Zone euro 2018 : l’élan se poursuit
Nous attendons la poursuite d’une croissance robuste en 2018 : à la reprise cyclique, solide et auto-entretenue, s’ajoute un environnement monétaire qui reste particulièrement favorable malgré la réduction des achats de la Banque centrale européenne dans le cadre de son assouplissement quantitatif (QE). La faiblesse persistante de l’inflation suggère que la croissance européenne n’est pas encore sur le point de buter sur des contraintes d’offre, et justifie le maintien d’une politique monétaire accommodante. Cet environnement économique favorable ne doit cependant pas occulter la nécessité pour la zone euro de se renforcer du point de vue institutionnel.
La croissance en zone euro continue de surprendre à la hausse. Au T3 2017, le PIB a augmenté de 0,7% t/t (2,8% g.a.), le même rythme qu’au T2. Les résultats des enquêtes menées auprès des directeurs d’achat (PMI) lors des trois derniers mois de l’année 2017 suggèrent que la croissance aura également été forte au T4 (la première estimation du PIB du T4 sera publiée le 30 janvier).
Dans cet environnement économique favorable, les créations d’emplois sont de plus en plus dynamiques. En supposant une hausse au T4 équivalente à celle enregistrée en moyenne au cours des trois premiers trimestres de l’année (+0,45%), près de 2,8 millions d’emplois auront été créés en 2017, une hausse de 36% par rapport à 2016. Au total, depuis mi-2013, plus de 8 millions d’emplois auront été créés en zone euro.
Soulignons qu’à la différence des années dites de « sortie de crise » (2014-2015), l’embellie conjoncturelle se répartit plutôt harmonieusement au sein de la zone. En 2017, tous les pays de l’Union économique et monétaire (UEM) auront affiché une progression de leur niveau d’activité et la dispersion des rythmes de croissance se sera réduite. De même, malgré des écarts encore importants, les niveaux de taux de chômage au sein de l’union convergent de nouveau progressivement.
Qu’attendre, dans ce contexte, de l’année 2018 du point de vue de l’activité ? Nous anticipons une poursuite de la croissance au même rythme qu’en 2017, à savoir 2,4%. Cette prévision s’appuie sur l’hypothèse d’une poursuite du rattrapage (l’output gap, bien que se réduisant, demeure négatif, autorisant une croissance supérieure au potentiel), d’une politique monétaire toujours accommodante malgré la réduction du QE et d’une conjoncture mondiale plutôt favorable.
■ Une demande intérieure robuste
Le maintien d’un rythme soutenu de créations d’emplois devrait continuer de profiter au pouvoir d’achat des ménages en 2018, ce dernier bénéficiant en outre d’une légère accélération des salaires réels. Par ailleurs, l’amélioration des perspectives d’activité pourrait permettre une réduction supplémentaire du taux d’épargne (qui atteint environ 12% du revenu disponible brut). Dans l’ensemble, nous attendons une croissance robuste de la consommation des ménages (de l’ordre de 2%).
Du côté de la dépense publique, la progression demeurerait contenue, proche du rythme constaté en 2017 (1,2%). Malgré l’amélioration de la situation des finances publiques dans la plupart des pays de l’UEM et les excédents budgétaires allemands, de nombreux Etats membres demeureront soumis aux exigences du volet préventif du Pacte de stabilité, que ce soit en matière de réduction du déficit structurel et/ou de baisse de l’endettement public. Enfin, l’investissement privé devrait continuer de progresser à un rythme élevé (3,5-4%), bénéficiant de conditions de financement toujours extrêmement favorables dans un environnement porteur. Notons à ce propos que la poursuite de l’accumulation du capital devrait permettre un renversement, au moins partiel, des effets négatifs de la crise sur l’offre, profitant à la croissance potentielle.
■ Une politique monétaire durablement accommodante
En octobre, la Banque centrale européenne (BCE) a annoncé la réduction de moitié du volume d’achats mensuels dans le cadre de son programme d’assouplissement quantitatif (QE). Depuis janvier, la BCE achète donc EUR 30 mds d’actifs par mois sur les marchés financiers (principalement des obligations d’Etats et d’entreprises notées Investment Grade), et ce jusqu’en septembre 2018 au moins. Prudente, la Banque centrale s’efforce de convaincre que cet ajustement ne signifie pas un changement d’orientation monétaire mais simplement le recalibrage d’une politique restant accommodante.
