette expérience en proposant, dans sa récente Résolution, des mesures d’appui significatives en faveur de la Tunisie à l’instar de la mise en place d’un « Plan Marshall» et la conversion de la dette en projets d’investissements.

Nous espérons que cette initiative trouve un écho favorable auprès des autres institutions européennes et des Etats membres pour la mobilisation d’un appui conséquent à la hauteur des enjeux et défis auxquels fait face la Tunisie. Un appui désormais essentiel pour accompagner la Tunisie à franchir cette étape cruciale de son histoire.

M. le Président,
Mesdames et Messieurs,
Notre région est secouée par les crises, traversée par le doute et l’incertitude, où certains sont tentés par le repli sur soi, le refus de l’Autre et la violence. Les questions sécuritaires et migratoires sont des préoccupations constantes et constituent des enjeux stratégiques qui appellent une intensification du dialogue et une coopération renforcée pour apporter des réponses communes.

En Tunisie, nous construisons notre démocratie dans un contexte régional tourmenté en raison notamment de la situation en Libye voisine et des menaces sécuritaires liées au trafic frontalier d’armes et aux tentatives d’infiltration d’éléments terroristes.
La Tunisie est prise pour cible par les terroristes car son modèle démocratique et socioculturel est à l’antipode de leur vision obscurantiste.

Nous sommes déterminés à faire face à ce fléau qui frappe aveuglément, sans distinction de race ou de religion. La Tunisie se trouve aux avant-postes de la lutte contre le terrorisme et mérite d’être soutenue pleinement dans ses efforts. Notre réussite dans ce combat ne manquera pas de contribuer à la sécurité de l’Europe.

M. le Président,
Mesdames et Messieurs,
A mon initiative, la Tunisie a adopté, le 18 novembre dernier, un manifeste baptisé « Déclaration de Tunis contre le terrorisme et pour la tolérance et la solidarité entre les peuples, les cultures et les religions ». Nous avons annoncé l’adoption de ce texte à l’occasion de l’inauguration, au musée du Bardo, d’une exposition intitulée « Lieux saints partagés » qui illustre le vécu spirituel méditerranéen commun.

En ouvrant cette exposition en présence de familles de victimes d’actes terroristes, je voulais également rappeler que la Tunisie est une terre ancestrale de tolérance, d’hospitalité et de pluralité culturelle et religieuse.

Il est indispensable aujourd’hui de promouvoir davantage les valeurs de dialogue et de tolérance et replacer la dimension humaine au centre de nos relations.
Notre appartenance à l’espace méditerranéen commun nous impose de rappeler au monde les vertus de l’ouverture et du dialogue.

De par sa vocation, son Histoire antique et sa géographie, notre mer commune doit redonner goût au brassage des cultures et des civilisations et redevenir ce trait d’union qui relie les espaces et les hommes et non une frontière qui les sépare. Cet espoir doit être porté en premier lieu par les jeunes des deux rives. Nous devons, ainsi, veiller à ce que la jeunesse occupe une place prioritaire dans notre coopération future.
Nous nous félicitons, à cet égard, des initiatives de coopération mises en place par l’Union européenne dans le domaine de la jeunesse, de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique.

M. le Président,
Mesdames et Messieurs,
Pour conclure, je voudrais insister sur le fait que nous préférons parler d’exception tunisienne plutôt que de modèle tunisien. Notre expérience démocratique qui a franchi d’importantes étapes reste vulnérable.

Cette expérience a besoin plus que jamais d’un soutien fort des partenaires européens car le succès de la démocratie tunisienne est non seulement dans l’intérêt de la Tunisie mais également de l’Europe. Une Tunisie démocratique, forte et prospère contribuera à stabiliser le voisinage sud de l’UE.

Voilà le message de confiance et d’amitié que je voulais délivrer ici au Parlement européen.
Enfin, je tiens à réitérer mes remerciements les plus chaleureux au Parlement Européen de m’avoir offert l’opportunité de m’adresser à ses honorables membres et, à travers eux, aux peuples amis qu’ils représentent et que j’invite à venir nombreux visiter la Tunisie, libre et démocratique.

Je vous remercie pour votre attention