La Banque centrale européenne (BCE) a averti mardi qu’elle pourrait subir des pertes en raison du poids des intérêts qu’elle verse désormais aux banques commerciales, une conséquence du relèvement des taux après des années de politique monétaire ultra-accommodante.
Le mouvement de remontée des taux directeurs engagé par l’institution la conduit en effet à verser d’importants intérêts sur environ 5.000 milliards d’euros de dépôts accumulés au fil de ses achats d’obligations et des prêts accordés à des conditions très avantageuses, alors que la période de taux négatifs avait fait de ces dépôts une source de recettes.
Ces instruments qui visaient à soutenir le crédit et l’activité économique pendant une période d’inflation trop faible risquent donc de faire basculer dans le rouge les comptes de la BCE et de certains de ses actionnaires, comme les banques centrales nationales allemande, néerlandaise et belge.
Ce retournement pourrait obliger certaines banques centrales nationales à renforcer leur bilan, au risque de susciter des interrogations sur leur indépendance et la colère des contribuables.
« Nous devons lutter contre cette inflation élevée en relevant les taux d’intérêt, ce qui entraîne une augmentation des intérêts versés aux banques commerciales. Cela entraîne une baisse de nos bénéfices, voire la comptabilisation de pertes », explique la BCE sur son site internet mardi.
Les banques centrales nationales les plus exposées sont paradoxalement celles des Etats de l’Eurosystème les plus prudents en matière budgétaire, parce que c’est auprès d’elles qu’ont été accumulés les dépôts les plus importants et qu’elles détiennent d’importants portefeuilles d’obligations achetées pour le compte de la BCE.
UN ENJEU D’INDÉPENDANCE
La banque centrale des Pays-Bas a ainsi admis qu’elle pourrait avoir besoin de solliciter une recapitalisation par l’Etat, même si la ministre des Finances néerlandaise, Sigrid Kaag, a souligné que le sujet n’était « pas encore sur la table ».
La BCE, dont la majeure partie du capital appartient aux banques centrales nationales des 19 pays ayant adopté la monnaie unique, assure disposer d’autres moyens pour faire face à cette situation.
Elle peut ainsi puiser dans les provisions constituées au cours des années bénéficiaires et recourir aux revenus que les banques centrales nationales retirent des opérations de politique monétaires, comme la détention d’obligations et les prêts qu’elles accordent.
Elle peut aussi inscrire des pertes à son bilan pour les compenser par des revenus encaissés au cours des prochains exercices, une possibilité évoquée la semaine dernière par la Bundesbank allemande.
« En définitive, le rétablissement d’un environnement de taux d’intérêt positifs favorise la rentabilité de l’Eurosystème à moyen terme », assure-t-elle.
Les banques centrales peuvent de toute façon poursuivre leurs opérations même si elles subissent des pertes qui entament leur capital, un cas de figure déjà rencontré au cours des dernières décennies dans un certain nombre de pays, y compris en Allemagne.
La BCE veille néanmoins à maintenir une capitalisation solide pour protéger son indépendance vis-à-vis des gouvernements et préserver sa crédibilité en matière de lutte contre l’inflation.
« Il convient de garder à l’esprit que les banques centrales ne sont pas des sociétés ordinaires: elles peuvent enregistrer des pertes tout en continuant de fonctionner efficacement », explique-t-elle. « Cependant, le principe de l’indépendance financière signifie que les banques centrales nationales doivent en définitive toujours être suffisamment capitalisées. »