France : l’industrie a un défi de taille

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La désindustrialisation est une thématique souvent abordée pour décrire l’une des manifestations d’un déclin relatif de l’économie française. La baisse du poids de l’industrie dans le PIB est tout à fait naturelle eu égard au développement des services. Toutefois, la France a connu une baisse plus forte qu’en l’Allemagne ou même qu’en Italie : l’écart est passé de 7 à 10 points en 20 ans dans le premier cas, et de 3 à 6 points dans le second.

De plus, l’emploi industriel s’est lui aussi contracté, à partir de 2001, bien que cette baisse continue se soit interrompue à partir de 2017. Toutefois, l’industrie est l’une des branches à avoir le moins bénéficié du rebond de l’emploi post-Covid, malgré une situation globalement favorable par ailleurs sur le marché du travail français. Au 4e trimestre 2021, l’emploi industriel était encore inférieur de près de 40 000 emplois par rapport à la fin 2019, contre un niveau supérieur de près de 65 000 et 220 000 emplois respectivement dans la construction et le tertiaire marchand. Cet article vise à évaluer si la période récente a vu la désindustrialisation se stabiliser ou reprendre. Cela n’exclut pas une augmentation de la valeur ajoutée dans l’industrie et un accroissement de sa productivité, mais il semble que sa taille se soit réduite, comme le suggère une production industrielle inférieure de près de 10% fin 2021 à son niveau d’il y a vingt ans.

Les capacités de production de l’industrie française constituent un indicateur objectif pour répondre à la question d’une désindustrialisation. Elles peuvent se déduire du taux d’utilisation des capacités de production et de l’indice de la production industrielle. Ce calcul montre effectivement une forte réduction de ces capacités de production au regard du pic connu dans les années 2000, nonobstant des variations ponctuelles au cours desquelles les capacités sont davantage mises en sommeil que détruites. Sur ces vingt dernières années, la baisse de la taille de l’industrie n’est pas simplement relative (en comparaison d’autres pays où elle augmenterait) mais se remarque même en absolu.

Les crises jouent un rôle destructeur sur ces capacités, qui ne se reconstituent a posteriori que très partiellement. La répétition de chocs a ainsi joué avec, à chaque fois, un effet d’hystérèse : absence de retour à la situation pré-crise. Cela n’exclut pas une ré-augmentation partielle après chaque crise, mais celle-ci n’a, à chaque fois, pas permis de reconstituer pleinement les capacités.

En parallèle, dans les secteurs dont les capacités ont diminué, les importations ont augmenté et la balance commerciale s’est creusée, contribuant au décrochage du déficit commercial total français. Ainsi, en 2021, le déficit sur les biens industriels (hors agroalimentaire) a atteint près de 50 milliards d’euro, pour un déficit commercial total de près de 85 milliards.

DES CAPACITÉS DE PRODUCTION DANS L’INDUSTRIE DE NOUVEAU EN BAISSE SUR LA PÉRIODE RÉCENTE
Après une longue atonie dans la première partie des années 2010, l’industrie a semblé connaître un regain d’activité à partir de 2016, tant en termes de capacités de production que d’emploi. En parallèle, une forte accélération de la croissance française (et étrangère) a fourni un terreau favorable. Toutefois, fin 2019, les capacités de production étaient déjà de plus de 2% inférieures à celles de fin 2018. Une première baisse, donc, même si la période de pandémie semble avoir joué un effet accélérateur. In fine, les capacités de production sont aujourd’hui de près de 6% inférieures à leur niveau de 2018.

Nonobstant cette situation, les carnets de commande dans l’industrie manufacturière se sont largement regarnis, pour retrouver, avec cinq mois de production, leur niveau de 2018. L’industrie apparaît donc en sous-capacité pour y répondre. Cela peut contribuer à l’allongement des délais de livraison, s’ajoutant à d’autres freins (dont les pénuries de semi-conducteurs, plastiques, métaux ou emballage). Le point de départ de cette inversion de tendance est à rechercher en 2018, où des problématiques spécifiques à certains secteurs sont apparues. À l’époque, la demande des ménages commence à s’éroder, surtout en raison de la hausse du pétrole qui affecte leur pouvoir d’achat. La production des entreprises ne s’ajuste pas immédiatement, ce qui entraîne un accroissement des stocks. Ce phénomène est particulièrement visible dans l’automobile où, pendant plusieurs mois, la production reste supérieure aux nouvelles immatriculations.

