Les mois se suivent et se ressemblent. Alors que l’activité dans le secteur manufacturier peine à accélérer dans un climat international encore incertain, le dynamisme de la demande interne soutient l’activité dans les services. Le 1er trimestre a été meilleur qu’attendu et semble envoyer un message plus optimiste que les enquêtes de conjoncture.
Face au fléchissement des anticipations d’inflation et aux risques qui entourent le scénario économique en zone euro, la Banque centrale européenne se montre proactive. Elle est prête à assouplir davantage sa politique monétaire et à mettre en place de nouvelles mesures plus tôt qu’anticipé. Face à une inflation toujours contenue et des moyens limités, la BCE devra toutefois faire preuve de parcimonie.
L’année 2019 a mieux débuté qu’attendu en termes de croissance économique. L’activité dans les trimestres à venir resterait au centre d’un équilibre précaire : le moindre dynamisme de la demande externe continuerait de peser sur le secteur manufacturier, sans que toutefois les services ne soient encore pleinement affectés. La dynamique de l’emploi est déterminante. La BCE se dit prête à assouplir davantage sa politique monétaire.
Quand l’emploi va, tout va ?
Au 1er trimestre 2019, la zone euro a enregistré une croissance meilleure qu’attendu, atteignant +0,4% en variation trimestrielle (v.t), après 0,2% en moyenne au 2e semestre 2018. La consommation privée, principal soutien à l’activité au T1, a accéléré dans le contexte actuel de baisse du taux de chômage et de dynamisme des salaires, tandis que l’investissement est resté relativement robuste, malgré le niveau élevé d’incertitudes. Après avoir été un frein important à l’activité en zone euro en 2018, le commerce extérieur a soutenu la croissance au T1 2019.
Les publications économiques les plus récentes pour la zone euro semblent confirmer le découplage important observé depuis le début de l’année entre la dynamique d’activité dans le secteur manufacturier et celle dans le secteur des services. Alors que l’indice des directeurs d’achats (PMI) manufacturier, malgré une certaine stabilisation en juin (47,8), affiche une baisse tendancielle marquée depuis la fin de l’année 2017 (cf. graphique 2), le PMI dans les services résiste et progresse même en juin à 53,4 (un plus haut depuis fin 2018). Comme souvent évoqué depuis plusieurs mois, ces développements témoignent à la fois d’un environnement extérieur peu porteur et de soutiens internes de croissance encore favorables. Sur le front externe, le moindre dynamisme dans les pays émergents, avec notamment le ralentissement de l’activité en Chine, la faible croissance du commerce mondial et la hausse des incertitudes en lien avec les tensions commerciales entre les EtatsUnis et certains de ses partenaires, pèsent sur la demande mondiale adressée aux exportateurs de la zone euro. Cette dégradation est reflétée dans la composante « nouvelles commandes à l’export » des PMI qui a nettement chuté depuis le début de l’année 2018 pour atteindre 47 en juin.
Le climat d’incertitudes actuel ne semble pas pour l’heure avoir sensiblement affecté la demande interne agrégée, en particulier l’investissement qui a bien résisté au 1er trimestre 2019 (+1,1% en t/t), dans un environnement de taux toujours très bas. La dynamique de consommation des ménages est également favorable (+0,5% en t/t au 1er trimestre 2019). La résilience de l’emploi, la baisse continue du chômage, à 7,7% de la population active au T1 2019, et l’accélération des salaires expliquent en grande partie cette performance. Malgré les difficultés traversées par le secteur, l’emploi manufacturier maintient une croissance relativement robuste. Ceci pourrait refléter un comportement de rétention de main-d’œuvre, les acteurs économiques du secteur anticipant un ralentissement uniquement passager.
En prévision, par un effet d’entrainement négatif du second semestre 2018, la croissance annuelle en zone euro en 2019 fléchirait sensiblement avant de globalement se stabiliser en 2020 autour de +1,0% (cf. graphique 1). Les difficultés du secteur manufacturier pourraient finir par peser sur la dynamique des services, compte tenu de l’interconnexion importante entre les deux secteurs. Le maintien d’une bonne dynamique de l’emploi et l’évolution du chômage dans les mois à venir resteront déterminants. A court terme, l’Allemagne, compte tenu de son ouverture commerciale, pâtirait davantage du ralentissement global, tandis que l’Italie reste pénalisée par des freins structurels importants. La France ralentirait mais de façon moins marquée, une baisse plus forte de la croissance allemande pourrait toutefois avoir des effets
indirects négatifs importants.
■ Un policy-mix favorable à la croissance
« In the absence of improvement, such that the sustained return of inflation to our aim is threatened, additional stimulus will be required »
Lors de son discours à Sintra le 18 juin dernier, Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne (BCE), a ouvert la voie à de nouvelles mesures d’assouplissement monétaire. Ces dernières pourraient intervenir plus tôt qu’anticipé. La dernière réunion de politique monétaire du 6 juin avait déjà donné lieu à des annonces. Une nouvelle extension pour 6 mois de la forward guidance avait été décidée, repoussant une potentielle hausse de taux d’intérêt à mi-2020. Concernant les nouvelles vagues de TLTRO (TLTRO-III), des précisions ont été apportées. Les conditions apparaissent légèrement moins accommodantes, notamment en termes de taux d’intérêt, que lors des opérations précédentes. Au mieux, le taux assorti à ces opérations pourra atteindre -0,3% contre -0,4% lors des TLTRO-II.
Pourquoi un assouplissement du discours entre le 6 et le 18 juin, soit à seulement deux semaines d’intervalle ? Tout d’abord, les premiers signes de décrochage des anticipations d’inflation ont fait réagir la BCE. Par ailleurs, le lendemain se tenait une réunion de la Réserve fédérale américaine, dont on attendait un degré supplémentaire d’accommodation. A ce titre, le discours plus incisif de la part du président de la BCE peut traduire la volonté d’éviter une appréciation de l’euro vis-à-vis du dollar. Suite à ce discours, les rendements à 10 ans allemands ont d’ailleurs baissé encore plus sensiblement en territoire négatif tandis que le taux à 10 ans français a atteint 0%. La BCE est donc prête à intervenir de nouveau. Bien que des marges de manœuvre demeurent, celles-ci sont moindres et peuvent présenter des risques et devront donc être utilisées avec prudence La politique budgétaire devrait être également assouplie, ce qui soutiendrait la demande et la croissance de la zone euro. C’est le cas notamment en Allemagne, avec par exemple des allègements d’impôts pour les bas salaires et, en France, via les mesures d’urgence suite au mouvement des « gilets jaunes ».
L’assouplissement global du policy-mix, bien que favorable à l’activité économique, pourrait toutefois ne pas avoir l’effet escompté sur la dynamique d’inflation.
Inflation : loin de l’objectif
L’inflation en zone euro reste inférieure à sa cible de 2%, à moyen terme, et ne bénéficie pas, pour l’heure, de la pression à la hausse des coûts salariaux unitaires. La faiblesse structurelle de l’inflation dans les pays avancés n’est pas un phénomène exclusif à la zone euro. Parmi les raisons évoquées figurent notamment la mondialisation, la digitalisation ou les inégalités de revenus.
Récemment, Benoit Cœuré 2 a également fait référence à la tertiarisation croissante de l’économie de la zone euro comme facteur limitant la réactivité de l’inflation à la politique monétaire. En effet, la rigidité des salaires (les services sont intenses en travail) et la moindre exposition à la concurrence internationale (bien qu’en hausse, la part des services dans les exportations totales s’établit seulement à 20%) impliquent une modification moins fréquentes des prix.