De fait, dans le cadre de sa forward guidance, la BCE a lié une éventuelle hausse de taux d’intérêt à la fin du QE, précisant qu’une remontée des taux directeurs n’interviendrait que « bien après » la fin des achats nets de titres. Si le terme « bien après » reste volontairement vague, l’extension du QE jusqu’en septembre 2018 signifie à tout le moins qu’il n’y aura pas de hausse des taux directeurs avant le deuxième, voire le troisième trimestre de 2019. Par ailleurs, si la BCE s’apprête, dans un futur proche, à mettre fin à ses achats nets de titres, elle a dans le même temps assuré que le réinvestissement des titres qu’elle a déjà acquis depuis le début du QE, se prolongerait pendant une période étendue. En d’autres termes, en mettant l’accent sur les achats bruts, la BCE a indiqué que le ralentissement du rythme d’augmentation de la taille de son bilan ne signifie pas qu’elle s’apprête à en entamer la réduction. Un scénario « à l’américaine » dans lequel la Banque centrale met d’abord fin aux achats nets avant d’entamer un cycle de relèvement des taux directeurs, pour ensuite entamer un dégonflement de la taille de son bilan, semble se dessiner.
Malgré ces propos globalement dovish, la divergence des vues au sein du Conseil des gouverneurs (qui, bien que se réduisant avec l’amélioration économique, demeure marquée) et les bonnes performances économiques de l’UEM ont nourrit dernièrement les spéculations quant à une normalisation monétaire anticipée. C’est un des éléments qui a pu provoquer le renchérissement de l’euro
ces dernières semaines1.
Un tel scenario gagnerait certainement en crédibilité si les bonnes statistiques relatives à l’activité étaient accompagnées de signes convaincants de redressement de l’inflation sous-jacente. Or, jusqu’ici ce n’est pas le cas : les derniers chiffres d’inflation (décembre 2017) font état d’une stabilité remarquable de la croissance des indices de prix dans les services et les biens industriels hors énergie. En retenant diverses mesures de la dynamique sous-jacente (moyenne mobile sur 3 ou 6 mois par exemple), aucune tension inflationniste durable ne se dégage. Le début de redressement constaté à partir de mai semble avoir fait long feu. Dans ces conditions, il est vraisemblable que la BCE continue de privilégier la prudence.
■ La relance du chantier européen ?
La bonne dynamique cyclique de l’économie européenne, largement portée par la politique monétaire, ne doit pas faire oublier les défis qui restent à relever pour stabiliser définitivement l’UEM, à commencer par la gestion de l’hétérogénéité structurelle de ses membres. De façon schématique, deux logiques contraires semblent à l’oeuvre : d’une part celle de la convergence entre Etats membres par l’adoption de réformes structurelles communes et d’une discipline budgétaire renforcée ; de l’autre celle de la solidarité budgétaire et du partage des risques. Dans un cas comme dans l’autre, des transferts de souveraineté au niveau communautaire sont nécessaires. Tout l’enjeu est de parvenir à une synthèse qui conjoindrait ces deux logiques ; elle passe par un dépassement des clivages idéologiques et nationaux.
2018 sera-t-elle réellement une année de relance des chantiers européens ? S’il est sans doute trop tôt pour parier sur les résultats, on peut reconnaître que les ambitions sont bien là. Parmi les principaux acteurs du jeu européen, le président français Emmanuel Macron et le président de la Commission Jean-Claude Juncker ont détaillé leur vision et formulé des propositions cet automne. Du côté des observateurs et des think-tanks, les contributions ont également été nombreuses ces derniers mois. En particulier, les propositions visant à compléter, réformer, rendre solide et cohérente l’architecture de l’union économique et monétaire se sont multipliées. Souvent très précises, elles s’interrogent longuement sur les détails opérationnels de telle ou telle réforme. Les sujets sont connus et discutés de longue date, en premier lieu : union bancaire, budget commun, discipline budgétaire, Mécanisme Européen de Stabilité.
Thibault Mercier