La Banque centrale européenne est de nouveau mise en difficulté et, cette fois, les mauvaises nouvelles ne proviennent pas de la Grèce, de l’Italie ou d’un autre pays du sud de la zone euro mais de l’Allemagne.
La première économie du bloc communautaire est affaiblie par la conjonction toxique d’une diminution de ses exportations vers la Chine, qui demeure toutefois son principal partenaire commercial, du ralentissement de ses secteurs manufacturier et de la construction et de la remise en question de son modèle commercial basé sur un pétrole russe bon marché.
Les difficultés de l’Allemagne freinent la croissance de l’ensemble de la zone euro et amènent la BCE à revoir son discours. Après avoir exclu en juin l’idée d’une pause dans la remontée de ses taux directeurs, l’institution n’écarte plus cette option pour le mois prochain.
Et le marché pense que la banque centrale pourrait même devoir revenir sur ses hausses de taux à moyen terme, comme elle l’a fait lors de son dernier cycle de resserrement en 2011, lorsque les crises de la dette en Grèce, au Portugal, en Irlande, en Espagne et à Chypre ont été accompagnées d’une récession plus large.
Il existe des similitudes entre les conditions de 2011 et celles actuelles », a déclaré Richard Portes, professeur d’économie à la London Business School. « Il y a eu un choc majeur au niveau de l’offre et l’inflation allait clairement être de très courte durée. »
L’HOMME MALADE DE L’EUROPE
Contrairement à ce qui s’est passé à l’époque, c’est l’Allemagne, et non les pays du Sud, qui se trouve à l’épicentre du problème, ce qui a amené de nombreux observateurs à ressortir l’expression « l’homme malade de l’Europe », utilisée pour la dernière fois pour désigner le pays au début des années 2000.
Certains des maux actuels de l’Allemagne trouvent leur origine en Russie, dont Berlin dépendait pour un tiers de son approvisionnement énergétique jusqu’au début de la guerre en Ukraine, en février 2022.
D’autres sont plus complexes et intrinsèques à l’Allemagne, en raison de sa trop grande dépendance à l’égard des exportations, du manque d’investissements et de la pénurie de main-d’oeuvre.
« Si le gouvernement ne prend pas de mesures décisives, l’Allemagne risque de rester au bas du classement de la croissance dans la zone euro », a déclaré Ralph Solveen, économiste à la Commerzbank.
Mais une partie au moins de la morosité économique de l’Allemagne est imputable à la BCE.
La banque centrale a sciemment freiné l’activité économique en augmentant ses taux pour tenter de ramener l’inflation à son objectif de 2%.
La hausse des coûts d’emprunt affecte particulièrement l’industrie, dépendant de l’investissement, et aucun pays de la zone euro n’a un secteur industriel plus important que l’Allemagne.
« Assouplir la politique monétaire parce que l’Allemagne est dans une position difficile ne serait pas judicieux, mais la resserrer davantage ajouterait des pressions macroéconomiques à des pressions microéconomiques », a souligné Richard Portes, de la London Business School.
La BCE est ainsi contrainte d’envisager de mettre un terme à son cycle de resserrement avant même d’avoir constaté une baisse durable, et tant attendue, de l’inflation sous-jacente.
Faire un lien clair entre l’inflation sous-jacente et la poursuite des hausses de taux pourrait s’avérer une erreur de communication pour la BCE, qui s’efforce à présent de ne plus mettre l’accent sur l’augmentation des coûts d’emprunt, mais sur leur maintien à un niveau élevé.
« Ils (les responsables de la BCE, ndlr) ont fait une erreur en accentuant trop l’inflation sous-jacente », estime Carsten Brzeski, responsable mondial de la macroéconomie pour ING Research. « Le risque est qu’ils soient déjà allés trop loin ».
DES TAUX ÉLEVÉS POUR LONGTEMPS
Après avoir fait savoir en juin que la BCE « n’envisageait même pas de suspendre » ses hausses de taux, la présidente de l’institution Christine Lagarde a déclaré un mois plus tard qu' »à ce stade », elle n’estime pas que la banque « a encore du chemin à parcourir ».
Quelques jours plus tard, après que les données ont montré que l’inflation hors énergie, alimentation, alcool et tabac se maintenait à 5,5%, la BCE a choisi de souligner que la plupart des autres mesures des prix affichent des signes de modération.
Fabio Panetta, membre du directoire, a plaidé jeudi dernier pour maintenir des taux d’intérêt à leur niveau actuel pendant plus longtemps, plutôt que de les relever davantage.
Tout cela prépare le terrain pour une éventuelle pause en septembre, probablement assortie d’une option pour revenir à la charge si nécessaire et d’un engagement à maintenir les coûts d’emprunt à un niveau élevé pendant un certain temps.
Mais certains experts spéculent sur des baisses de taux pour le second semestre de 2024.
« Nous continuons à penser que la BCE va changer de cap de manière significative au cours des prochains mois, en ne procédant à aucune nouvelle hausse cette année et en lançant en mars une série de baisses », ont écrit dans une note les économistes d’ABN-AMRO.