Le ralentissement en cours s’inscrit dans le cycle économique européen. En relatif, les perspectives restent bonnes, le rythme de croissance attendu figurant parmi les plus élevés des grands pays de la zone euro. Le chômage diminue rapidement mais reste massif, en particulier dans sa composante de long terme. Le chef du gouvernement Pedro Sanchez n’est pas certain de pouvoir faire adopter le projet de budget pour 2019 qu’il vient de présenter au Parlement. Quoiqu’il en soit, le déficit a très probablement été ramené en deçà de 3% du PIB en 2018, et l’Espagne s’apprête à quitter la procédure pour déficit excessif ouverte il y a dix ans.
Ralentissement en cours
En ligne avec le cycle économique de l’ensemble de la zone euro, la croissance espagnole ralentit. En rythme trimestriel, la progression du PIB était de 0,6% t/t au T3 2018, stable pour la troisième fois d’affilée, mais un ton en dessous des rythmes enregistrés en 2017. En glissement annuel, la croissance est ainsi progressivement tombée à 2,4% g.a. l’été dernier, un plus bas depuis presque quatre ans. Les données disponibles pour le quatrième trimestre suggèrent une croissance encore relativement solide en fin d’année, portée par la demande intérieure et en particulier celle des ménages. Atones cet été, les ventes au détail ont en effet enregistré un rebond en fin d’année, vraisemblablement à rapprocher de la chute de l’inflation, passée de 2,3% en octobre à 1,2% en décembre. Les données d’enquêtes, et, en particulier, celles des directeurs d’achats, ont conforté cette image : après un tassement au T3, l’indice d’activité pour les services s’est redressé en octobre et s’est maintenu à un niveau élevé jusqu’à la fin de l’année (54 points). Dans le secteur manufacturier en revanche, la faiblesse s’installe progressivement (51,1 points en décembre), en ligne avec le ralentissement du commerce extérieur.
Dans l’ensemble, et après trois années où la performance annuelle a dépassé 3%, la croissance devrait s’être établie autour de 2,5% l’an dernier. Bien qu’en baisse, ce rythme reste, d’une part, l’un des plus élevés des grands pays de la zone euro, et, d’autre part, bien supérieur aux rythmes « potentiels » estimés pour le pays par les différentes institutions internationales (plus proches de 1% pour l’instant). En fait, selon ces estimations, l’écart de production (ou output gap) de l’économie espagnole est tout juste en passe de se fermer. Il faudra donc encore vraisemblablement quelques trimestres avant l’apparition des premières tensions sur les capacités de production, les prix et les salaires1 . Soutenue par les facteurs domestiques, l’activité est pour l’instant essentiellement freinée par la demande extérieure. A terme toutefois, le tassement du commerce international et les incertitudes sur l’évolution de l’environnement économique européen et mondial pourraient, en outre, finir par peser sur les dépenses d’investissement. Cette année comme l’an prochain, la croissance espagnole pourrait ainsi s’établir autour de 2%.
Un marché du travail en transition
Les défis restent importants sur le marché du travail. D’un point de vue global, le redressement est en cours, et la dynamique de l’emploi suit fidèlement celle de l’activité. En hausse de 2,5% par an depuis 2015, la croissance de l’emploi s’est rapprochée de 2% au cours de 2018, un rythme de progression qui reste sans conteste solide. Depuis le creux de fin 2013, près de 2,1 millions d’emplois ont été créés selon les comptes nationaux. Des créations qui ont permis au taux de chômage de reculer de plus de 11 points en cinq ans. A 14,7% en novembre 2018, son niveau reste toutefois l’un des plus élevés d’Europe.
L’ampleur du chômage cadre mal avec l’idée d’une économie en passe de retrouver son niveau d’activité potentiel. L’observation de données détaillées dessine un tableau très contrasté du marché du travail, avec à la fois des signes de dynamisme et parfois de tensions, mais également encore très marqué par les conséquences de la crise. Côté chômage, le nombre de chômeurs de courte durée (inférieure à six mois ou à un an, cf. graphique 3) ne se réduit plus que lentement, et est en passe de retrouver son niveau moyen d’avant-crise, suggérant par-là qu’un certain « rythme de croisière » est peut-être atteint pour la mobilité des nouveaux entrants, et que des tensions peuvent émerger dans certains secteurs ou pour certains niveaux de qualification. En revanche, le
chômage de longue et très longue durée (supérieur à 1 et à 2 ans), même s’il se réduit désormais rapidement, représente encore plus de la moitié des chômeurs (54%) et 1,7 million d’actifs2
.
Malgré cela, le gouvernement Sanchez a décidé d’une augmentation du salaire minimum espagnol de 22%, qui est passé de 858 à 1050 euros par mois début 2019. Tout en laissant l’Espagne dans une position intermédiaire s’agissant du niveau des salaires minimum en Europe (graphique 4), l’augmentation est forte et intervient, en outre, après des hausses de 8% et 4% en 2017 et 2018. L’effet d’entraînement de ces augmentations passées a semblé limité, le redressement de l’ensemble des salaires étant resté jusqu’ici, très modéré3 . Nulle ou négative en 2016 et début 2017, la croissance nominale des coûts salariaux par tête est restée médiocre, avant d’accélérer un peu l’été dernier, à 1,9% g.a., principalement dans le secteur des services. Une accentuation est probable cette année mais, à ce stade en tout cas, c’est davantage dans le contexte de chômage massif décrit plus haut qu’au regard de l’évolution des coûts salariaux (y compris relativement aux autres pays européens) que le relèvement du salaire minimum peut surprendre.
Dans l’attente d’un budget pour 2019
L’augmentation massive du salaire minimum fait partie d’une stratégie économique plus large que le gouvernement de Pedro Sanchez cherche à mettre en œuvre dans son projet de budget de 2019. Celui-ci prévoit une croissance des dépenses sociales et des retraites, en parallèle d’une hausse de la fiscalité des ménages au plus hauts revenus et des grandes entreprises. Présenté au parlement depuis la mi-janvier, ce projet de budget pourrait très bien ne pas être voté, faute de majorité, dans la mesure où le gouvernement Sanchez est minoritaire (tributaire des élus de Podémos et des formations indépendantistes basque et catalanes) pour faire adopter ses projets de lois. Le projet de budget prévoit une relance des dépenses d’investissement en Catalogne, mais il n’est pas sûr que cela suffise à emporter le soutien des partis catalans, alors que les négociations politiques sur la question catalane sont dans l’impasse. En attendant cette adoption, le budget de l’année précédente est automatiquement reconduit.
Rappelons que la situation n’est pas inédite depuis les dernières législatives, le budget de 2017 n’ayant été adopté qu’en mai 2017, celui de 2018 en juin 2018. Quoi qu’il en soit, l’Espagne, dont le solde budgétaire est repassé sous la barre des 3% en décembre dernier (probablement à 2,7% du PIB) pour la première fois depuis 2007, devrait officiellement sortir de la procédure européenne pour déficit excessif au printemps prochain. Elle est le dernier pays européen à y être actuellement soumis. Cette année, la faiblesse des coûts de financement et la vigueur de la croissance devraient continuer d’assurer la réduction du déficit, masquant, cette année encore, le caractère probablement expansionniste de la politique budgétaire.