La réglementation, ensuite, a pesé sur la demande encore un peu plus. À partir de septembre 2018, la mise en œuvre de la norme WLTP (Worldwide harmonised Light vehicles Test Procedure) dans l’automobile a fait plonger la production automobile allemande, avec un contrecoup sur les entreprises françaises de la filière. La construction résidentielle a, quant à elle, subi le rétrécissement du champ d’application des mesures gouvernementales (loi Pinel notamment) aux seules zones tendues. De plus, la métallurgie et les plastiques/caoutchouc ont été affectés par la baisse de la demande de ces deux secteurs, qui constituent leurs principaux débouchés. S’y sont ajoutées des problématiques sectorielles spécifiques, comme la crise du secteur du papier.

Les défaillances d’entreprises dans ces secteurs se sont par conséquent accrues et des capacités de production ont donc été détruites. Par la suite, le bonus/malus automobile s’est encore renforcé début 2020, ce qui a conduit les constructeurs à réduire leur production. Juste après, la crise de la Covid-19 a renforcé l’incertitude économique, conduisant les entreprises à réduire encore plus leurs capacités de production, notamment dans la filière aéronautique. Or, la demande a rebondi de façon plus prononcée et plus rapide que prévu, sans que les entreprises n’y soient tout à fait préparées. Ainsi, le PIB a été en 2021 supérieur de près de 3% à ce que, par exemple, le FMI anticipait en octobre 2020. Ce retard lié à des anticipations trop conservatrices a été renforcé par un contexte international de pénuries et d’allongement des temps de livraison. Tout cela s’est traduit par une faiblesse persistante des stocks de produits finis.

Depuis, les entreprises ont largement investi pour tenter de compenser ce retard en termes de capacités. C’est l’un des motifs de la croissance de leur formation brute de capital fixe ces derniers trimestres, avec notamment les deux postes « biens » et « construction ». Toutefois, cela n’a permis de combler qu’une petite partie de la perte de capacités de production intervenue à partir de 2018.

LE COÛT DU TRAVAIL : USUAL SUSPECT, MAIS PAS LE SEUL
La dégradation de la balance commerciale au cours des années 2000 et la réduction concomitante du poids de l’industrie dans le PIB ont débuté dans une période de croissance économique. Des relocalisations d’activité vers les pays d’Europe centrale sont intervenues à cette période, après leur intégration à l’Union européenne; période à partir de laquelle ces pays ont bénéficié de fonds européens et ont vu l’investissement étranger nettement augmenter.

Plus généralement, une des causes identifiées du décrochage de l’industrie française est la hausse du coût du travail, qui a été significative jusqu’en 2012. Sa hausse a été plus conséquente qu’en Allemagne, où sa croissance s’est fortement modérée à la suite des réformes de l’administration Schröder (réformes Hartz notamment) du marché du travail. Au cours de la décennie suivante, la tendance des évolutions de salaires s’est plutôt inversée. L’Allemagne a vu la croissance des salaires s’accélérer en raison d’un faible taux de chômage. A contrario, la persistance du chômage a limité les hausses de salaires en France, tandis que diverses mesures visaient à baisser les charges (Crédit d’Impôt Compétitivité Emploi, Pacte de Responsabilité), d’où une relative stabilité du coût du travail (charges comprises) entre 2012 et 2017, qui a permis de combler le retard pris précédemment en termes de coût salarial unitaire sur l’Allemagne.

Cette période a permis la reconstitution de près de 10% des capacités de production dans l’industrie entre 2015 et 2018. Soutenant cette dynamique et celle de l’emploi, l’investissement des entreprises a, enfin, redémarré sur cette période avec deux soutiens complémentaires : la faiblesse des taux d’intérêt due au programme d’assouplissement (Quantitative easing) de la BCE et la mesure de suramortissement permettant à des entreprises de réduire leur impôt sur les sociétés en raison d’un investissement productif.

Lorsqu’on aborde la stabilisation des capacités de production dans l’industrie après 2018, le rôle du coût du travail est plus difficile à établir, la période ayant été in fine assez brève avant que la crise de la Covid-19 ne survienne. Toutefois, l’emploi industriel avait déjà cessé de progresser au 2e semestre 2019, avant que la crise sanitaire ne l’affecte davantage.

Lorsqu’on la compare avec l’Allemagne, il apparaît clairement que la France est davantage soumise à la concurrence étrangère que son voisin. Ses exportations sont moins complexes et concernent donc des biens (ou des niveaux de gammes) qui font face à la concurrence de davantage de pays. L’argument de la compétitivité coût a donc plus d’importance, ce qui montre que sa maîtrise est une condition nécessaire à une réindustrialisation.

Depuis la mi-2020, l’effort d’investissement des entreprises s’est accéléré, augurant d’une évolution positive des capacités de production industrielles françaises. Il reste que, dans une période où les taux d’intérêt devraient remonter, cet effort devrait devenir plus coûteux. Afin de ne pas casser cette dynamique, des mesures incitatives à l’investissement et plus généralement à la localisation en France pourraient s’avérer pertinentes.

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