Décédé le 7 décembre 1935, l’intellectuel et syndicaliste Tahar Haddad a été avant-gardiste sur la question de l’émancipation de la femme au point d’avoir été voué aux gémonies par ses pairs masculins. Tout juste 80 ans plus tard, la Tunisie lui rend hommage avec de nombreuses manifestations. Retour sur un personnage hors du commun.
Qui est Tahar Haddad ?
Natif du Jerid (Sud) en 1899, Tahar Haddad a effectué des études classiques à la Mosquée de la Zitouna à Tunis. Il est célèbre pour être allé au-delà du courant réformiste en proposant une lecture moderne de l’islam et en faisant des propositions sociales portant notamment sur la condition de la femme.
Il démontre dans son œuvre, et notamment en 1930 dans La femme tunisienne devant la loi et la société, que rien ne s’oppose dans la charia à l’accès des femmes à l’éducation, à des droits plus larges, aux libertés individuelles et à la participation à la vie publique. Il sera aussitôt condamné par les conservateurs qui lanceront une campagne de dénigrement tellement virulente que Haddad se mettra en retrait de la vie publique. Il mourra finalement d’une tuberculose dans le dénuement et l’isolement le plus complet.
L’inspirateur du Code du Statut Personnel (CSP)
En 1956, la pensée de Haddad sera à la base du « Code du Statut Personnel » (CSP) qui donne aux Tunisiennes des droits assez exceptionnels dans le monde arabe. Sans reprendre le modèle européen et en se basant sur la charia, les femmes sont désormais libres de choisir leur conjoint, de voter, d’entamer des études et d’être citoyennes à part entière. Bourguiba met à profit les textes de Haddad pour s’imposer comme le père de l’émancipation de la femme tunisienne mais, dans la réalité, il bénéficie d’un travail effectué en amont avec les oulémas de la Zitouna par Tahar Ben Ammar, homme politique et Premier ministre jusqu’en 1956.
La tradition féministe s’étiole-t-elle en Tunisie ?
La condition féminine a immédiatement bénéficié des effets du CSP. Concrètement, les Tunisiennes avaient désormais leur mot à dire et pouvaient prendre leur vie en main notamment en ayant accès à l’éducation et au contrôle des naissances. À partir des années 1970, l’émancipation de la femme a été accompagnée d’un mouvement féministe largement inspiré de ceux qui s’exprimaient en Europe. Le mouvement féministe s’est essoufflé faute d’avoir su se renouveler et sortir d’un discours assimilé aux élites.
Toutefois, ce discours n’a pas porté des actions concluantes bien que l’Association des femmes démocrates, issue de cette tendance dans les années 1990, ait beaucoup œuvré à sensibiliser la société sur les violences faites aux femmes, sur les droits des mères et sur la question de l’égalité face à l’héritage. Certaines lois, comme la dispense d’autorisation du père pour la sortie du territoire d’un enfant mineur, ou la reconnaissance du nom de la mère pour les enfants nés hors mariage, ont été des avancées mais le mouvement s’est essoufflé faute d’avoir su se renouveler et sortir d’un discours assimilé aux élites. Il revient par exemple sans cesse sur la question de l’héritage malgré l’hostilité de la société.
Féminisme occidental vs féminisme islamiste
« La femme complémentaire de l’homme ». Cette disposition qui avait été proposée dans une mouture du projet constitutionnel avait provoqué un tollé général et alerté les Tunisiennes sur les menaces pesant sur leurs acquis. Mais si elles n’entendent pas perdre leurs droits, dans les faits, la société reste profondément conservatrice et patriarcale. Sur ce terreau traditionnel, les islamistes travaillent à imposer leur vision de la femme, à laquelle ils reconnaissent un rôle social et citoyen tout en considérant qu’elle doit se conformer aux préceptes de l’islam. Une conception qui reste réductrice des libertés des Tunisiennes.