Les professionnels tunisiens du tourisme rentrent bredouille de l’ITB Berlin
Terrible sentiment d’amertume sur le stand Tunisie au salon ITB à Berlin. L’édition 2016 de ce qui est considéré comme le plus grand événement de l’industrie touristique au monde ne restera certainement pas dans les annales côté tunisien. Malgré un stand new look réalisé par une société espagnole (Dylunio), malgré les moyens déployés par les équipes de la représentation de l’ONTT en Allemagne pour faire bonne figure, la déception a été au rendez-vous pour les professionnels qui espéraient sauver dans la capitale allemande ce qui peut être encore sauvé cette saison.
La sécurité encore et toujours
Comme de bien entendu, c’est sur le volet sécuritaire que la Tunisie a été épinglée. D’autant plus que la tenue du salon (9-13 mars) a coïncidé avec les événements terroristes de Ben Guerdane. Cela ne pouvait donc pas tomber pire pour les professionnels qui ont fait le déplacement en nombre (environ 150 hôteliers et agents de voyages notamment) avec l’espoir d’une reprise des affaires avec leurs partenaires allemands.
Les hostilités ont d’ailleurs commencé dès le premier jour. A la traditionnelle conférence de presse organisée par la ministre du Tourisme, Selma Elloumi Rekik, les questions des journalistes n’ont tourné quasiment qu’autour de la situation qui prévaut dans le pays, car nul n’est dupe : les touristes ne reviendront que lorque le pays sera en mesure de leur offrir toutes les garanties sécuritaires.
Conséquence: les tour-opérateurs sont, eux, en manque de visibilité totale et l’affirment haut et fort : il n’y a pas de demande. La clientèle allemande se détourne de la destination, et encore plus les familles. Et dire qu’il y a encore quelques années, on se vantait d’être la destination famille par excellence au départ de l’Allemagne. Dans l’ensemble, les réservations sont actuellement en baisse de 70% par rapport à la même période de l’année dernière. Les grands T.O ne peuvent pas s’engager sur l’aérien car ils ne veulent prendre aucun risque. Que dire alors des petits.
Et pourtant, le nouveau mécanisme de soutien aux T.O mis en place par l’ONTT aurait dû les inciter à programmer des vols charters. Sauf que celui-ci est loin de faire l’unanimité. Se basant sur l’expérience des années passées, l’ONTT a en effet fait le choix d’opter cette année pour une nouvelle formule : soutenir à compter du 1er mars les T.O qui font du full charter et qui remplissent au moins 60% de la capacité de leurs avions avec un budget forfaitaire compris entre 3000 et 4000 euros par vol (selon la durée de vol). Les tour-opérateurs n’ont cependant pas tous accepté la formule.
Pourquoi les T.O ne veulent pas du soutien de l’ONTT
Ce nouveau programme de soutien à l’aérien, destiné à encourager les T.O à prendre « plus de risques », comme cela se dit dans le jargon, semble ne pas être adapté aux nouvelles conditions du marché. En effet, face à la situation qui prévaut, les voyagistes consultés par Destination Tunisie déclarent qu’ils auraient plutôt penché pour un système incitatif par siège occupé plutôt que le système forfaitaire proposé. En d’autres termes, leur préférence va plutôt vers une rétribution par passager et non par vol.
Autre facteur de rejet de la proposition de l’ONTT, les délais de paiement tardifs. En effet, les T.O semblent avoir été échaudés par l’expérience de l’année dernière. René Trabelsi, patron du T.O français Royal First Travel, présent à Berlin, n’en démord pas : « On ne nous a toujours pas payé nos factures de l’année dernière, certains T.O ont eu le temps de faire faillite car l’ONTT ne les a pas encore payés. Peut-on encore parler de soutien aux T.O dans ce cas ?».
Ce qui est cependant certain, c’est que Thomas Cook aurait carrément refusé la formule proposée par l’ONTT. S’agissant d’un programme de 300 vols sur la Tunisie, il se pourrait qu’une concession lui soit accordée (adoption de la formule par siège) eu égard au volume qu’il annonce sur la destination. Les petits opérateurs qui se contentent de blocs-sièges sur les vols réguliers se demandent pour leur part à quelle sauce ils seront mangés cette année. Et pour courroner le tout, Tunisair revendique également un soutien sur ses vols réguliers qui font majoritairement du transport touristique, notamment au départ de Djerba et de Monastir…
Question de survie
Pendant que l’on palabre sur le soutien aux T.O, les hôteliers et les
agents de voyage ont un autre souci non moins important: leur survie à la lumière de la situation. Disons les choses telles qu’elles sont: à Berlin, la filière touristique était au bord du désespoir: le marché allemand ne décollera pas cette année et devrait rejoindre la longue liste des marchés émetteurs sinistrés. Pire encore, les hôteliers seraient en manque de liquidités même pour parer au plus urgent. Slim Zghal, patron de la chaîne des hôtels Thalassa, explique qu’habituellement à pareille époque de l’année, les hôtels reçoivent des avances de la part des T.O sur le early-booking, ce qui leur permet de procéder à des rénovations ou des rafraîchissements de leurs établissements avant la haute saison. « Aujourd’hui, les banques refusent d’octroyer des crédits aux hôtels même s’il s’agit de 10.000 dinars! »
L’ITB a donc confirmé que le secteur touristique tunisien était encore plus fragilisé que jamais. Mince lueur d’espoir cependant émanant de Michel de Blust, le secrétaire général de l’ECTAA (Confédération européenne des agents de voyages et des tour-opérateurs). Lors d’une rencontre avec les membres de la FTAV à Berlin (lire à ce sujet), le responsable a estimé que l’Europe du sud allait enregistrer une saturation des réservations et que la Tunisie pourrait en tirer avantages, moyennant « une politique de prix bien pensée ». Concrètement, à cause du trop plein attendu sur l’Espagne, la Grèce et autres, les T.O seraient acculés à rediriger leurs clients vers d’autres destinations où il trouveront de la disponibilité.
Dans son malheur touristique, la Tunisie n’est pas seule. Ses concurrents directs ne sont pas mieux lotis qu’elle. Egypte et Turquie passent par une crise aigue tandis que le Maroc est à la peine. Les plus réalistes parmi les professionnels estiment qu’il faut d’ores et déjà oublier 2016 et préparer 2017 en tenant compte des leçons qu’il faut retenir. Du moins pour les entreprises touristiques tunisiennes qui auront survécu entre temps.