Pour le secteur européen du courtage financier, l’année 2021 devrait être marquée par les plus importants transferts d’activités depuis plus de 20 ans, le Brexit déplaçant le centre de gravité de cette activité hors de Londres.
Les acteurs concernés espèrent que les préparatifs lancés après le référendum de juin 2016 sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne permettront une transition en douceur pour les actifs, actions et dérivés, libellés en euros. Mais l’impact à long terme est difficile à évaluer.
“Il s’agit d’un événement de l’ordre du big-bang et c’est un élément que le marché n’a pas encore complètement intégré”, a déclaré à Reuters Alasdair Haynes, directeur général de la plate-forme de transactions Aquis Exchange, basée à Londres.
“Tout va changer en une journée à peine, littéralement, et il faut prier Dieu pour que rien d’extraordinaire ne se produise sur le marché qui générerait des volumes importants.”
Si l’accord conclu la semaine dernière par Londres et Bruxelles fixe des règles claires pour des secteurs comme la pêche et l’agriculture, il ne concerne pas le secteur financier britannique, ce qui le prive d’un accès automatiques aux marchés de l’UE dès le 1er janvier.
Des deux côtés de la Manche, les autorités financières se préparent donc à surveiller attentivement la réouverture des marchés lundi prochain, 4 janvier, à l’affût d’éventuels mouvements désordonnés.
Dès lundi en effet, les banques de l’UE devront traiter les actions libellées en euros au sein de l’Union, ce qui les obligera à transférer vers le continent les opérations réalisées jusqu’à présent sur des plates-formes basées à Londres, qu’elles soient exploitées par CBOE Europe, Aquis Exchange, Turquoise (filiale de London Stock Exchange Group) ou Goldman Sachs.
Ces dernières traitent pour l’instant la majeure partie des transactions transfrontalières sur les actions au sein de l’UE, soit quelque 8,6 milliards d’euros par jour en octobre, un quart environ du montant total des transactions sur actions en Europe selon des données de CBOE.
Pour David Howson, président de CBOE Europe, la majeure partie des transactions concernées va ainsi basculer dès le premier jour, du jamais vu depuis 1998, lorsque les transactions sur les contrats à terme sur le Bund à dix ans allemand étaient passées du parquet londonien du LIFFE aux échanges électroniques à Francfort.
“UN ENJEU ÉNORME POUR LA GRANDE-BRETAGNE”
CBOE espère que sa chambre de compensation basée à Amsterdam récupérera une partie de l’activité réalisée pour l’instant par ses concurrents à Londres. Aquis, de son côté, prévoit de réaliser à terme la moitié de son activité dans l’UE.
Goldman Sachs s’attend à ce que la moitié des échanges d’actions réalisés sur sa plate-forme Sigma-X se déplace de Londres vers son “hub” parisien.
Pour ce qui est des produits dérivés en euros traités pour l’instant à Londres, qui représentent des milliers de milliards d’euros de transactions, la Banque d’Angleterre (BoE) a mis en garde contre de possibles perturbations sur les swaps de taux d’intérêt, qui pourraient conduire la Grande-Bretagne à assouplir ses restrictions en la matière.
Erik-Jan van Dijk, responsable trésorerie et dérivés d’Achmea Investment Management, explique que les autorités concernées ont déjà pris des mesures pour réduire les risques en autorisant les banques de l’UE à poursuivre temporairement la compensation de leurs dérivés à Londres, alors qu’elles devraient en théorie la réaliser dans leur pays d’origine.
Mais le transfert de Londres vers l’UE devra finir par se faire, ce qui pourrait désavantager certaines contreparties britanniques.
“Nous pourrions maintenir certaines positions existantes au Royaume-Uni et nous pourrions choisir de ne pas faire affaire avec ces contreparties britanniques à l’avenir”, explique ainsi Erik-Jan van Dijk.
Le gouverneur de la Banque d’Angleterre, Andrew Bailey, a déclaré que tout l’arsenal dont dispose la banque centrale serait disponible en cas de besoin, mais les autorités ont jusqu’à présent dit ne s’attendre à aucune menace réelle pour la stabilité financière.
La journée de lundi pourrait même être plus calme que d’habitude si certains intervenants choisissent de ralentir leurs opérations dans un premier temps, par prudence, estiment CBOE et Aquis.
L’inconnue, par la suite, sera l’ampleur de la croissance des volumes de transactions dans l’UE et l’impact de la baisse des volumes au Royaume-Uni.
“Ce n’est pas le début de la fin de Londres mais c’est plutôt embarrassant et c’est un enjeu énorme pour la Grande-Bretagne”, estime Alasdair Haynes chez Aquis.